L'homme produit de la
morphine naturelle, baptisée endomorphine. Comme elle s'élimine
naturellement, on a cru qu'elle ne présentait pas de danger. En
fait, sa production suivie de son arrêt brusque peut amener une
sensation de manque telle qu'elle invite au suicide. J'en ai fait la
triste expérience plusieurs fois. Ayant largement gâtisé sur une
demoiselle, l'amour se révélant manifestement hors de portée,
l'arrêt consécutif de la pompe à endo me poussait au
désespoir.
J'ai connu ainsi tout
particulièrement une longue période de gâtisme endomorphinique
pour une demoiselle. Je me souviens d'avoir passé une soirée au
restaurant à Meaux avec elle. Je la regardais et me droguais
littéralement. C'était de l'alcoolisme endomorphinique. Se saouler
ainsi, est-ce le but de la vie ? Même si c'est très agréable ? Et
surtout, où ça mène ? Comment ça fini ? A quel prix ?
Par la suite, ce fut
pire. Elle était malade. Ça la rendait insupportable, invivable,
ingérable. Et moi, tout content, continuais à actionner ma pompe
à endo en me disant : « comme je suis quelqu'un de bien !
Je ne l'abandonne pas parce qu'elle est malade ! Je suis le meilleur
! » Sauf quelques-uns, tout le monde m'encourageait. A la fin,
mon amie me fit le cadeau d'une rupture, arrêtant ainsi la casse.
Mais l'arrêt signifié à ma pompe à endo m'a mis moralement
par terre pour une année et demi.
Ce qui m'a sauvé, c'est
que ma pompe à endo ne marchait pas que pour mon amour, mais
aussi pour d'autres choses agréables, en premier chef le Carnaval de
Paris. Le Carnaval m'a sauvé.
Mais le manque d'Amour...
Aaaaah ! L'Amuuuuuuuuuuuuuur !!!
Pour l'indécrottable
poète que je suis, j'en revoulais. Comme le chien qui prend de très
violents coups de son maître adoré et s'obstine à lui lécher les
mains !
Après dix-huit mois de
convalescence, me voilà donc prêt à prendre de nouveaux coups Et
servir de punching ball aux belles créatures. Arrive le 24
septembre de cette année. Je fais une rencontre.
C'est une jeune et
charmante fille que je vois pour la première fois. Et ma pompe à
endo s'emballe. Pourquoi pour cette fille et pas pour une autre ?
Qu'a-t-elle donc de si « morveilleux » ? C'est comme une
vibration à l'unisson avec elle. J'ai déjà connu ça il y a très
longtemps, avec ou plutôt pour, une jeune fille de dix-sept ans qui
s'appelait Ghislaine. J'avais vingt-deux ans et sortais d'une
histoire d'amour douloureuse, ma première déception amoureuse. J'ai
rencontré Ghislaine, c'était la sœur d'une amie. Avec Ghislaine,
j'ai ressenti une douceur, une harmonie, une beauté, une certitude
pour aller vers ELLE. Pourtant, je l'ai très vite rejeté avec une
indifférence feinte. Car je venais de me faire emberlificoter dans
une « histoire d'amour » amère et fuyais les
demoiselles. Au fond de moi je vibrais pour Ghislaine. Elle était
même amoureuse de moi. La pauvre, je l'ai repoussé. Et ce fut fini,
il y a de cela quarante-et-une années. Par la suite je l'ai
regretté. Peut-être sans raison valable et à tort. Car j'ignore au
fond ce qui aurait été possible si nous étions allés plus loin.
Je ressens donc pour une
nouvelle rencontre cette « vibration Ghislainienne ».
Mais enfin, pourquoi pour cette nouvelle rencontre, pour la
demoiselle L, et pas pour une autre personne ? Mystère.
Je décide alors de faire
confiance à l'amour. Pour l'amour, ignorer plan de vie ou recherche
de baise, jalousie possible et anticipée, « fidélité à un
fantasme, une idée ». J'ai une expérience à faire. Je la
ferai. Mais, il y a des risques d'ennuis graves à se laisser
conduire ainsi. J'en sais quelque chose..
J'écris alors un texte
pour mon blog, le publie et l'envoie aussi à une amie, qui approuve
ma démarche exposée. C'est le texte numéro 279, intitulé :
« L'amour surgit quand on ne l'attend pas ».
J'ai vu L dans un café
associatif. J'ai très envie de la revoir. Je retourne le soir-même
au café. Elle n'est pas là. Mais je suis content, j'ai suivi mon
sentiment. Le chien piste celle qui lui foutra des coups de pied. Il
est très joyeux. C'est un projet sans issue, complètement fou,
mais... soyons fou !
Une semaine doit passer,
car L doit revenir le jeudi suivant. Mais, voilà, aïh ! aïh ! aïh
! Chose qui n'était jamais arrivée, la cuisinière du café tombe
malade et le café n'ouvre que partiellement et tard l'après-midi
durant quelques jours. Il ne sera pas possible de revoir L jeudi, qui
vient normalement aider la cuisinière à midi. Pour revoir L, il
faudra attendre en tout quinze jours et le jeudi d'après.
Le jeudi d'après arrive.
Je réalise que j'ai peur d'aller retrouver L. Crainte de nouvelles
catastrophes « amoureuses » ? Tant pis, j'irai. Je veux
avancer. Comprendre comment ça marche et où ça mène « l'amour ».
Et si possible aller bien, même très bien un jour, j'ignore quand,
dans ce domaine.
J'arrive vers midi jeudi,
c'était donc hier, au café associatif. Comme ça me paraît loin
aujourd'hui ! C'était il y a dix ans au moins ! L n'est pas là.
Renseignement pris, elle doit arriver à treize heures.
Treize heures arrive, la
voilà ! Je la vois se diriger vers un grand placard servant de
penderie. Comme je m'approche, je l'aperçois de dos, le bas de son
dos légèrement visible laisse apercevoir l'amorce de la raie des
fesses au dessus de sa ceinture... Je la salue. Peu après ai à
nouveau mon regard attiré par une portion dénudée de son dos entre
le haut de son pantalon et le haut de ses vêtements. Sa peau est
belle et fine. J'arrête immédiatement ces divagations de ma pensée.
Je n'ai pas envie de m'abandonner à des fantasmes plus ou moins
érotiques. Stop ! Ce serait facile de partir dans une sorte de
masturbation cérébrale. Rêver à toutes sortes de choses. Je
refuse. Il s'agit d'explorer l'amour, pas de m'abrutir avec des
fantasmes qui ne servent à rien et font finalement mal.
Je parle avec L. Perçois
à nouveau en moi en lui parlant cette vibration ghislainienne : à
nouveau la même question sans réponse me vient : « qu'a-t-elle
de plus que d'autres que je croise dans la rue ou connais ? »
Mystère. Pourquoi les jolies filles que je croise dans la rue ou
connais ne suscitent-elles pas en moi cette vibration ? Pourtant, il
y en a de très bien, pleine de qualités. Je n'ai pas de réponse.
Ce jeudi-là, je m'en
vais assez vite, car j'ai un rendez-vous médical. Un peu plus tard,
au sortir de celui-ci, je me demande ce que je vais faire. Retourner
la voir ? Je sens de nouveau la peur. Est-ce risqué ? Tant pis, j'y
vais ! Je retourne au café associatif. Elle n'est pas là. Elle est
déjà partie...
Je prends un café, puis
quitte l'établissement et me dirige à pied vers chez moi. En
chemin, je vois un homme un peu âgé qui prend des photos de ma rue.
J'engage la conversation avec lui. Il m'apprend qu'il prépare une
randonnée de retraités dans mon quartier.
Je lui parle du café
associatif. Il ne connaît pas. Peut-être son groupe pourrait-il y
déjeuner le jour de la randonnée ? Je lui propose de le conduire au
café. Nous y allons. Et là, surprise ! L est là.
Nous parlons un peu
ensemble. Il se révèle à moi que c'est une gentille fille, pas
intéressée du tout spécialement par moi. Ma conversation l'ennuie
visiblement. Je lui esquisse un dessin pour illustrer une invitation
à un événement qu'elle prépare. Ce dessin, visiblement, ne lui
plaît pas particulièrement. Elle l'apprécie verbalement
positivement par simple politesse formelle.
Et là, soudain, le
charme s'effondre. La grenade dégoupillée se neutralise. La
vibration disparaît.
En fait, j'avais peur de
la revoir, car je craignais l'arrêt consécutif de ma pompe à
endomorphine, l'arrêt des fantasmes sur L. Arrêt qui vient
justement de se se produire brusquement à son contact.
