jeudi 28 novembre 2013

177 La misère des riches

Les riches Romains de la décadence avaient porté la gastronomie à un point jouissif et consumériste probablement jamais atteint depuis. Le plaisir gustatif était déconnecté de la fonction digestive. Mollement allongés, ils buvaient du vinaigre pour s'ouvrir artificiellement l'appétit. Puis, dégustaient des plats extraordinaires. Ensuite, pour faire de la place et continuer à ingurgiter et apprécier, ils se faisaient vomir. Et rebuvait du vinaigre. Et ainsi de suite.

Nos riches bourgeois de l'époque de la décadence capitaliste n'ont pas la même approche de la bouffe. C'est dans le domaine du sexe qu'ils pratiquent « l'amour à la Romaine ». C'est-à-dire la baise à jet continu.

Car, comme leurs illustres prédécesseurs romains, les riches bourgeois bien souvent s'ennuient. J'en ai quelquefois approché.

En 1968, j'ai connu un peu la famille d'un riche banquier parisien. J'ai à peine vu le père. En revanche j'ai mieux connu la mère et les deux grands enfants. La mère passait le temps en buvant de grands et nombreux verres de whisky assaisonnés de tranquillisants pharmaceutiques. Le fils avait participé à la fondation d'un syndicat étudiant de droite et faisait le coup de poing contre les rouges, en attendant d'hériter de l'affaire de papa. La fille, grande et belle, triste comme pas possible, nous a déclaré un jour : « les jeunes ? il leur faudrait une bonne guerre ! »

Neuf ans plus tard, un camarade des Beaux-Arts m'a fait rencontrer un groupe de jeunes filles riches. Elles vendaient activement des drogues dures à la sortie de leur lycée. Et elles draguaient « comme des hommes ». L'une d'elles m'a demandé si je voulais poser nu pour elle. Dans ma grande naïveté, j'ai cru qu'elle me demandait si je voulais poser nu. Et, cette offre ne me convenant pas, j'ai refusé. C'est seulement quinze ou vingt ans après que j'ai compris qu'en fait elle m'avait proposé de coucher avec elle. Elle était immensément belle avec des seins incroyablement fascinants. Mais même si j'avais compris son vœu alors, je n'y aurait pas donné suite. La drague pure et dure ne m'a jamais passionné. Je suis et reste un romantique attaché aux sentiments.

Pour la bourgeoisie d'hier comme d'aujourd'hui, le sexe représente le plaisir numéro un. Triste plaisir bien souvent, comme je l'expliquerais plus loin.

Le sexe est symbolisé par la femme jeune. A toutes sortes d'époques a été mis en vedette une catégorie de jeunes femmes soi-disant « faciles ».

Au XIXème siècle, il y eu les Manons, les Lorettes, les blanchisseuses, les bachelettes. Et plus tard les midinettes, les shampouineuses, les étudiantes, les infirmières, les sténodactylos, les hôtesses de l'air et les vedettes de cinéma.

D'une façon générale, toutes les catégories de femmes indépendantes financièrement ou travaillant loin de leurs famille et surtout père, mère, mari ou fiancé possible ont été assimilées à des espèces de putes gratuites.

Deux nationalités ont eu droit à ce traitement : les Suédoises et les Françaises.

D'une façon générale, les femmes ressemblant aux beautés des magazines ont subi le même sort, ont connu la même réputation.

J'en ai connu une, copie conforme de « la belle Américaine » genre vedette de cinéma. Sa beauté ne lui avait pas porté chance. Traitée comme un bifteck de luxe par quantité d'hommes, elle était triste. Et on la comprend.

Dans la population, un mythe sexuel contemporain est celui de la riche bourgeoise libertine. Prête à tout. Et de préférence prête à tout ce que vous avez envie.

Chez les bourgeois existe le mythe de l'artiste. Homme ou femme libre, et qui conséquemment doit baiser à tire-larigot.

Il existe certainement des spécimens répondant à ces définitions. Mais l'existence de groupes entiers de telles personnes relève du mythe.

Quand les riches bourgeois s'ennuient, ils vont chercher à bousculer les tabous.

Riches, on peut déjà s'offrir autant de prostituées de luxe qu'on veut. De « matériel » pour s'exprimer comme un fameux cavaleur.

Ensuite, il existe des lieux réputés pour « pratiquer ». Par exemple, les bordels de Macao ou la plage libertine d'Agde. Ou encore, un peu partout, les « clubs libertins », appelés aussi boites à touses, c'est-à-dire boites à partouzes. Et fréquentées par les tousards, c'est-à-dire les partouzeurs.

Le problème de toutes ces pratiques dite « libérées » est qu'elles dissimulent mal l'ennui profond de ceux et celles qui les choisissent.

Pour pallier à cet ennui, on fait alors appel à des drogues, déviances, au sadisme, à la participation de mineurs. Pour les « défaillances » sexuelles, il y a des stimulants chimiques : Viagra ou Cialis. Ces produits améliorent la performance mécanique : le membre masculin s'érige et durcit. Mais n'améliorent en aucune façon la sensibilité. Ce qui fait que le résultat est médiocre et inintéressant. Mais, fierté masculine et sens commercial des marques aidant, personne n'en parle. Cette précision concernant ces produits réputés est absente de tous les écrits à leur sujet.

La frigidité masculine est un sujet tabou. Car la reconnaître, c'est admettre que l'homme perd un des rares domaines où il prétendait encore, avec la jouissance automatique, être « supérieur » aux femmes. Certains hommes, pire encore, ont mal au moment de l'éjaculation. Il arrive aussi qu'ils doivent frotter leur membre jusqu'à l'irriter. Et aussi sont physiquement épuisés après l'acte.

Mais le mythe est là : l'homme jouit automatiquement. Quelle farce ! Un vrai secret de Polichinelle ! Un ami âgé me disait : « si les hommes jouissaient à chaque fois qu'ils font l'amour, ça se saurait. » Il reconnaissait bien la valeur jouissive le plus souvent réduite de l'éjaculation. Mais de ça, personne ne parle ou presque. Il faut maintenir intact le verbiage sur la jouissance automatique et maximale des étalons humains.

Certes, existe parfois, de ci, de là, des éjaculations qui font grimper l'intéressé aux rideaux. Mais elles sont rares, très rares. Et plus on les cherche moins on les trouve. Il s'agit d'un shoot endorphinien massif qui donne le sentiment de sortir de soi et peut aller jusqu'à la perte de connaissance momentanée. Je n'ai jamais trouvé de textes décrivant ce phénomène.

Ce rêve de jouissance extrême est poursuivi avec l'aide de drogues. On cherche aussi « l'amour », c'est-à-dire l'harmonie avec un tiers. Chose qu'on ne peut acheter, pas plus qu'on ne peut acheter une amitié sincère. Alors, les riches, noyés dans leurs thunes, continuent leur double quête impossible. Et s'ennuient. C'est la misère des riches. L'excès d'argent ne fait pas le bonheur.

Basile, philosophe naïf, Paris le 28 novembre 2013

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire