mercredi 2 mars 2016

520 La peur de l'inconnu aux origines de la loi El Khomri

Ce qui est nouveau est inconnu. Et l'inconnu fait peur. Si ce qui est nouveau est grand, ce sera une grande peur, la panique, l'épouvante. Et s'il s'agit d'une chose, un phénomène, un comportement tellement ancien qu'on l'aura oublié, ce sera comme si c'était neuf, nouveau, donc inconnu. Et ça suscitera pareillement la peur. J'en ai vu des exemples concrets. En juin 1994, je tenais une petite réunion pour la renaissance du Carnaval de Paris. Nous étions juste quatre. Il s'agissait de planifier le retour à Paris du cortège carnavalesque traditionnel de la Promenade du Bœuf Gras. Soit faire défiler en musique un bovin avec quelques costumés. Ce qui n'était plus arrivé à Paris depuis le 20 avril 1952. Une fête bon enfant, rien à craindre de particulier. Mais quand, vers la fin de la réunion j'ai annoncé : « bon, nous décidons de sortir le cortège du Bœuf Gras le dimanche 6 mars 1995 », ce fut la panique générale. Deux des présents s'empressèrent de me contredire. Non, me faisaient-ils remarquer, avant de décider quelque chose il faut absolument voir ce qu'en pensent les autorités. J'ai compris alors qu'ils seraient contre et ne voudraient décider en aucun cas. Je n'ai pas insisté. Et quelques temps après j'ai pris seul la décision de faire renaître ce cortège. Comme il fallait obtenir une autorisation pour défiler dans Paris, j'ai eu après l'occasion d'en parler avec un commerçant parisien riche et pourvu de nombreuses relations y compris politiques. Il m'a dit connaître deux personnalités, entre autres, dont il m'a cité les noms. Mais, m'a-t-il soutenu pour obtenir l'autorisation de défiler ? Nullement, il m'a laissé me débrouiller tout seul.

Dans ces deux cas, l'unique raison paralysant la volonté d'agir de ces hommes : la peur de l'inconnu. Même particulièrement inoffensif l'inconnu fait peur. Ici, en l'occurrence, promener un bovin vivant en musique dans Paris. Au lieu d'agir : la fuite. Cet exemple illustre un phénomène général chez les humains. Avec des enjeux autrement plus grands, nous assistons à présent ces jours-ci aux conséquences de la même panique devant l'inconnu.

L'évolution de l'économie mondiale a fait disparaître les bases de deux phénomènes gigantesques et très anciens : l'OGT et l'EGP. L'OGT, c'est l'Obligation Générale de Travailler, la « lutte pour la vie ». Depuis la nuit des temps, la plupart des humains affrontent la nécessité de s'épuiser au travail pour échapper à la famine. Or, l'élévation fantastique des capacités de production rend la nourriture potentiellement d'accès facile, sans nécessiter en échange de très longues et pénibles heures de labeur. La possibilité pour des centaines de millions de gens de ne rien foutre de leur sainte journée et avoir malgré tout de quoi manger est arrivée. C'est une formidable révolution ! D'un autre côté, la base de l'EGP qui est l'Extraction Générale de Profits a disparu elle aussi. De quoi s'agit-il ? Il s'agit de la volonté d'une minorité d'exploiter sans limites le travail des autres pour jouir de la richesse. Or, là aussi, l'élévation fantastique des capacités de production conduit à la remise en question des normes habituelles. Les très riches ont tout ce qu'ils veulent. Et voilà qu'ils peuvent obtenir encore plus de milliards... qui ne leur serviront rigoureusement à rien, puisqu'ils n'auront aucune capacité pour les dépenser. Si riches soient-ils, ils ne mangent pas plus de trois fois par jour !

Cette situation proprement révolutionnaire remet en question deux des fondements immémoriaux de la société humaine. C'est un saut dans l'inconnu. Il faut repenser la société, son organisation. Mais alors, comme il s'agit de l'inconnu, pour de très grandes choses, la panique absolue s'empare des hommes et femmes décideurs. Et que nous proposent-ils ? Un retour au XIXème siècle. Je suis né en 1951, toute mon enfance et ma jeunesse j'ai été bercé par le souvenir des 40 heures gagnées par la grève générale de 1936 en France. Que nous propose aujourd'hui notre gouvernement en France ? La semaine de 60 heures, les apprentis travaillant 40 heures par semaine, et tout un tas de fantômes du passé remis au goût du jour, si j'ose dire. Et pourquoi ce discours absurde et qui révolte ? Parce que nos décideurs politiques sont paniqués face à la perspective d'un monde nouveau et encore inconnu pour eux, où il fera bon vivre pour tous sans mourir au travail ou au moins s'y épuiser.

Basile, philosophe naïf, Paris le 2 mars 2016

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