Quand on observe
l'Humanité, son histoire, on est frappé par le contraste entre
« les bonnes manières » et le comportement effectif des
humains. Alors que l'amour apparaît comme la vertu cardinale, règne
partout et dans toutes les époques la violence la plus inouïe.
Comment une telle contradiction est-elle possible ? La paix
serait-elle incompatible avec la Civilisation ? L'être humain
serait-il en quelque sorte « maudit » ? Il faut bien
trouver une explication.
Quand on compare l'être
humain avec les autres espèces animales, on constate qu'un élément
de sa vie diffère radicalement de celle des autres animaux. L'être
humain baise tout le temps.
Cet aspect étrange de
son comportement s'accompagne d'éléments troubles et douteux.
Une profusion de règles
existent, prétendant réguler, régler la sexualité des humains.
Toutes ces règles sont des interdits, fréquemment accompagnés de
la plus extrême violence en cas de transgressions vantées,
supposées ou constatées. Et ces interdits se combinent avec un
incroyable ensemble de mythes.
Un de ceux-ci des plus
fondamentaux est la prétention de diviser l'homme en deux : le
spirituel, l'âme, la conscience, belle et élevée. Et « le
corps », vil, bas, méprisable... en un mot : sexuel.
Le débat se trouve
enfermé, emprisonné dans une soi-disant fatale alternative
impérative : pour ou contre « le sexe ». Sexe qui,
lui-même, est très imprécisément délimité. Ses limites variant
très considérablement au cours des siècles et selon les sociétés.
En 1880, à Paris, quand une jolie fille laissait voir sa cheville,
c'était très sexuel...
Croire que le débat se
résume à l'unique alternative de baiser ou refuser de baiser, a
fait que de nombreux imbéciles dans les années 70 du siècle passé
ont proclamé une étrange « liberté sexuelle ». Elle se
traduisait en fait non par la liberté de baiser ou non, mais par
l'obligation de baiser.
L'enfer moral auquel est
assimilé le « corps » s'associe à un Paradis douteux et
suspect qui serait le plaisir sexuel. Le nirvana sexuel, serait-on
plutôt tenté de dire. Tant est absurde et invraisemblable la somme
de baratin entourant l'acte sexuel. Selon certains discours, il
serait le but-même de la vie et le sommet de toutes les activités
humaines. Cette grandiloquente ânerie est professée encore par
d'innombrables individus qui n'ont jamais gravi de tels sommets, mais
restent persuadés qu'on devrait pouvoir les gravir. Ils sont comme
ces personnes qui ne se sont jamais mariées et vouent un culte au
mariage qu'ils assimilent à la perfection du bonheur. Et s'étonnent
beaucoup quand des couples qu'ils croyaient « parfaits »
se défont autour d'eux.
Comme le mythique nirvana
sexuel est sensé être atteint dans le courant de la jeunesse,
quantité de personnes devenues vieilles en finissent par conclure
que ne l'ayant pas vécu elles ont raté leur vie.
La sexualité imaginaire
des humains génère une quantité de concepts relevant de la
mythologie sexuelle où le « corps » serait « sexuel ».
Le sexe étant une chose douteuse et dégueulasse, il importe donc de
cacher à la vue notre « corps », c'est-à-dire nous, et,
en particulier, les organes reproducteurs. Il faut aussi le plus
souvent éviter absolument de toucher un « corps »
étranger, même légèrement, même involontairement. Si, par
exemple, aujourd'hui on effleure accidentellement un inconnu dans le
métro parisien, on se doit de se confondre aussitôt en excuses.
Cette « sexualisation »
à outrance des humains est vraie y compris pour les très petits
enfants. On les dote d'un accoutrement ridicule pour aller à la
plage. Les petites filles sont affublées de ridicules
« soutiens-riens ». On nous inculque ainsi de multiples
façons dès le plus jeune âge l'horreur et la peur d'une chose
terrifiante, inconnue et imprévisible : le « corps ».
C'est-à-dire en fait nous, un aspect indissociable de nous, tant que
nous sommes vivants dans ce monde.
Cette peur, cette
horreur, cette hostilité à cette chose traître, horrible et
délicieuse génère une violence invraisemblable dans les rapports
humains. Et ce dans le domaine où la douceur et la tendresse devrait
régner.
Le malaise est
omniprésent. Quand on aborde avec une personne ce qu'elle pense être
« le sexe » ou « l'amour », on la voit
fréquemment subitement devenir littéralement quelqu'un d'autre.
Des gens d'ordinaire
pacifique et doux deviennent violents, et on trouve ça normal.
Si un mari « trompé » ou une épouse « trompée »
réalise « son infortune », et en réaction frappe,
casse, saccage... on trouve que c'est logique et normal. La violence
et la dramatisation sont considérées par beaucoup comme normales,
admissibles, logiques, inévitables...
Cette violence, cette
hostilité va se spécialiser, singulièrement dans le domaine des
mœurs. On verra ainsi prospérer l'hétérophobie chez certains
homosexuels, c'est-à-dire la haine des « hétéros ».
L'homophobie sera très répandue chez ces derniers. Les
« bisexuels » seront victimes de la biphobie. Les
transsexuels de la transphobie. Et ceux ou celles qui auront souffert
dans leurs relations avec les femmes feront de la gynéphobie. Ceux
ou celles qui auront souffert dans leurs relations avec les hommes
feront de l'androphobie. Et tous feront éventuellement de la
sexophobie. Ceux ou celles qui seront soupçonnés, accusés ou
condamnés pour des actes considérés comme des crimes sexuels
seront pourchassés et rejetés avec une violence extraordinaire.
Ceux ou celles qui seront soupçonnés, accusés ou condamnés pour
avoir souhaité, pratiqué ou simplement vanté une pratique
considérée comme sexuelle et jugée « bizarre » ou non
conformiste seront traités de même.
Il suffit qu'un candidat
aux élections soit seulement accusé de délit sexuel, que la chose
soit prouvée ou non, jugée ou non, pour voir aussitôt toute sa
carrière compromise, voire brisée.
Chose plus injuste
encore, les victimes sont aussi condamnées par l'opinion publique
générale. Il n'est pas de bon ton d'avouer qu'on a été violé,
par exemple. Les victimes d'abus sexuels dans leur jeunesse sont
accusées de chercher fatalement à commettre de tels abus à leur
tour une fois devenues adultes. Quant aux discours assimilant les
abus sexuels commis contre des très jeunes à un « meurtre
psychique », la conclusion qu'elle implique pour les victimes
est : « ma vie est foutue. Il ne me reste plus que le suicide comme solution. »
Et, à côté de la
violence de la condamnation des criminels sexuels, on voit également
ceux-ci être admirés. Tout ceci montre qu'il existe un malaise
général qui se traduit de manière visible ou non. La base de ce
malaise est simple à énoncer : l'être humain a intellectualisé
l'acte sexuel, en faisant une sorte de passage obligé permanent
dans la relation affectueuse. Cette façon de voir, ou plutôt de ne
pas voir, implique que si c'est possible, il faut faire l'acte ou le
tenter, même si on n'en a pas envie. Cette pratique, cette
prétention délirante, est venue bousculer l'essentiel des bonnes
relations humaines adultes. En prendre conscience, réagir, consiste
simplement à ne plus suivre ce comportement erroné. Il ne faut
« faire l'amour » que quand existe un désir réalisable,
réel et réciproque, sinon l'éviter absolument. Et aller vers la
« Terra incognita » de la vie réelle que la plupart des
humains s'obstinent depuis des millénaires à refuser d'aller
visiter : eux-mêmes. La vraie vie, ce n'est pas hier, demain ou
ailleurs, c'est aujourd'hui et ici. Elle n'est pas hors de notre
portée, il suffit de voir, approcher, y aller, mettre la main sur ce
qu'on s'obstine à refuser de voir. La vie est là. Acceptons-là. Il
nous faut approfondir les chemins oubliés de la fête et de l'amitié
vraie.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 22 mars 2015
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