mardi 18 novembre 2014

298 Amour et inversion des valeurs

Si je me promène dans la rue en ville, ou dans la campagne, et vois un chat, un chien, un âne, un cheval, un porc, une vache ou une chèvre, que je ne connais pas, n'ai jamais rencontré et trouve sympathique, je peux tout naturellement et sans façons m'en approcher et lui caresser la tête.

En revanche, si je me promène dans la rue en ville ou dans la campagne et vois un homme ou une femme, que je ne connais pas, n'ai jamais rencontré et trouve sympathique, il ne m'est guère possible tout naturellement et sans façons de m'en approcher et lui caresser la tête.

Trouvez-vous logique et normal qu'il soit plus facile d'aimer une vache inconnue qu'une femme inconnue ?

Trouvez-vous logique et normal qu'il soit plus facile de témoigner son amour à un porc inconnu qu'à un homme inconnu ?

Trouvez-vous logique et normal qu'il soit plus aisé de caresser un âne inconnu qu'un être humain inconnu ?

AU FOU !!! Mais cette folie est ancienne. Et nous y sommes habitués, au point de la considérer comme allant de soi. Et savez-vous au nom de quoi nous ne devons et pouvons caresser la tête d'un homme ou une femme inconnu ? Au nom du « respect » !!! C'est à pisser de rire ! Les humains crèvent la bouche ouverte du manque d'amour. Et celui-ci est prohibé... au nom du respect !

Drôle de respect qui fait mourir de tristesse. Étrange façon d'assurer notre intégrité en nous faisant mourir ainsi. Mais, il n'y a pas qu'ici qu'on peut trouver une telle « inversion des valeurs » qui dresse une muraille entre le bonheur et les humains vivants. Notre monde a porté au pinacle des valeurs imaginaires qu'elle a ajouté à ce respect imaginaire qui fait mourir de tristesse. Ainsi, par exemple, notre société a inventé une valeur qui serait « le travail ». Mais qu'est-ce donc que le travail ?

Moi-même suis très travailleur. Ne me vois pas cultivant l'oisiveté tout au long de l'année. Et si une tâche m'intéresse peut y travailler de très longues heures, quitte même à y passer la nuit entière ! Mais, le « travail », la « valeur travail » c'est toute autre chose. Le fait de « travailler » en soi serait une valeur... Il y aurait en quelque sorte une valeur sueur. S'y opposant serait la paresse « mère de tous les vices ». Pourtant, il existe nombre de grands criminels qui étaient ou sont très actifs et pas feignants du tout. Qui ont même consacré de nombreuses heures d'activités intenses à préparer et réaliser leurs crimes. Himmler, chef de la Gestapo et créateur des camps de concentration nazis était un grand travailleur.

Travailler en soi n'a rien de positif. C'est ce à quoi sert le travail, comment il est fait, avec quel esprit, dans quel but qui importent. Mais ces évidences n'empêchent pas de voir ânonner que le travail c'est bien et la fainéantise (le non travail) c'est mal. Ceux qui ânonnent ainsi, comme la plupart des gens, aiment aussi ne rien faire. Et sont amenés souvent à se cacher pour pratiquer le non travail. Quand on se rend dans un endroit où le grand responsable est en train de buller, on ne vous dira pas : « le chef aujourd'hui ne fout rien » mais : « il va arriver », « il est en conférence », « en déplacement », « en séminaire », « en journée d'études ». Il est « occupé » derrière la porte de son bureau dont il est en fait absent. Ou s'occupe à jouer aux jeux vidéo sur son ordinateur. Ou à faire la cour à la petite stagiaire ou à la secrétaire. Ou a bavarder avec un collègue sur un sujet badin. Voilà quelle est la vérité. Elle est risible et très courante. Il est des plus fréquent-même que « le chef » ne foute rien tout au long de l'année. Ce sont ses subordonnés, parfois baptisés « conseiller spécial » ou « conseiller technique » qui abattent le boulot. Mais, chut ! Il ne faut rien dire. Et surtout pas révéler ce secret de Polichinelle. Sur des dizaines de milliers de responsables de haut niveau, une large part ne fout strictement rien à part palper les avantages matériels ou autres. Et tonner contre les feignants. Seuls les « pauvres » n'ont pas le droit de se reposer. Et les rentes touchées à ne rien faire par les actionnaires n'arrêtent pas d'augmenter. Presque mille deux cents milliards de dollars versés cette année à une cohorte de jean-foutres. En moyenne soixante pour cent de plus que l'année dernière. Cependant que le nombre de pauvres ne cesse d'augmenter. On se demande pourquoi. Voilà des gros qui soutirent tout à la masse des gens, jusqu'à la gamelle du chien et le biberon du dernier né... C'est très logique alors que la misère organisée s'étende.

On parle de « lutter contre l'exclusion ». Comme si « l'exclusion » serait un phénomène naturel d'origine mystérieuse, une fatalité incontournable comme le sel dans la mer ou la teinte bleue du ciel. Luttons contre les excluseurs ! Ils créent le chômage. Mais, à écouter nos chefs politiques, il faut les câliner et sucer car ce sont eux qui créeraient... le travail ! Le problème serait « le coût  du travail » et pas « le coût des actionnaires ». Et il faudrait « réduire le coût du travail » en enrichissant les actionnaires. Avec, par exemple, un « pacte de responsabilités », qui consiste à prendre cinquante milliards d'euros dans la caisse de l'état français et les donner aux ultra riches pour qu'ils se paient avec d'abord notre tête. Car ça doit bien les faire rigoler de nous voir ainsi dépouiller sans réagir autrement que très mollement. Et il faudrait en plus simplifier leur activité de captation de richesses en « simplifiant les lois ».

Ceux qui prennent ces décisions en faveur des ultra riches sont passés directement de leur bureau à la banque Rotschild ou Goldman Sachs à leur bureau au ministère. Leurs intentions n'ont pas changées. Ils travaillent toujours pour les actionnaires. Cette digression du travail jusqu'à l'argent nous amène à considérer une autre fausse valeur, pseudo valeur, valeur imaginaire...

Il s'agit de la soi disant « création de richesses » qui consiste tout simplement à accumuler de la richesse réelle ou imaginaire. Je prends cent milliards en mille endroits différents pour les mettre dans un seul endroit : mon compte bancaire aux îles Caïman, et voilà ! J'ai « créé » de la richesse. Non ! Je n'ai rien créé du tout. J'ai spolié, appauvri, volé la planète et le genre humain. Cette richesse me permettant de jouir d'une autre valeur criminelle et fallacieuse : le « pouvoir ».

Ceux qui en parlent sont souvent appointés par ceux qui le détiennent. D'où le concert de louanges qui émanent des bouches nauséabondes de ces gens-là qui complimentent. Qui sont des faux historiens, pseudo journalistes et vrais courtisans. En quoi « posséder » un pouvoir est-il glorieux ? J'ai déjà du mal à me gérer moi-même et voilà que je devrais m'enorgueillir de décider pour des millions d'autres ? Avec la marge de manœuvres et la somme de dégâts potentiels correspondants ? Et quand on voit comme le monde est gouverné, il n'y a vraiment pas de quoi être fier d'être de ceux qui gouvernent. Leur gestion donne la nausée. Plus il y a de richesses et plus le nombre de pauvres augmente.

Au niveau du citoyen lambda on rencontre une étrange fausse valeur qu'on baptise fréquemment avec un beau mot en cinq lettres : l'amour. Que de fois derrière ces mots on ne trouve que manipulations, apparences, faux semblants, hypocrisie, trahisons, larmes, vulgarité, violence et déchéance morales, prostitution conjugale. Mais, si les apparences sont là, l'essentiel serait là. Le conte de fées a encore de beaux jours devant lui pour alimenter fantasmes, mythes et mensonges.

Comment prétendre favoriser l'amour dans un monde où il est plus aisé et facile de caresser un âne ou un chat qu'un homme ou une femme ?

C'est le propos premier de cette réflexion. Contradictoirement aux horribles usages régnants, je voudrais évoquer trois anecdotes.

Trois concernent le Carnaval.

Ça se passait à Malo-les-Bains, près de Dunkerque, dans les années 2000. Dans cette ville et les autres des alentours, la persistance de l'existence des goguettes a maintenu un immense et joyeux carnaval.

J'étais dans l'immense foule des carnavaleux qui défilait. Quand, soudain je sens une main qui me trifouille la braguette. Je regarde ce qui se passe. Et vois une carnavaleuse trentenaire costumée et grimée qui, pour rire, cherche à me déboutonner ma braguette. Je me suis écarté d'elle en riant.

Elle avait visiblement un peu bu. Plus tard j'ai réalisé que la même chose m'arrivant en temps normal, par exemple dans le métro parisien, m'aurait épouvanté et choqué. Là, ça m'a fait rire et pas choqué du tout. Magie du Carnaval où le monde fonctionne à l'endroit et pas sur la tête comme en temps « normal ».

Autre anecdote, qui se passe une autre année, toujours dans la même région. Je crois que c'était à Bergues ou à Malo-les-Bains. J'avise deux jeunes gens qui se sont déguisés en deux immenses bites roses en érection. Je trouve ça plutôt rigolo et demande à quelqu'un de me photographier entre les deux. Sitôt dit, sitôt fait, avec, au moment de la photo, l'un des jeunes hommes qui, pour me charrier, me met la main au panier. Je n'ai pas été moralement choqué, mais physiquement un peu éprouvé, trouvant qu'il avait eu la main lourde.

Troisième anecdote concernant le Carnaval. Ça se passe à Bergues le soir du défilé. Toute la ville est envahie par les carnavaleux. Et les hommes, selon la tradition, sont travestis caricaturalement en femmes : gros faux seins en plastique, manteaux de fourrures, minijupes, bas résilles, grosses chaussures, perruques fluorescentes, rouge à lèvres...

Une petite jeune femme de vingt-cinq trente ans rejoint un groupe de ses copains juste devant moi. Elle n'a pas un visage très féminin. En revanche, elle a une poitrine et un décolleté extrêmement généreux, vraiment de très gros seins... Elle s'esclaffe et raconte à ses amis ce qui vient de lui arriver. « tout à l'heure un gars m'a mis la main sur les seins et l'a vite retiré horrifié en s'exclamant : ahâh ! Ce sont des vrais ! »

Il l'avait pris pour un homme travesti ! Et voilà le Carnaval !

Dernière anecdote, elle date de plus de quinze ans. J'ai passé huit jours et huit nuits chez une amie italienne au bord du lac de Viverone, dans le nord de l'Italie. Nous avions établi une relation de totale confiance, basée sur l'estime réciproque et une connaissance de plusieurs années. Comme il n'était rigoureusement pas question d'une quelconque relation sexuelle entre nous, notre communication elle-même s'est modifiée. Ce qui fait que, dans le domaine de l'humour, il m'est arrivé de prendre des attitudes machistes pour rire, pour me moquer des machos et dragueurs. Attitudes jouées qui nous faisaient bien rire l'un et l'autre. Alors qu'à l'inverse, dans les conditions « normales » de la société, elles auraient paru agressives et inadmissibles. Il m'est arrivé ainsi de très vulgairement « mettre la main au cul » de mon amie pour rire. Et ce sans recherche de quoi que ce soit de machiste de ma part, ni crainte chez mon amie d'une démarche de cet ordre. Ça s'arrêtait aussitôt et nous riions de bon cœur. La situation était en quelque sorte surréaliste. Nous n'avions plus entre nous de ces conventions qui prétendent que tel geste accepté par l'autre a valeur d'enchaînement conduisant au coït.

