dimanche 13 octobre 2013

158 Pour l'amourélisme et contre l'amourisme

Ne cherchez pas le sens des mots « amourisme » ou « amourélisme », ou « amourel ». Ils ne se trouvent ni dans le dictionnaire, ni sur Internet. Car je les ai inventé. Et les définirais ici.

Notre société s'est fait une spécialité des fausses alternatives obligatoires. Par exemple, quand le mur de Berlin est tombé, j'entendais certains commentateurs dirent : « il n'existe qu'une alternative : communisme ou capitalisme. Puisque le premier a fait faillite, il ne reste plus qu'à se résigner au règne du second. » Aujourd'hui, le capitalisme, on en crève. Il n'y a jamais eu autant de richesses et autant de pauvres. Heureusement, l'alternative communisme-capitalisme n'est pas le reflet de la réalité. On peut imaginer d'autres systèmes que l'ultra-libéralisme dévastateur du monde.

Autre exemple : quand on critique l'argent, certains répondent : « en dehors de l'argent, il n'existe que le troc ». Et de démontrer que le troc ne marche pas : « vous fabriquez des allumettes. Un autre élève des éléphants. S'il a besoin d'allumettes, il ne peut pas échanger un éléphant contre une boîte d'allumettes. Donc, nécessairement, il faut l'argent. » Seulement voilà, il existe d'autres choix possible. Cette alternative soi-disant obligatoire ne correspond pas à la réalité. On peut imaginer une monnaie « fondante » interdisant la thésaurisation, un système de cantines publiques supprimant l'achat de nourritures, etc.

On peut citer d'autres fausses alternatives obligatoires : il faudrait soi-disant choisir entre le désastre de la maison de fous du nouvel empire austro-hongrois européen et le chauvinisme débridé, entre le fanatisme religieux et l'athéisme militant, la « fidélité » en « amour » ou la « débauche » et le « libertinage », le « sexe actif » ou la « chasteté », l'amour ou l'amitié, etc. La réalité est plus riche et complexe. Et ne se limite pas à ces alternatives soi-disant « incontournables ».

Il est un domaine ou ce genre d'ultimatums idéologiques a des conséquences particulièrement dévastatrices. C'est celui de l'imaginaire alternative « amour » ou « amitié ».

Quand deux individus se rapprochent, se font des câlins, des bisous, ont envie d'intimité, dormir ensemble... la société, ou plutôt son idéologie dominante, décrète qu'il s'agit de « l'amour ».

Et si deux individus « s'aiment » ils sont sensés ne plus être simples « amis ». Ils doivent à présent : former un « couple », s'accoupler régulièrement, habiter ensemble, partageant tout, se marier, avoir des enfants et les élever. A quoi peuvent s'ajouter d'autres éléments : il faut être jaloux, déclarer son amour à la cantonade, etc. Or, tout ceci est totalement et absolument archi-faux. On ne « doit » rien du tout. Il s'agit ici, en fait, de l'expression d'une idéologie attachée à « l'amour ». Cette idéologie prétend à tous ces devoirs et obligations soi-disant logiques, inévitables, naturels et garants du bonheur. Elle n'a pas de nom. Je la baptiserais donc « amourisme ».

L'amourisme est la cause d'innombrables malheurs, dont des dizaines de milliers de suicides par an, et la solitude, l'incompréhension de la vie et le désespoir pour des centaines de millions d'humains.

Quelle est la démarche correcte à suivre plutôt que l'amourisme ? Elle n'a pas de nom. Je la baptiserais « l'amourélisme ». Elle consiste à se demander simplement et sincèrement, sans faire appel à l'idéologie : « de quoi ai-je envie ? » Puis, reconnaître son envie. Enfin, bien sûr, parvenir si c'est possible et bien à la satisfaire. Et fuir comme la peste les raisonnements intellectuels et l'imitation automatique des autres, qui vous conduisent « droit dans le mur ».

Je prends un exemple : je suis seul dans ma vie, après avoir été largement victime, comme tant d'autres, de l'amourisme.

Je me retrouve dans une fête magnifique, avec une super ambiance, de très nombreux invités dont des dizaines de femmes charmantes. A un moment-donné, j'ai envie de les embrasser toutes. Les prendre chacune dans mes bras pour leur faire un câlin.

Si j'étais encore abruti par l'amourisme, je me dirais : « cette envie est irréelle et en dissimule une autre : je manque d'amour. Et dois trouver la bonne personne avec laquelle m'accoupler, vivre, etc. »

Comme je ne suis plus abusé par cette idéologie désespérante, je me dis simplement : « cette envie de faire des câlins est ô combien naturelle. Mais dans notre société amouriste, elle n'est malheureusement pas satisfaisable. Quand bien-même certaines de ces femmes manquent de câlins, je ne peux pas en échanger avec elles. »

Cette pensée est amourélienne. Je perçois mon envie. La reconnaît. Et ne m'égare pas dans les marécages amouristes.

Il existe un piège amouriste sommaire : celui de l’interprétation mécanique de l'érection et de son équivalent féminin qui n'a pas de nom, qu'on pourrait baptiser « la floraison humide ».

Quand un nouveau né a une érection, personne ne s'aviserait de dire qu'il a besoin de s'accoupler. A l'inverse, si cela arrive chez un adulte, on le pense souvent. Or, en fait, l'érection, ou son équivalent féminin, survient en quantité de situations où le coït n'est nullement à l'ordre du jour.

Le comportement amouriste consiste à se dire : « je bande, donc j'ai envie de baiser. »

Et, pour peu que cela arrive, on détruit plus ou moins vite la relation éventuelle avec la personne partenaire.

Tandis qu'avec une vision amourélienne des choses, on se demande : « de quoi ai-je envie ? » Et, loin d'obéir à son zizi, on réalise que dans la plupart des cas, l'érection n'est pas synonyme de désir d'accouplement. Elle est juste le signe du plaisir ressenti. Et le coït amourélien, lui, ne survient que suite à la présence du désir véritable. Qui est un sentiment très particulier. Et pas un raisonnement imbécile amouriste, qui peut se résumer à : « je bande, faut y aller ! »

Quantité de rapprochements tendres entre individus sont plus ou moins amouréliens. Puis l'amourisme vient très souvent tout gâcher.

Au début, on se promène la main dans la main, on se dit des mots doux, on se fait des bisous. Puis vient le temps des « choses sérieuses ». La fille doit « passer à la casserole ». Le garçon doit bander et « y arriver ». C'est souvent pas terrible. Mais on se dit qu'à la longue « ça va s'améliorer ». Ça ne s'améliore pas. Mais on a pris le pli. On est amants. C'est l'amour. Il faut assumer. D'autant plus que l'entourage applaudit au miracle de « l'amour ». Et la relation se casse la figure plus ou moins vite, rongée par l'amourisme. Qui chasse l'amourélisme. Et prend toute la place.

Et, un beau jour, le couple « modèle » explose, au grand étonnement de l'entourage. Triste scénario qui s'est déroulé des millions de fois. Les amants meurtris et amers se demandant comment ils en sont arrivés là. Au début, c'était si bien. A quoi la « sagesse populaire » répond : « bien sûr, au début, c'est toujours bien. » Et j'ajoute : « car c'est amourélien ». Et après, la pourriture amouriste s'installe. « Vous êtes contre le bonheur ? » me demandera-t-on. Non, c'est l'amourisme qui est contre. Choisir d'être amourélien, c'est choisir d'être authentique et respectueux de la réalité de soi-même et celle des autres. Il est temps de ne plus chercher « l'amour », mais « les amourels ».

Basile, philosophe naïf, Paris le 13 octobre 2013

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