Plus que la raison
notre pensée suit une modalité de fonctionnement de notre intelligence qui grève
celle-ci : les habitudes de penser. Quand nous sommes habitués à
raisonner d'une certaine façon, à appréhender certaines choses d'une
certaine façon, il devient extrêmement difficile de sortir de cette
manière de penser, d'arriver à penser autrement. On reste en quelque
sorte collé à une forme de penser et on éprouve de la difficulté à s'en
arracher.
Devenant adolescent, j'ai commencé à l'âge de treize ans à m'interroger sur le comportement humain, souhaitant trouver et suivre celui qui était juste. Je viens d'arriver au bout de cette réflexion. J'ai mis cinquante années à m'extirper d'une
des plus vicieuses trappes où la pensée libre est dégringolée il y a
très longtemps : celle consistant à considérer qu'il existe une
"sexualité", alors qu'il en existe en réalité deux : la sexualité
naturelle et la sexualité intellectuelle.
La première :
il s'agit d'un sentiment qui surgit et, comme une faim particulière,
incline à une envie d'accouplement. La seconde : il s'agit d'un
raisonnement, l'acte parait mécaniquement possible, alors pour diverses
raisons, on cherche ou rêve à le réaliser. Contrairement aux apparences,
ces deux démarches sont rigoureusement différentes. L'une relève de
l'instinct, la Nature, l'autre relève de la culture, des idées.
La
prétention à faire de la sexualité intellectuelle un phénomène naturel, impératif et incontournable
entraine des conséquences désastreuses et catastrophiques sur la vie et
la société humaine.
Elle est la source de tous les maux causés par l'homme à l'homme.
Je
me souviens avoir surpris un jour dans un lieu public une bribe de conversation entre deux
femmes. L'une expliquait à l'autre : "tu comprends, je ne peux pas vivre
trois semaines sans faire l'amour. Alors, si mon compagnon s'absente
durant plusieurs semaines, je suis obligé d'aller (au lit) avec un
autre, durant ce temps-là."
Prétention stupide : il
est parfaitement possible de ne pas "faire l'amour" durant des
semaines, des mois, des années... La "Nature" et les "besoins" ont bon
dos. J'ai eu l'occasion de passer dix années sans "faire l'amour". Et n'en suit pas devenu fou ou dépressif pour autant.
Je lisais hier dans un journal qu'un homme arrêté
après avoir commis au moins six viols expliquait qu'il avait des
besoins irrépressibles qui le conduisaient à agir ainsi. Encore des
propos auto-justificateurs qui prétendent reposer sur une "réalité"
imaginaire.
Ou alors ce prétendu besoin naturel représente une forme de boulimie. Dans ce cas, il faut se soigner.
La sexualité intellectuelle du fait de son omniprésence empêche la plupart du temps des rapports réels entre adultes.
Elle prétend faire du "plaisir" le but de la rencontre homme-femme, plaisir "sexuel", c'est-à-dire recherche de l'accouplement.
On
va tuer la tendresse au nom de la soi-disant finalité "sexuelle" de
celle-ci. Si une femme aime être caressée, va-t-elle accepter des
caresses ? Le plus souvent non et pourquoi ? Parce que si elle les
accepte cela signifie accepter l'acte sexuel. Et si elle accepte ce
dernier, elle n'acceptera pas des caresses mais des "préliminaires", ce
qui n'a pas grand chose à voir. C'est très nul et très sommaire, on ne
vit pas l'instant présent.
Une femme, un jour, il y a des années, alors que nous bavardions tranquillement chez elle, m'a surpris en me mettant ma main directement dans sa culotte. Après, elle m'a engueulé parce que je n'avais pas "assumé" la situation. C'était très misérable et n'était pas de la tendresse.
Le but de manger est-il le
plaisir ou se nourrir ? Non, le but de manger est manger. Le plaisir
peut l'accompagner mais n'en est pas le but. Et la finalité : se
nourrir, certes existe et est importante, mais n'est pas la première et
unique raison.
Si on ne mange que pour le plaisir, on
peut se goinfrer. Si on ne mange que pour se nourrir, autant avaler des
comprimés vitaminés plutôt qu'une belle entrecôte !
S'agissant
de la relation homme-femme, on peut faire un parallèle : le but de la
rencontre est-il le plaisir ou la reproduction ? Non, le but de la
rencontre est la rencontre. Le plaisir peut l'accompagner. Il peut
arriver aussi que la rencontre débouche sur la reproduction.
La
Nature elle-même répond à la prétention stupide de faire de la
reproduction le seul objet de la rencontre homme-femme. Seules 38 % des
très jeunes filles tombent enceintes en cas d'un premier rapport sexuel non
protégé.
Une jeune fille me disait récemment : "je
refuse de faire du naturisme. Je ne veux pas qu'un vieux de soixante ans
commence à me détailler". On dira que c'est de la pudeur. En fait,
c'est un propos très juste qui exprime le refus de se sentir traité comme un meuble
sexuel potentiel. Un objet dans le cadre de la sexualité
intellectuelle.
La pornographie est elle-même une
expression de la sexualité intellectuelle : les personnes qui s'adonnent au sexe
devant les caméras ou appareils photos se donnent rendez-vous pour
réaliser un programme raisonné, pas pour exprimer leurs libres
aspirations à des caresses. Et, essayez d'être détendus et sans idées
dans la tête face à des appareils enregistreurs de documents
iconographiques que vous savez aboutir sur Internet en échange d'argent !
La
plupart des gens raisonnent leur tendresse, l'intègrent au sexe
intellectuel, ne sont pas libres dans leurs mouvements, leurs
aspirations. Leurs habitudes de penser les brident. Elles ne sont pas libres en général. Leurs sentiments sont
assortis de pesants handicaps semblables à des chaînes et des boulets.
La liberté ne se trouve qu'au bout d'un long chemin et consiste à se
débarrasser de la prétention à raisonner la sexualité. Il faut la voir
pour ce qu'elle est vraiment. Ensuite, tout ne sera pas possible, mais
rien de bien n'est possible quand on ignore la réalité. Réalité plus
belle que tous les rêves et fantasmes qui encombrent la tête des humains
et témoignent de leur faim.
Une antique sagesse zen dit :
"l'idiot qui regarde un lac, voit un lac. Celui qui cherche, regarde un
lac et voit plus qu'un lac. Le sage qui regarde un lac, voit un lac".
Avec le sexe, c'est pareil. Mais il faut beaucoup de temps pour cesser d'être
idiot et devenir un sage.
Et le monde devient, à le considérer, infiniment plus calme et tranquille, loin de toutes superficielles agitations. Semblable au lever du soleil sur un étang endormi dans la brume du matin. Seules rumeurs, quelques cris d'oiseaux lointains. Et, une grenouille invisible dans les roseaux, dérangée par la brise, qui saute à l'eau. Et puis remonte sur la feuille d'un nénuphar. C'est le matin du premier jour d'une nouvelle vie.
Basile, philosophe naïf, Paris le 1er mai 2014
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