La langue utilisée
habituellement est faible, pauvre. Avoir envie de pisser est un état
particulier. Il n'existe pas de mot pour le désigner. Avoir été
aux toilettes « couler un bronze » amène un sentiment de
soulagement qu'aucun mot ne qualifie. Si on envisage d'aller
participer à quelque chose il existe l'espoir que ça se passe bien,
ou, à l'inverse, l'idée que ça ne se passera pas bien. En résumé
: espoir ou déception. Or il existe un troisième état bien plus
juste, que j'ai éprouvé hier.
J'avais une agréable
réunion en perspective et n'avais pas trop envie d'y aller. Ma
première manière d'y penser est que je ne veux pas y aller. Ma
deuxième ensuite est de me dire que je ferais peut-être là-bas
d'intéressantes rencontres. Enfin, que celles-ci d'emblée
intéressantes pourront se révéler décevantes. Alors je ne veux
plus y penser. Et me vient enfin une troisième manière
d'appréhender l'événement : simplement je suis prêt à y aller.
Et agir en fonction de ce qui s'y passera. Je m'octroie un espace de
probabilité libre pour ce moment-là. Rencontres, absence de
rencontres, bonnes, mauvaises, décevantes, pas décevantes. Ce vide
à remplir est libre d'être rempli en fonction de ce qui se passera.
Je l''entrevois sans aucune précisions. Plutôt qu'un espoir ou un
refus, je mets une ouverture, une vacuité : pas d'attente ou de
crainte. Y aller et voir, tout simplement. Ce sentiment juste et
adapté à la situation ne corresponds pas à un mot existant dans la
langue française. Les mots sont des outils. Ils sont parfois piégés,
car leur signification est piégée à la façon d'un objet piégé
qui vous explose à la figure. Les mots peuvent être piégés ainsi
que les situations auxquelles ils font références. La nudité c'est
l'innocence, le vêtement l'indécence et la culpabilité. Soit, je
peux le penser. Mais si je sors nu de chez moi, ça corresponds à
une provocation sexuelle. Parce que la nudité a eu droit à une
définition qui a cours. Elle est fausse, totalement fausse, et
absolument admise. Je peux sans choquer dire que je commence mon
repas avec du sucré, que je ne bois pas de lait ou ne mange pas de
viande. En dépit de l'originalité de mon comportement, la plupart
des gens comprendront de quoi il s'agit. En revanche, si je dis que
je vais aller cul nu dans la rue, la plupart des gens ne comprendront
pas que je remets en question la règle qui prétend sexualiser
arbitrairement la nudité. Mais considérerons que je fais du
scandale, de la provocation, que je suis fou. On accepte sans
problèmes que quelqu'un n'aime pas les fruits ou le lait. Mais si
vous affirmez que « le sexe » ne vous intéresse pas
particulièrement, ça passe beaucoup plus difficilement. On n'a pas
le droit de ne pas aimer passionnément le sexe. Et pourquoi
devrait-on l'aimer passionnément ?
Quand on regarde les
médias, on y voit régulièrement fleurir des sondages fantaisistes;
Où la très grande majorité des habitants de la France se déclarent
« heureux en amour » et faire la bagatelle régulièrement
et trois ou quatre fois par semaine. Il suffit d'ouvrir les yeux et
les oreilles pour comprendre que c'est archi-faux. Les concerts de
grincements de dents et de lamentations sont des plus fréquents. Et
si la population serait si heureuse, pourquoi il y a tant de suicides
pour raisons sentimentales, tant de dépressions et de kilos de
tranquillisants, anti-dépresseurs et anxiolytiques avalés pour les
mêmes raisons ? Sans oublier les conduites à risques et usages
d'alcool et autres drogues pour oublier les soucis dit « amoureux »
? Sortir du cercle infernal de l'ultimatum d'être seul à crever ou
devoir se lancer dans des relations bancales est des plus difficiles.
Vous voulez des câlins ? Oui, mais le moindre touché entre adultes
signifie des avances sexuelles, ou des échantillons gratuits pris,
volés et toujours « sexuels ». Vous voulez revoir une
jolie personne qui vous plaît ? Le seul fait de solliciter un
rendez-vous a la même pesante signification pleine de sous-entendus.
Quémander le numéro de téléphone d'une belle revient déjà à
chercher à mettre le nez dans son slip. Impossible de simplement
vouloir la revoir. La chose la plus innocente qui soit est
rigoureusement impossible la plupart du temps : dormir avec
quelqu'un. Dans notre société malade de trop « y penser »,
« coucher avec », « dormir avec », « aller
au lit avec », signifie obligatoirement : « baiser ».
Ne cherchez pas un moyen pour dire que vous voulez seulement dormir,
les mots n'existent pas. La langue est faible, débile, orientée en
dépit du bon sens.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 1er octobre 2014
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