Aujourd'hui 40 %
des mariages français finissent en divorces. Les unions libres
non comptabilisées officiellement et très nombreuses sont réputées
se défèrent pour un oui ou pour un non. C'est une véritable
épidémie.
Et pourtant le mariage,
l'amour a la côte. Comment expliquer ces innombrables séparations ?
Pour le comprendre, il
faut revenir un peu en arrière, il y a un demi-siècle environ.
Comment était alors la
société française ? D'où venons-nous ?
D'une société dominée
par l'église catholique depuis des siècles. Pour celle-ci,
traditionnellement, l'acte sexuel c'est « le pêché de
chair ». Quand bien-même serait-il réalisé y compris entre
partenaires adultes, consentants, de sexe opposés, mariés et en vue
d'avoir des enfants et non de rechercher quelque plaisir que ce soit,
dans l'obscurité, brièvement et en évitant de se déshabiller.
L'acte sexuel est défini
comme sale, bestial, avilissant, ignoble, dangereux, plus masculin
que féminin. En revanche, s'abstenir est beau, pudique, pur, propre, chaste.
L'absence de rapports sexuels est qualifié élogieusement comme « la
virginité ».
A l'homme est accordé la
circonstance atténuante de « besoins ». Tandis que la
femme qui aime ça est une trainée.
Durant le service
militaire obligatoire alors, les jeunes hommes voient leur
alimentation additionnée de bromure, censé calmer leurs ardeurs
sexuelles. En d'autres circonstances, pour « le repos du
guerrier », les militaires en campagne bénéficient de la venue
de « BMC » : « Bordels militaires de campagne ».
On en voit un dans le film R.A.S. d'Yves Boisset, qui se passe
en 1956 durant la guerre d'Algérie.
Très officiellement,
l'Eglise annonce que Jésus est « conçu sans pêché »,
c'est-à-dire sans coït. Et Marie, qui l'enfante est « la
Vierge », ou encore « l'Immaculée Conception ».
Les enfants sont sensés
être « innocents » et ignorer tout de la sexualité.
Les nombreux viols
intrafamiliaux sont niés. Et les livres qui mentionnent ceux-ci
précisent qu'ils ne se rencontrent que dans des sociétés
lointaines et primitives.
La pornographie reste
confinée étroitement. Possèder, produire, vendre des images,
photos, textes, films qualifiés de « pornographiques »
expose à la honte, l'amende, la saisie, l'interdiction.
Un roman où est décrit
l'acte sexuel se fait saisir. Dans les ouvrages d'anatomie pour
étudiants en médecine, il arrive que le clitoris soit absent des
planches figurant l'appareil génital féminin.
Quantité de personnes
ignorent durant toute leur enfance comment se conçoivent les bébés.
La contraception et
l'avortement sont interdits. Les femmes qui arrivent à l'hôpital
suite à un avortement bricolé qui a mal tourné, sont insultées,
humiliées et torturées. C'est-à-dire que « pour leur
apprendre la vie » elles sont curées à vif avec le refus du
secours de l'anesthésie.
Voilà quelle est la base
de la sexualité générale de la société française jusqu'au début
des années 1960.
La contraception orale
inventée aux États-Unis en 1950 est interdite jusqu'en 1967 en
France. Les décrets d'applications de la loi l'autorisant chez nous
ne sortent qu'en 1974. Mais sans attendre, autour de 1968 les digues
anciennes et vermoulues de la pesante morale traditionnelle se
rompent. Déferle alors un ras-de-marée revendicatif de liberté.
L'interdit d'hier, la
prohibition de tout, se voit remis en question par l'inverse : la
liberté, l'autorisation, l'encouragement de tout ce qui était
jusqu'alors interdit.
Une affiche dans le métro
à cette époque vantait des réductions de tarifs de transports pour les jeunes.
On y voyait un jeune homme et une jeune fille abstraitement dessinés,
partant en voyage, chacun portant une valise.
J'ai vu un exemplaire de
cette affiche rectifié par une main inconnue. Les deux visages en
silhouette avaient été dotés chacun d'un regard et un sourire. Sur
la valise du jeune homme avait été inscrit : « capotes ».
Sur celle de la jeune fille avait été ajouté : « pilules ». Et un ballon additif
attribuait aux deux jeunes gens cette exclamation joyeuse jaillie du cœur : « on va enfin pouvoir vivre ! »
« Enfin pouvoir
vivre ! » Tel était le credo de beaucoup dans ces années-là. Que certains baptisèrent « la révolution sexuelle ».
Enfin pouvoir vivre paraissait signifier « enfin pouvoir baiser
sans limites ni contraintes ». « L'amour libre »
promotionné alors signifiant de baiser le plus possible, le plus
souvent possible, avec le plus grand nombre de partenaires possible
et même éventuellement en groupes.
J'ai eu vingt ans en
1971. Je n'ai jamais pu me faire à ces discours qui se proclamaient
« émancipateurs ». Bien qu'abusé par ces propos, je
n'arrivais pas à m'y soumettre. Draguer signifiant pour moi résumer
la jeune fille à un vagin et moi à un pénis. Cela me paraissait
faux. Quand une jeune fille me draguait ouvertement, je ne réagissais
pas. Soit que je ne comprenais pas son jeu. Soit plus rarement que je
comprenais et refusais d'y entrer. Parce que cela aurait froissé mon
authenticité. J'avais aussi mes problèmes psychologiques. Et mon
éducation traditionnelle, qui ne se retrouvait pas dans ces
situations nouvelles où la fille osait proclamer un désir.
J'ai traversé ces années
sans m'impliquer dans les relations ou simili-relations que vivaient
les jeunes gens et jeunes filles autour de moi. Les discours
encourageant la drague pure et dure, même tenus par des jeunes
filles, je n'arrivais pas à y souscrire.
En 1981, une jolie fille
grecque m'a choqué en me déclarant que lui mentir pour la draguer était
normal. Qu'elle trouvait ça tout à fait normal. Moi, je refusais le
mensonge en général. Or, comment draguer sans mentir ?
Quand bien-même je
croyais théoriquement que draguer pouvait être bien, je n'arrivais
pas à atteindre le cynisme suffisant pour additionner des
« conquêtes ». Comme je voyais faire certains dragueurs
particulièrement doués pour ce genre de chasse.
Dans les années 1970, ce
fut le sommet de cette « libération ». Le sexe devenait
une activité ludique au même titre que la pétanque ou la pêche à
la ligne, mais plus attractive bien sûr. Les propos en faveur de la
liberté totale fleurissaient. En 1977, on vit même publier une
pétition signée par des personnes fort illustres revendiquer la
liberté d'entretenir des rapports sexuels adultes-enfants. Les
petites annonces du journal Libération étaient célèbres pour
leur crudité sexuelle.
Et puis ce fut le coup de
tonnerre de l'arrivée du SIDA. Qui ne fut d'abord pas pris au sérieux. Coluche
déclara un jour que le SIDA « c'est la maladie qu'on attrape
dans le journal ». On plaisantait à propos du SIDA. Ou, au pire, on en parlait comme du « cancer gay », réservé aux homos. Et puis ce fut la panique
générale. Sexe = mort paraissait la nouvelle équation dominante.
Les années ont passé.
La trithérapie est arrivée. Où en est-on à présent en France ?
Question liberté ça
s'est un peu calmé. On vante partout le sérieux, le mariage, la
fidélité. Et même aujourd'hui des femmes ou des hommes peuvent se marier ensemble !
Mais il y a un nombre
invraisemblable de séparations, pourquoi ?
La raison, il faut la
chercher dans les années 1960. On n'a pas idée à quel point la
société française de l'époque telle que je l'ai connu était
barbare et arriérée, s'agissant de la « sexualité ».
C'est bien simple, dans
la famille où j'ai grandi, comme dans énormément d'autres, la
sexualité était totalement niée. On faisait comme si elle
n'existait pas. Et si elle était mentionnée, c'était comme une
chose abominable et mystérieuse. La bonne éducation était une
« éducastration ».
J'aimais bien enfant les
albums de Tintin. Sans réaliser qu'ils ignorent le sexe. Les
femmes-même sont absentes, ou moches et caricaturales. La
Castafiore, cantatrice, et sa soubrette, Irma, n'ont rien
d'attrayantes physiquement. Et Tintin est un eunuque. Il n'a aucune
vie sentimentale.
Vers l'âge de douze-treize
ans, je ne sortais pratiquement qu'accompagné par ma mère. Et commençais à
m'émerveiller au passage de très jeunes filles du même âge que
moi. Sans idées autres que les trouver merveilleusement belles, je
me retournais systématiquement sur leur passage. Et un jour,
j'entendis ma mère déclarer d'un ton dégouté, pensant que je
n'entendais pas, et parlant de moi : « il est en chaleur ! »
J'en ai été choqué. Et, bien sûr, n'ai rien dit.
Nous
habitions en famille un atelier d'artistes avec loggia. Un soir, dans
la loggia, je chatouillais les pieds de ma sœur, qui
réagissait bruyamment. Soudain surgit ma mère, qui avait monté
l'escalier à pas de loup et paru furieuse de surprendre une scène
bien innocente. Mais moi, j'ai bien compris qu'elle cherchait à me
surprendre chatouillant le sexe de ma sœur. Cette suspicion, cette
ruse pour nous surprendre, m'a fortement contrarié. Et je n'en ai,
une fois de plus, dit mot à personne.
Quand les grandes
personnes évoquaient au passage, sans précisions, des choses
sexuelles, enfant, je n'avais droit à aucune précisions si je
posais des questions. C'était le plus complet black out. Un jour mon
père disait que du temps où elles étaient autorisées, les maisons
de tolérance de luxe installaient leurs clients dans un trône, d'où
ils regardaient défiler les prostituées au son de musiques. « Mais
alors, dis-je, c'était exactement comme au music-hall ! »
« Non, me répondit mon père, car elles faisaient des choses. »
« Quelles choses ? » Interrogeais-je. « Des choses,
des choses !... » fit-il, très ennuyé et sans plus de précisions.
Je lisais un jour un livre sur
les traditions folkloriques françaises. Il y était indiqué que les chemises de nuit
étaient je ne sais plus dans quelles provinces et il y a longtemps
« pourvues d'un trou judicieusement disposé. » Comment
ai-je deviné qu'il voisinait le sexe ? Je me le demande. Mais, ce
trou, pourquoi faire ? J'interrogeais mon père. Lui lisait le
passage du livre. Il éluda la réponse. Ainsi allait la
« des-éducation sexuelle »... Et arrivé à un âge où le
sexe commence à vous travailler, il fallait voir à quel point la société
niait celui-ci.
Dans les années 1960,
une photo de notre célèbre sexe symbole Brigitte Bardot la montrait
de face, les épaules nues, dépassant de derrière un drap accroché
à une corde à linges. On apercevait à peine l'amorce de sa
poitrine. Eh bien, cette photo était à l'époque sexuellement
terriblement bandante, super excitante. Elle suggérait qu'elle était
torse nu ! C'était une vraie bombe atomique sexuelle !
Autre objet sensuel
majeur à l'époque : les genoux des filles ! Les jupes les cachaient
systématiquement. Quand au début des années 1960 la minijupe est
arrivée, découvrant les genoux, ce fut une révolution ! Je me
souviens, je devais avoir environ treize ans. Dans le métro, une
grande jeune fille s’assoit devant moi, les genoux à l'air.
Fasciné, je reste les yeux scotchés sur ses genoux !
En juin 1964, la
présentatrice de la télévision française Noële Noblecourt fut
licenciée. Le motif officiel invoqué par son employeur fut que :
elle avait laissé voir ses genoux à l'écran !
Et le sexe dans tout ça
? Il existait malgré tout. Mais combien peu et caché. A treize ans
j'ai connu des voisins, dont Christine, une fillette de cinq ans et Évelyne, une fille de mon âge. J'habitais avec ma famille 28 rue de la
Sablière à Paris. L'été, je restais dans la cour. Il m'arrivait
de parler avec elles. Elles étaient au 26, dans leur cour, séparées
de moi par une grille.
Un jour, je me trouve
seul dans la cour avec Christine, de l'autre côté de la grille. Elle prend
un air mystérieux et me dit d'approcher de la grille. Approcher
encore... et soudain glisse sa main à travers la grille et me touche le
bas-ventre ! J'ai pris peur et suis parti en courant. Puis, me
retournant, j'ai aperçu Évelyne, qui de sa fenêtre observait la
scène. J'en ai conclu qu'elle avait envoyé Christine en service commandé. C'est la
première fois que je raconte cette histoire qui n'a eu aucune suite.
C'est seulement quand
j'ai eu 22 ans que j'ai pour la première fois pu voir comment était
le sexe féminin, en regardant celui de ma première petite amie.
Sinon, j'ignorais comment étaient faits les femmes.
La société dans son
ensemble était castrée. Quand elle s'est dé-castrée, elle est
partie d'un extrême à l'autre.
Pourquoi s'est-elle
dé-castrée ? Très certainement parce que les femmes se sont mises
en masses à avoir des activités rémunérées et acquérir ainsi
leur indépendance matérielle. Leur dépendance des hommes : père,
frère, fiancé ou mari, était la clé de voûte du système
régissant la sexualité. Cette clé de voûte effondrée, le reste
s'est décomposé. La libre contraception y
a aussi beaucoup contribué.
Mais, au lieu de chercher
l'authenticité, les individus libérés des règles anciennes se sont
bornés à chercher à faire le contraire de ce qu'ils se sentaient
contraints de faire auparavant.
Le sexe absent est devenu
omniprésent. De la chasteté forcée on est passé à la baise tout azimuts. La « génération capote » est arrivée. Comme
me le disait un ami, mort récemment : « ce n'est plus les
bisous, c'est au lit tout de suite ! »
Et c'est là que la
grande erreur a été commise. En croyant arriver à la liberté, on
a inventé une nouvelle servitude. On est passé du sexe interdit au
sexe obligatoire. Et pour l'épanouissement humain, passé le début
du changement, paraissant prometteur, on a inventé une nouvelle
servitude.
Quand deux individus se rapprochent, ils se font des câlins, des bisous. Mais, au
lieu de suivre leurs désirs, ils transposent la règle du devoir
conjugal dans la vie relationnelle câline : il faut absolument, on doit, c'est
nécessaire, indispensable, bien et urgent de baiser. Sans pour autant éprouver de véritables désirs. On
tue l'authenticité aussi efficacement avec des obligations qu'avec
des interdits. Résultat, tout un tas de relations chaleureuses sont
progressivement rongées par l'acide d'une sexualité artificielle et
mal venue. Et les belles relations succombent,
innombrables. Après avoir paru esquisser un avenir prometteur, elles
finissent en divorces, séparations. Voilà la vérité.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 6 octobre 2013
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