Mon père vivait avec
plusieurs chats. Il y a plus de vingt ans il m'a raconté le fait
suivant. Un jour un chat a abattu sur sa main sa patte tendu, les
griffes sorties et l'a maintenu ainsi. Il voulait, m'a dit mon père,
lui signifier ainsi qu'il était l'animal dominant. Bien sûr, mon
père n'a pas suivi l'avis du chat. Mais il est intéressant de
relever qu'un geste parfaitement similaire existe chez les humains.
Si vous faites attention, vous constaterez en observant des humains se
déplaçant en couple, que certains d'eux ont avec leur bras, leur
main, un geste vis-à-vis de l'autre qui n'a rien de tendre. Ils ont
littéralement un geste d'appropriation, en tenant l'épaule ou la
cuisse de l'autre ils marquent le fait que « c'est à moi »,
« ça m'appartient », « c'est mon domaine
réservé », « je peux y toucher et c'est moi seul qui y
touche », « c'est moi et moi seul qui baise cette
personne ». Exactement la patte du chat, c'est pourquoi
j'appelle ce geste peu aimable et dominateur : « la patte du
chat ».
Les aimables et douces
relations humaines sont perturbées, empêchées, sabotées, ruinées
par cette volonté pas toujours clairement consciente de dominer
l'autre ou se soumettre à lui. En général cette soumission, cette
domination tournent autour du coït. Si je touche l'autre et qu'il
l'accepte, si l'autre me touche et je l'accepte, ça signifie : « je
te baise » ou bien « je suis baisé par toi ».
C'est brutal, sommaire, barbare et antinomique de l'amour, et ça
prétend exprimer l'amour. Pauvre amour ! Le résultat général est
l'éviction des câlins, la mort des bisous, la famine en caresses.
Car il est littéralement impossible de toucher l'autre sans
enclencher une sorte de machine infernale qui prétend nous
« obliger » à baiser ou être baisé. Cette catastrophe
n'obère pas seulement les contacts dit « physiques ». Elle
concerne aussi d'autres domaines, comme le regard. Tout dernièrement,
c'était il y a trois jours, j'arrive sur le quai de la station de
métro Montparnasse-Bienvenüe et regardant devant moi vois une jolie
fille. Elle me regarde. Me regarde à nouveau, esquisse un sourire.
Et puis va soigneusement s'éloigner afin d'éviter de se retrouver
proche de moi dans la rame qui arrive. Pourquoi cette fuite ? Tout
simplement parce que, dans notre société française et parisienne
malade, une jolie fille inconnue qui regarde deux fois et sourit à
un monsieur, ça signifie : « tu me baises ». Absurdité
! Elle empêche et bloque le plus souvent toutes relations.
Ce blocage causé par la
domination-soumission touche aussi le langage. Pourquoi est-il
littéralement interdit de dire « je t'aime » à
quelqu'un ? Parce que ça signifie : « je te baise ». Si
tu acceptes mes paroles, ça signifie : « tu me baises ».
Que tu en ai envie ou non, c'est une obligation.
Cette négation de la
sensibilité humaine et de la richesse vivante et perpétuellement
mouvante de la relation se retrouve également au niveau
institutionnel. Si je contracte « mariage » cela implique
obligatoirement la baise, indépendamment du ressenti. C'est un
abonnement à vie pour mettre le petit oiseau dans son nid, que le
petit oiseau soit en forme ou non et le nid désirant ou non. Au
XIXème siècle en France le Code civil précisait que la femme
« doit obéissance à son mari ». Donc est tenue
d'écarter les brancards ! Aujourd'hui, le même propos fleurit
toujours dans notre Code civil mais sous une forme littéraire plus
soft : les époux se doivent « fidélité »...
Qu'est-ce à dire ? Ils doivent baiser ensemble. Cette idée se
retrouve aussi en filigrane derrière le concept d'« abandon du
domicile conjugal ».
La relation de
domination-soumission se retrouve encore dans le domaine des
situations. Si je suis nu en présence de l'autre ou l'autre l'est,
si nous allons dormir dans le même lit, ça signifie la baise
obligatoire. D'ailleurs « dormir avec quelqu'un »
signifie baiser avec. Enfin, la relation de domination-soumission
fait des ravages dans le domaine dit « du sexe ». Si on
baise une fois ensemble, on est sensé avoir pris un abonnement
exclusif par là-même et devoir recommencer. Dominer ou – et –
se soumettre pourra passer par des rapports sexuels douloureux
physiquement ou – et – moralement. Il y aurait tant à dire sur
la domination-soumission incompatible avec l'amour.
Basile, philosophe naïf,
Paris le 5 février 2016
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire