Je connais une jolie
jeune fille qui adore le sexe. Ce qui ne signifie nullement qu'elle
va faire des choses sexuelles avec le premier venu. Au contraire,
elle est hyper-sélective. Elle a un copain attitré. Lui
assure-t-elle l'exclusivité de ses câlins ou non ? Je n'ai
aucun élément pour l'assurer ou l'infirmer. Je remarque cependant
ceci : on peut déclarer adorer le tir à l'arc, la cuisine, la
collection d'assiettes anciennes, le jardinage, la poterie, la pêche
à la ligne, la philosophie grecque ou chinoise antiques... tout ce
qu'on voudra, mais pas le sexe. Si une jolie jeune fille déclare
qu'elle adore ça, on prendra mal ou on interprétera mal son propos.
Il ne lui reste qu'à se taire à ce sujet.
Cette même jeune et
jolie fille a un postérieur splendide. Il est hors de question de le
proclamer. On peut clamer la beauté de sa maison, son chien, son
chat, ses enfants... mais pas la beauté des fesses de quelqu'un. Ou
alors on passe pour un coureur, un mal-élevé, ce qu'on voudra.
Il existe donc des
domaines, pourtant importants, où la parole n'est pas libre. Reste à
se rabattre sur un langage officiel et convenu. On peut dire qu'on
est « l'ami » de quelqu'un, son « fiancé »,
son « mari », pas qu'on aime coucher avec. Le dire est
grossier. Il n'existe aucun moyen poli pour le dire.
L'autre jour une amie
m'interrogeait au sujet de la jolie jeune fille dont je parlais au
début de ce texte. Je n'ai pas pu lui dire : « cette
jeune fille adore le sexe », mais : « elle a un
copain ». Impossible d'être sincère.
Non seulement on ne peut
pas être sincère, mais de plus, si on essaye de l'être, on dit une
chose et votre interlocuteur en entend une autre.
Si je dis par exemple que
cette jolie jeune fille me plaît, on traduira par : « il
veut coucher avec » ou : « il aurait bien aimé le
faire ».
Dire les choses
clairement n'est pas possible. Comment s'étonner ensuite des
cafouillages innombrables dans le domaine des amours ?
Une jeune fille me
demandait un jour si je voulais de sa part des petites caresses. Je
m'empressais de dire non. Puis m'en mordit les doigts toute la
soirée. Pourquoi j'ai dit non ? Parce que c'est « correct »
de dire non. Quand est-ce correct de dire oui ? Jamais, sauf
dans le cadre d'un mariage.
Le conditionnement est
tellement fort qu'on suit le vocabulaire admis, sans réfléchir plus
avant. On nous apprend à dire « non » quel que soit
notre avis positif ou négatif.
Tout est tellement
interdit qu'on fini dans le ridicule. On se tait. On est maladroit.
On ne sait pas trop quoi dire. Tout ce malaise a une origine :
le mythe de la baise obligatoire pour rentrer dans le monde
imaginaire du « Grand Amour », qui n'existe pas.
Celui qui ne suit pas les
règles dominantes, les modes omniprésentes, c'est bien simple :
il n'existe pas. Et comment pourrait-il exister ? Avons-nous
besoin de proclamer que nous sommes naturels et désobéissants aux
modes pour être naturels et désobéissants aux modes ? Non, bien
sûr, pour être cela il est impossible de se justifier ou faire des
discours. Pour finir, remarquons qu'à une époque où on ne jure que
par la communication, il est impossible de dire simplement « j'aime
le sexe » comme on pourrait dire « j'aime la musique »
ou « j'aime les oranges pressées ». Et il est impossible
de dire « ce fessier est très beau » comme on pourrait
dire « ce bouquet de fleurs est très beau ».
Basile, philosophe
naïf, Paris le 13 septembre 2017
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