Le sommet fut atteint le jour où je cherchais a expliquer en italien à mon amie qu'il arrivait chez les garçons manquant de propreté au dépôt de smegma de se faire sur le frein de la verge. Mais comment m'expliquer ? Je ne connaissais pas le mot « frein » en italien. Alors, comme ça se fait couramment quand on ignore les mots d'une langue étrangère, on use du geste. J'ai sorti ma queue de mon pantalon, décalotté et expliqué... Tout ceci sans aucune intention « sexuelle » ou exhibitionniste. L'instant d'après nous avons quand-même été soufflés tous les deux par le niveau de confiance, neutralité, innocence atteint qu'illustrait ce geste non prémédité de ma part. Le « petit théâtre du sexe » qui prétend abusivement que tel ou tel geste implique la recherche impérative de l'acte sexuel était rigoureusement éliminé entre nous. Nous étions aussi innocents que deux petits enfants.

Une autre fois, comme nous dormions ensemble, mon amie s'est levée le matin, s'est éloigné un peu, a ôté sa chemise de nuit et m'a fait face nue en me disant, si je me souviens bien, ne l'ayant jamais noté : « j'ai pensé que si tu ne voyais pas comme je suis faite il manquerait quelque chose entre nous » ou : « j'ai pensé que si tu ne voyais pas comme je suis faite il te manquerait quelque chose ». Ce geste de sa part, à priori défini en règle générale comme « exhibitionniste », étant fait à cette occasion sans aucun esprit « d'avance » sexuelle. Et bien compris comme neutre et purement visuel par nous deux.

Quand, de retour à Paris, j'ai expliqué à un ami médecin que j'avais passé huit nuits de suite à dormir avec une jolie amie âgée de vingt-cinq ans, sans qu'il se soit rien passé de « sexuel » entre nous, au sens d'accouplement, sa recherche tout au moins, ou au minimum la frustration de ne pas y être arrivé, il a été estomaqué et n'en revenait pas. « Pourtant, a-t-il marmonné, quand on est ensemble comme ça, il y a des besoins... »

Et bien NON ! Ils n'existent obligatoirement justement pas ! Et le croire est un des pires aspects du bourrage de crâne, du conditionnement masculin acquis par l'éducation et étranger aux besoins réels de l'homme.

Croire que des circonstances données, comme par exemple : dormir ensemble avec une jolie fille, impliquent impérativement la baise, mettre son truc dans le machin. Quelle effrayante et destructrice stupidité !

En dépit de mon expérience des huit jours et huit nuits de Viverone, je n'étais pas encore arrivé à être bien clair dans ma tête. Et me débarrasser de l'infâme bourrage de crâne hypersexualisant et imbécile qui m'avait été inculqué. Comme il l'est à d'innombrables millions d'autres.

Ce bourrage de crâne est très bien illustré par trois anecdotes.

J'ai connu il y a plus de trente ans un grand gaillard, gérant de restaurant universitaire, catholique et pas mal macho. Il m'a raconté une histoire qui lui est arrivée un jour.

Il était allé draguer en boîte de nuit. Là, il rencontre une femme. La lumière tamisée aidant, il la trouve à son goût. L'amène chez lui pour conclure l'affaire. Elle se révèle physiquement moche à la lumière pas tamisée. Elle lui raconte ses malheurs : une vie lamentable et déchirante. Déjà le dragueur n'a plus d'appétit. Quand elle se déshabille, c'est pire encore. Elle est sale et pue. Là, il n'a plus du tout envie, mais... il se dit : « on est là pour ça ». Et il « conclue » sans aucun plaisir. Pourquoi ? Parce qu'il a cru, c'est moi qui ajoute, qu'il « fallait » le faire, vue les circonstances. L'affaire était engagée, il fallait la terminer.

J'ai entendu cette histoire. Ce qui ne m'a pas empêché quelques années plus tard d'en vivre une bien similaire.