Dans l'après-midi,
ensuite, je ressens à mon retour chez moi, une petite souffrance. Je
suis pleinement conscient que ça n'est que le résultat de l'arrêt
de la pompe à endo (PAE) à propos de L.
Je vais combattre ce mal
avec le plaisir d'écrire dans Wikipédia. La souffrance passe très
vite.
Les endomorphines donnent
du plaisir et aussi anesthésient et rendent bête.
La recherche de ce
plaisir, cette anesthésie, cette bêtise, explique beaucoup de
comportements humains.
Fréquemment, l'homme
cherche à enclencher sa pompe à endo ou augmenter la
quantité qu'elle émet. Pour trouver son plaisir et l'anesthésie de
toutes ses souffrances, y compris la peur. Par exemple, il
recherchera l'héroïsme, le sacrifice, dans lesquels il puisera une
ample ration d'endo. Mon père m'a fait remarquer que les
bonzes qui s'immolaient par le feu au Vietnam avaient un visage
serein. Ce que j'explique par la certitude qu'ils avaient de se
sacrifier utilement pour leur communauté, par amour pour elle. Ce
qui les rendait insensibles aux flammes qui les dévoraient.
Quand j'ai eu un accident
de la route le 11 novembre 1978, j'étais très amoureux. J'ai eu le
sentiment qu'il fallait alors que je concentre ma pensée sur l'objet
de mon amour. Le résultat est que je n'ai pas eu mal. Y compris
quand l'interne qui me recousait la figure sous anesthésie local, en
s'excusant, a complété sa couture avec deux points hors de la zone
insensibilisée. Durant le temps où il m'enfonçait son aiguille,
j'ai littéralement crié en pensée le prénom de ma bien aimée.
Par la suite, je n'ai pas donné d'explications précises de ma
démarche à l'interne. Quand je lui ai dit que je n'avais pas eu mal
suite à mon accident. Il m'a simplement dit : « vous avez eu
de la chance de ne pas avoir eu mal ». Il avait certainement
déjà rencontré des cas d'auto-anesthésie similaires au mien.
Une souffrance classique
chez les humains est la terreur de la mort. Le matérialisme insiste
sur le fait que seules la matière et la vie périssables existent. Le
spiritualisme, lui, affirme qu'il existe autre chose. Les valeurs
spirituelles sont intemporelles. Les valeurs matérielles, à
l'inverse, sont marquées par le temps. Si on est riche, en mourant,
on n'emporte rien. On n'a jamais vu un coffre-fort suivre un
enterrement. Cet abandon des richesses matérielles souligne la
rupture de fin de vie. Les riches, attachés à leurs bien matériels,
ont généralement plus peur de la mort que ceux qui ne possèdent
rien, ou pas grand chose.
Les personnes
matérialistes qui, en fin de vie, sont entourées d'amour, peuvent,
grâce aux endo qu'elles vont s'auto-administrer alors
anesthésier leur peur. Cette peur peut s'exacerber chez les riches.
Car ils s'attachent à des valeurs matérielles qu'ils savent devoir
laisser en mourant.
C'est pourquoi ils vont
essayer de transformer ces valeurs matérielles en valeurs
spirituelles. L'héritage, qui leur permet de perpétuer leur fortune
et la conserver dans la famille au delà de la mort. La tombe
monumentale appelée à durer des siècles, comme le Taj Mahal.
L'ensevelissement de trésors, comme Toutankhamon, trésors sensés se
conserver pour l'éternité dans le tombeau. Ou alors faire le bien,
par exemple, comme certains l'ont fait, par le don de la moitié de
leur fortune à des œuvres humanitaires. Un milliardaire a choisi de
créer une fondation pour gérer son empire, afin de « rester
en vie » d'une certaine façon, après sa mort. D'autres riches
se sont identifiés à une œuvre qu'ils ont créé et qui se
poursuit après leur mort. Comme la comtesse de Lariboisière, qui,
par un immense legs en 1851, a assuré la création du grand hôpital
parisien qui porte son nom.
La spiritualisation de
valeurs matérielles peut aussi servir à des manipulations au
service de causes horribles. De toutes manières, il faut se méfier
des endo. Leur recherche exacerbée nous conduit dans le mur,
à la divagation. L n'est pas pour moi. Il n'y a aucun amour partagé pour
moi. Et alors ?
Basile, philosophe
naïf, Paris le 10 octobre 2014
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