Ce qui est nouveau est
inconnu. Et l'inconnu fait peur. Si ce qui est nouveau est grand, ce
sera une grande peur, la panique, l'épouvante. Et s'il s'agit d'une
chose, un phénomène, un comportement tellement ancien qu'on l'aura
oublié, ce sera comme si c'était neuf, nouveau, donc inconnu. Et ça
suscitera pareillement la peur. J'en ai vu des exemples concrets. En
juin 1994, je tenais une petite réunion pour la renaissance du
Carnaval de Paris. Nous étions juste quatre. Il s'agissait de
planifier le retour à Paris du cortège carnavalesque traditionnel
de la Promenade du Bœuf Gras. Soit faire défiler en musique un
bovin avec quelques costumés. Ce qui n'était plus arrivé à Paris
depuis le 20 avril 1952. Une fête bon enfant, rien à craindre de
particulier. Mais quand, vers la fin de la réunion j'ai annoncé :
« bon, nous décidons de sortir le cortège du Bœuf Gras le
dimanche 6 mars 1995 », ce fut la panique générale. Deux des
présents s'empressèrent de me contredire. Non, me faisaient-ils
remarquer, avant de décider quelque chose il faut absolument voir ce
qu'en pensent les autorités. J'ai compris alors qu'ils seraient
contre et ne voudraient décider en aucun cas. Je n'ai pas insisté.
Et quelques temps après j'ai pris seul la décision de faire
renaître ce cortège. Comme il fallait obtenir une autorisation pour
défiler dans Paris, j'ai eu après l'occasion d'en parler avec un
commerçant parisien riche et pourvu de nombreuses relations y
compris politiques. Il m'a dit connaître deux personnalités, entre
autres, dont il m'a cité les noms. Mais, m'a-t-il soutenu pour
obtenir l'autorisation de défiler ? Nullement, il m'a laissé me
débrouiller tout seul.
Dans ces deux cas,
l'unique raison paralysant la volonté d'agir de ces hommes : la peur
de l'inconnu. Même particulièrement inoffensif l'inconnu fait peur.
Ici, en l'occurrence, promener un bovin vivant en musique dans Paris.
Au lieu d'agir : la fuite. Cet exemple illustre un phénomène
général chez les humains. Avec des enjeux autrement plus grands,
nous assistons à présent ces jours-ci aux conséquences de la même
panique devant l'inconnu.
L'évolution de
l'économie mondiale a fait disparaître les bases de deux phénomènes
gigantesques et très anciens : l'OGT et l'EGP. L'OGT, c'est
l'Obligation Générale de Travailler, la « lutte pour
la vie ». Depuis la nuit des temps, la plupart des humains
affrontent la nécessité de s'épuiser au travail pour échapper à
la famine. Or, l'élévation fantastique des capacités de production
rend la nourriture potentiellement d'accès facile, sans nécessiter
en échange de très longues et pénibles heures de labeur. La
possibilité pour des centaines de millions de gens de ne rien foutre
de leur sainte journée et avoir malgré tout de quoi manger est
arrivée. C'est une formidable révolution ! D'un autre côté, la
base de l'EGP qui est l'Extraction Générale de Profits a
disparu elle aussi. De quoi s'agit-il ? Il s'agit de la volonté
d'une minorité d'exploiter sans limites le travail des autres pour
jouir de la richesse. Or, là aussi, l'élévation fantastique des
capacités de production conduit à la remise en question des normes
habituelles. Les très riches ont tout ce qu'ils veulent. Et voilà
qu'ils peuvent obtenir encore plus de milliards... qui ne leur
serviront rigoureusement à rien, puisqu'ils n'auront aucune capacité
pour les dépenser. Si riches soient-ils, ils ne mangent pas plus de
trois fois par jour !
Cette situation
proprement révolutionnaire remet en question deux des fondements
immémoriaux de la société humaine. C'est un saut dans
l'inconnu. Il faut repenser la société, son organisation. Mais
alors, comme il s'agit de l'inconnu, pour de très grandes choses, la
panique absolue s'empare des hommes et femmes décideurs. Et que nous
proposent-ils ? Un retour au XIXème siècle. Je suis né en 1951,
toute mon enfance et ma jeunesse j'ai été bercé par le souvenir
des 40 heures gagnées par la grève générale de 1936 en France.
Que nous propose aujourd'hui notre gouvernement en France ? La
semaine de 60 heures, les apprentis travaillant 40 heures par
semaine, et tout un tas de fantômes du passé remis au goût du
jour, si j'ose dire. Et pourquoi ce discours absurde et qui révolte
? Parce que nos décideurs politiques sont paniqués face à la
perspective d'un monde nouveau et encore inconnu pour eux, où il
fera bon vivre pour tous sans mourir au travail ou au moins s'y
épuiser.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 2 mars 2016
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