J'étais seul. Et croyais avoir besoin de baise. Le crâne bien bourré comme des centaines de millions d'autres humains, je me disais : « ce serait bien de trouver l'aventure... »

Celle-ci se présente. Une dame que drague un ami fait à haute voix une réflexion où elle témoigne ouvertement chercher le mâle. Zou ! A l'attaque ! Je lui propose de venir me rendre visite un soir. Le soir arrive avec la dame en question. Là, elle se révèle vulgaire dans ses propos. J'ai horreur de la vulgarité. Jalouse d'une fille dont je suis amoureux transi dont elle aperçoit la photo, et moche, une fois déshabillée. Pire, son sexe a une consistance intérieure ignoble au toucher. Et je fais comme mon gérant de restaurant universitaire. « On est là pour ça. » Quel con ! Et de plus la dame est nulle au lit. Me tournant le dos, elle se colle obstinément à moi. Et je suis obligé de la repousser un peu et de toute la force de mes bras. Pour pouvoir remuer ma queue en elle. J'ai « conclu » et éjaculé, ouf ! Affaire terminée. Nous ne nous sommes jamais revus.

Vous avez faim. Entré dans un restaurant on vous sert un plat dégueulasse. Et comme vous êtres là pour ça (manger) vous avalez ce brouet infâme. Mais c'est STUPIDE !!!

Mais ma connerie ne s'est pas terminée ce soir-là. Bien des années après, j'ai recommencé avec d'autres conséquences. C'est ma troisième anecdote.

Par une coïncidence étrange, la veille de rencontrer cette dame que je vais à présent évoquer, j'ai eu une discussion avec une amie à la buvette des Beaux-Arts de Paris (buvette qui sera par la suite bêtement liquidée par l'administration).

Cette discussion a notamment porté sur la grand mère de cette amie. Un de ses propos rapporté m'a frappé : « quand un garçon et une fille se retrouve ensemble au lit , il y a des choses qui arrivent, elles sont inévitables ». Sous-entendu : ils baisent forcément. Et moi, comme un con, oubliant mon expérience vécue à Viverone, acquiesce dans ma tête. Cet acquiescement allait me valoir bientôt quelques ennuis.

Le lendemain, je fais la connaissance d'une dame dans la queue d'un cinéma. Après le film, on fait un bout de chemin ensemble, on va dans un café, on finit chez la dame, dans son lit et rebelote, la CONNERIE : bien que n'ayant pas de désir particulier je « fais la chose ». Je passe la suite.

J'ai mis cinquante ans en tout pour arriver à comprendre dernièrement cette chose archi-simple : s'agissant de la baise, il faut s'interroger intérieurement. Et ne prétendre faire la chose qu'à la condition impérative d'en avoir effectivement envie. Et jamais simplement parce que « c'est possible ». J'ajoute-même qu'en m'écoutant, je vois bien que la baise ne m'intéresse pas ou guère. Et pourquoi elle devrait m'intéresser ? Pourquoi s'intéresser en théorie à manger quand on n'a pas faim ? Et si la faim de baise ne vient pas, où est le problème ?

Pour noyer le poisson, quand on évoque son peu d'intérêt pour la baise, on voit souvent son interlocuteur dire : « c'est une question personnelle, il y en a qui sont plus motivés que d'autres. Qui ont des besoins plus grands ». Comme si avoir besoin de manger ou pas serait une question d'ordre personnelle !

J'arrive à gérer mon indifférence avec efficacité. Ces temps derniers, j'ai par exemple essuyé les propos très crus d'une dame qui, directement, me propose le lit. M'interrogeant en moi-même et ses propos ne répondant pas chez moi à une faim de baise correspondante, je suis resté indifférent et n'ai ressenti ni excitation, ni émotion. De même quand deux jeunes et jolies filles jouant la provocation sans forcément vouloir aller plus loin m'ont fait des gestes sans équivoques. Pour s'amuser elles mimaient toutes les deux l'acte de masturber un homme. J'ai ri et ce fut tout.

Je me sens appartenir à un groupe différent des groupes dont on parle. Si je vais au restaurant et parle gentiment avec la très jolie serveuse, l'ami qui m'accompagne me dit ensuite que « je drague ». Je sais que ça n'est pas le cas. Et suis dépourvu d'intentions de cet ordre. Mais, à quoi bon me défendre ? Chercher à lui expliquer ? Lui, il est enfermé dans son conditionnement, sa bulle d'incompréhension. Si on parle gentiment avec une très jolie fille, c'est forcément parce qu'on cherche à coucher avec elle. Tant pis si cet ami, par ailleurs fort sympathique, est myope du cul.

