mercredi 19 mai 2021

1471 De la campagne à votre assiette

Gare de la Villette,

Au doux nom de « gare de Paris-Abattoirs »,

Une gare sans retours

Et sans voyageurs,

Qui n'existe plus,

Elle a disparu.

C'était une succursale

Du Ventre de la Capitale,

La Mort s'y trouvait chez elle, banale,

Au milieu des pleurs et gémissements

Des bêtes qui pressentaient

Le but final du voyage.

Les quais piquetés de paille,

Qui sentaient bon

L'étable, le pâturage et l'écurie,

Étaient visités par

De très doux parfums bucoliques,

De foin, de suint,

De bouse et de crottin.

On y respirait des senteurs profondes,

Authentiques et belles

Comme des majoliques,

Ses quais étaient la dernière étape

D'un long voyage

Commencé la nuit noire

A la lueur de fanaux inquiétants,

Ou sous la caresse

Des rayons d'un soleil rassurant

Des Pyrénées, d'Auvergne,

D'Algérie, du Massif central

Ou d'ailleurs,

Ses quais

Ont vu arriver

Durant d'interminables

Et laborieuses années,

Alimentant cuisines, bars,

Hôtels et restaurants,

Des millions d'animaux vivants,

Des bœufs, des cochons,

Des vaches, des dindons,

Des chèvres, des moutons,

Élevés avec amour dans les campagnes,

Les prairies, les plaines, les montagnes.

Gare de la Villette,

Gare des abattoirs.

Un très doux métier,

Tueur.

C'est là qu'ils ont officié,

Avec le merlin et le couteau

Indifférents et sacrificateurs.

Ces gentils tueurs,

Au cours des années,

Par dizaines de milliers de litres

Ont fait couler le sang des sacrifiés.

Personnalité quadrupède épargnée,

Un mouton apprivoisé baptisé

« Le Judas »

Conduisait ses frères,

Fraichement débarqués,

Vers le couteau et le débitage.

Ce collaborateur a-t-il été gracié

A la fermeture des abattoirs ?

Le sang, le cuir, les sabots,

Le cinquième quartier,

Qui ne se mange pas,

Enrichissait d'industrieux parisiens.

Le sang frais alimentant

Des jeunes filles vers mil neuf cent,

Cherchant jouvence et beauté

Dans ce breuvage tiède

Et peu ragoutant.

Le même se retrouvant

Dans du boudin,

De fort bon goût.

Avec de la compote de pommes,

C'est délicieux.

Vous en reprendrez ?

Les animaux vivants,

Promis à notre table,

Mais pas comme invités,

Voyageaient

Dans des wagons à bestiaux,

En bois.

Les mêmes ont transporté

Les officiers et fantassins français

Partant pour Verdun,

Et, avec des billets « tarifs de groupes »,

C'est triste mais c'est vrai,

Les Juifs et les Tziganes

De tous les âges

Et toutes les nationalités

Partant pour une destination

Dont on ne revient pas.

Autres sacrifiés, qu'on enterrait

Ou brulait,

Ou transformait en savons, en boutons,

En chandails, bottes de tankistes,

Ou en mines d'or dentaire.

Ils n'étaient pas destinés

A être mangés,

Sauf éventuellement

Par les rats, les mouches, les asticots

Ou les corbeaux.

Officiers ou fantassins français

Héros et martyrs de Verdun,

Juifs ou Tziganes

Victimes des préjugés imbéciles

Et criminels

Sur une soi-disant « pureté du sang »,

Militaires ou civils,

Mis en terre,

Brulés ou rescapés,

Votre mémoire à présent

Est justement honorée.

Celle des animaux

Est oubliée.

Mais souvenez-vous,

Omnivores ou végétariens,

De la gare de Paris-Abattoirs

Et ses millions de sacrifiés.


Basile philosophe naïf

Paris,le 14 mai 2021

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