vendredi 5 février 2016

514 En amour, il faut rompre avec le rapport de domination-soumission

Mon père vivait avec plusieurs chats. Il y a plus de vingt ans il m'a raconté le fait suivant. Un jour un chat a abattu sur sa main sa patte tendu, les griffes sorties et l'a maintenu ainsi. Il voulait, m'a dit mon père, lui signifier ainsi qu'il était l'animal dominant. Bien sûr, mon père n'a pas suivi l'avis du chat. Mais il est intéressant de relever qu'un geste parfaitement similaire existe chez les humains. Si vous faites attention, vous constaterez en observant des humains se déplaçant en couple, que certains d'eux ont avec leur bras, leur main, un geste vis-à-vis de l'autre qui n'a rien de tendre. Ils ont littéralement un geste d'appropriation, en tenant l'épaule ou la cuisse de l'autre ils marquent le fait que « c'est à moi », « ça m'appartient », « c'est mon domaine réservé », « je peux y toucher et c'est moi seul qui y touche », « c'est moi et moi seul qui baise cette personne ». Exactement la patte du chat, c'est pourquoi j'appelle ce geste peu aimable et dominateur : « la patte du chat ».

Les aimables et douces relations humaines sont perturbées, empêchées, sabotées, ruinées par cette volonté pas toujours clairement consciente de dominer l'autre ou se soumettre à lui. En général cette soumission, cette domination tournent autour du coït. Si je touche l'autre et qu'il l'accepte, si l'autre me touche et je l'accepte, ça signifie : « je te baise » ou bien « je suis baisé par toi ». C'est brutal, sommaire, barbare et antinomique de l'amour, et ça prétend exprimer l'amour. Pauvre amour ! Le résultat général est l'éviction des câlins, la mort des bisous, la famine en caresses. Car il est littéralement impossible de toucher l'autre sans enclencher une sorte de machine infernale qui prétend nous « obliger » à baiser ou être baisé. Cette catastrophe n'obère pas seulement les contacts dit « physiques ». Elle concerne aussi d'autres domaines, comme le regard. Tout dernièrement, c'était il y a trois jours, j'arrive sur le quai de la station de métro Montparnasse-Bienvenüe et regardant devant moi vois une jolie fille. Elle me regarde. Me regarde à nouveau, esquisse un sourire. Et puis va soigneusement s'éloigner afin d'éviter de se retrouver proche de moi dans la rame qui arrive. Pourquoi cette fuite ? Tout simplement parce que, dans notre société française et parisienne malade, une jolie fille inconnue qui regarde deux fois et sourit à un monsieur, ça signifie : « tu me baises ». Absurdité ! Elle empêche et bloque le plus souvent toutes relations.

Ce blocage causé par la domination-soumission touche aussi le langage. Pourquoi est-il littéralement interdit de dire « je t'aime » à quelqu'un ? Parce que ça signifie : « je te baise ». Si tu acceptes mes paroles, ça signifie : « tu me baises ». Que tu en ai envie ou non, c'est une obligation.

Cette négation de la sensibilité humaine et de la richesse vivante et perpétuellement mouvante de la relation se retrouve également au niveau institutionnel. Si je contracte « mariage » cela implique obligatoirement la baise, indépendamment du ressenti. C'est un abonnement à vie pour mettre le petit oiseau dans son nid, que le petit oiseau soit en forme ou non et le nid désirant ou non. Au XIXème siècle en France le Code civil précisait que la femme « doit obéissance à son mari ». Donc est tenue d'écarter les brancards ! Aujourd'hui, le même propos fleurit toujours dans notre Code civil mais sous une forme littéraire plus soft : les époux se doivent « fidélité »... Qu'est-ce à dire ? Ils doivent baiser ensemble. Cette idée se retrouve aussi en filigrane derrière le concept d'« abandon du domicile conjugal ».

La relation de domination-soumission se retrouve encore dans le domaine des situations. Si je suis nu en présence de l'autre ou l'autre l'est, si nous allons dormir dans le même lit, ça signifie la baise obligatoire. D'ailleurs « dormir avec quelqu'un » signifie baiser avec. Enfin, la relation de domination-soumission fait des ravages dans le domaine dit « du sexe ». Si on baise une fois ensemble, on est sensé avoir pris un abonnement exclusif par là-même et devoir recommencer. Dominer ou – et – se soumettre pourra passer par des rapports sexuels douloureux physiquement ou – et – moralement. Il y aurait tant à dire sur la domination-soumission incompatible avec l'amour.

Basile, philosophe naïf, Paris le 5 février 2016

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