Un aspect curieux de la sensualité apparaît dans des récits qui me semblent vraisemblables. Il paraît que certaines prostituées qui baisent professionnellement refusent catégoriquement d'embrasser sur la bouche leurs clients. Le bisou sur la bouche étant réservé à leur amant de cœur.

Une prostituée renchérissant sur ce point déclarait, sans l'analyser, que de son métier le plus pénible était la mauvaise haleine de certains de ses clients...

Et, dernièrement, un article de journal critiquait en les dénonçant les très jeunes filles qui acceptaient facilement de faire des fellations dans les toilettes de leur lycée. Celles-ci arguant que ça n'était pas bien grave, car l'essentiel restait réservé à leur amant de cœur : les bisous sur la bouche.

Ces déclarations concernant le bisou sur la bouche révèle sa différence d'avec les autres gestes tendres, dits : « sexuels ». Le bisou su la bouche relève de l'expression gestuelle amoureuse et signifie : « je t'aime ». La fellation, elle, relève de la toilette. A l'origine c'est un acte hygiénique, pas un acte à caractère sexuel. Cette différence est restée inscrite dans la conscience humaine et se manifeste à l'occasion. Quant au coït sans amour, c'est une très petite chose fade et ennuyeuse.

Les interactions entre Nature et Culture sont variées. Au début des années soixante-dix, un bon cavaleur de la région parisienne, retour de Pologne où il avait été pour des raisons professionnelles, s'esclaffait devant moi. Il avait dragué une petite locale. Et, lui faisant tout ce qu'il désirait, à un moment il racontait avoir pris la tête de la demoiselle pour qu'elle lui fasse un pipe. Et celle-ci s'était révolté et avait refusé avec indignation, s'exclamant : « je ne suis pas une prostituée ! » Telle était l'aventure vécu par ce dragueur. Et qui l'avait étonné. Et faisait rire.

A la même époque, cette pratique se généralisait chez de nombreux habitants de la France. Avec des discours émanant des dragueurs qui se félicitaient et s'interrogeaient sur ce changement. Certains disaient : « aux femmes, ça ne leur fait pas plaisir, quand elles le font, c'est juste pour nous ». On peut se demander comment ils introduisaient cette pratique dans leurs ébats...

La plupart des hommes et aussi des femmes, encore aujourd'hui, sont rigoureusement nuls dans l'art de la caresse. Ils méritent un sextuple zéro pointé en rouge. C'est affolant à quel point ils sont nuls.

La raison se trouve dans leur éducation. Au début de son existence, l'humain est continuellement câliné. Il vit comme une caresse la toilette au gant de toilette tiède sur tout le corps, par exemple.

Il ignore la notion de « sexualité ». J'ai vu ainsi un petit garçon de deux ans se faire toiletter par sa mère et sa tante. A un moment, de plaisir il entre en érection et visiblement veut que ses toiletteuses viennent par là lui passer le gant. Elles se mettent à faire comme si elles ne s'en aperçoivent pas. Le petit garçon contrarié et ne comprenant pas la raison de cette indifférence feinte s'est mis à pleurer.

Pour lui, le zizi était une partie du « corps » comme une autre. Le jour où j'ai écrit ces mots : « Le sexe est une partie du corps comme les autres » et que j'ai donné à mon père à lire le texte où je l'avais écrit, il est entré en fureur. Au point que, surpris, j'ai déchiré mon texte. J'aurais écrit : « l'homosexualité est chose naturelle » ou « j'ai envie de faire l'amour avec des pingouins », il ne se serait pas formalisé. Là, j'avais touché au fond des choses, à un point crucial, sensible, d'où sa réaction.

Après la très petite enfance où déjà apparaissent des barrières culturelles relevant de règles, lois, traditions, interdits, habitudes régissant la sexualité, survient le sevrage tactile. L'enfant n'est plus caressé, car il est « grand ». C'est du moins ainsi que les adultes l'imaginent et l'appréhendent.

Je me souviens très bien d'un moment marquant de ce sevrage. Petit, j'éprouvais un vif plaisir a avoir le dos caressé. Caresse bien innocente et n'ayant aucun caractère qu'on pourrait baptiser « sexuel ». Il s'agissait juste de me glisser une main par le col de mon vêtement et la passer brièvement sur le dos sans aller plus bas que les reins. Étant habillé ça n'aurait pas été possible d'aller plus bas, d'ailleurs, la ceinture de mon pantalon ou de mes culottes courtes s'y opposant.

Et bien, un jour, subitement, ça a cessé. J'en ai beaucoup souffert. Et n'ai rien dit.

Et pourquoi ça s'est arrêté ? Je ne l'ai compris qu'infiniment plus tard : parce qu'aux yeux des adultes j'étais passé de l'état de « petit enfant » caressable à « grand enfant » qu'on ne caresse plus.

Seulement, après ce sevrage tactile, bien plus tard, quand on arrive vers l'époque où s'éveille dans notre organisme les capacités reproductives, renaît le très vif besoin de rapprochement cutané avec les autres. Mais, on a passé presque toute notre vie privé de caresses. On est comme ces poliomyélitiques qui, ayant passé de très longs mois allongés, ne savent plus marcher !

Et on se demande alors que faire ? Quelle place, rôle, cérémonial pour les caresses ? Ce qui n'arrange rien, c'est que la nudité étant proscrite, s'éveille alors en nous un désir maladif de voir la « nudité » cachée. Qui, en fait, est naturelle. Et n'est pas sexuelle. Et on ne sait pas comment faire avec cette envie, ce désir sournois de quelque chose de mystérieux et indéfinissable : « le sexe ». Que les adultes visiblement condamnent, cachent, traitent bizarrement. On a l'impression de passer de l'état d'individu à l'état de « chose sexuelle » consommable. C'est traumatisant, troublant.

On a envie de caresses. On ne sait que faire de nos érections. On nous convaincra qu'on a forcément envie de baise. La baise serait l'astre du jour. La caresse tout au plus une pâle lune annexe.

Et alors, la merde commencera. Que n'arrangeront ni le ruisseau ou le torrent de la commerciale pornographie, ni les obsédés sexuels d'âges plus avancés ou non que nos pas croiseront.

De plus, on verra quantité de filles considérer leur cul encore frais et appétissant, avant l'inéluctable flétrissement de la vieillesse, comme un « placement boursier ». Elles se diront : « on va caresser, écarter les jambes. Et, en échange, on obtiendra, exigera l'exclusivité du cul, le partage des factures d'électricité. Et de finirent notre vie dans la solitude à deux et la jalousie vénéneuse. »

Ce projet résulte de la condition économique de la femme. Son travail domestique n'est ni reconnu, ni bien sûr rémunéré. Ses enfants dépendent de la richesse des parents au plan matériel. D'où sa vision prostitutionnelle de l'amour. Ce phénomène durera tant que le travail domestique ne sera ni reconnu, ni rémunéré. Et que la tranquillité matérielle des enfants ne sera pas garantie par la collectivité indépendamment des ressources matérielles des parents et de leur capacité à les gérer.

L'ignorance de la physiologie humaine n'empêche pas celle-ci d'exister. Avec l'âge, les humains égarés, à la recherche du nirvana sexuel qui n'existe pas, iront de plus en plus mal côté cul. Ils confondent désir et excitation génitale ? Celle-ci retombera de plus en plus vite après chaque aventure bidon. Pour finir, au bout d'un certain temps, par se bloquer et refuser de fonctionner. On ne bandera plus. Et alors, au lieu de réfléchir, on prendra du Viagra ou du Cialis. On bandera. Et en baisant on ne sentira rien. L'homme est tellement bête quand il ne se sert pas de sa tête. Il fait de très grands efforts pour assurer son malheur et celui de ses proches. Et ses efforts sont récompensés !!

Basile, philosophe naïf, Paris le 18 novembre 2014

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