lundi 25 juin 2018

1023 L'art d'apprécier les choses

Ma mère, jeune, était très aisée. Âgée elle s'est retrouvée pauvre. Et me disait : « quand j'étais riche, je mangeais toujours les gâteaux par quatre. Mais ne les appréciais pas. C'est seulement quand je suis devenue pauvre que j'ai commencé à les apprécier. »

Je dînais et déjeunais dans un café associatif. Par économie ne prenais pas de boissons. Un jour, je décide exceptionnellement d'en prendre une. Quand j'attaque mon verre, c'est un délice ! Et le jus de raisins que j'ai commandé m'apparaît très bon. De façon inattendue, j'ai droit à un deuxième verre. Je me dis : « il sera aussi bon que le premier ! » Pas du tout, il m'apparaît quelconque.

Enfant, le top niveau des plaisirs gustatifs c'était pour moi les bananes. Ma famille étant pauvre, je n'avais droit au mieux qu'à une banane à chaque fois qu'il y en avait à la maison. Un jour, un vieux monsieur riche, voulant me faire plaisir, donne de l'argent à ma mère afin qu'elle achète pour moi quelque chose. Ma mère me demande ce que je veux . Je lui répond : « des bananes ! » Elle m'achète alors, rien que pour moi, deux ou trois kilos de bananes. Et là, déception : quand je mange quantité de bananes, elles perdent leur intérêt gustatif.

L'appréciation d'une chose tient aux conditions où on y accède. Les personnes gavées de bonnes choses les apprécient-elles ? J'en doute. Et aussi, l’habitude aidant, ces choses ne deviennent-elles pas aussi quelconques que les bananes citées plus hauts ? L'abondance ne ferait pas le bonheur, voilà tout. Et ce qui est nouveau aura toujours une qualité qui, par définition, ne se répétera pas.

On a parlé dernièrement dans les médias d'une grande vente de vins très anciens, très rares et très chers. J'imagine un riche acheteur qui achète une trentaine de ces précieux flacons. Le premier verre de la première bouteille entamée doit lui paraître extraordinaire. Mais le trentième verre extrait de la énième bouteille ?

Les très riches se font concurrence pour savoir qui aura le yacht le plus grand, le plus beau et le plus cher. Mais, à l'arrivée, un bateau ne sera jamais qu'un bateau. Une fois acquis, à la longue, son propriétaire s'y habituera. Il ne sera plus aussi extraordinaire qu'à ses débuts.

Les seules choses qui ne s'usent pas avec l'habitude ou l'abondance ne s'achètent pas avec de l'argent. Il s'agit en particulier de l'amitié vraie.

Alors, la richesse matérielle assure-t-elle le bonheur ? Rien n'est moins sûr. Elle peut assurer le confort, faire des envieux, mais assurer mécaniquement le bonheur, certainement pas.

Et puis, si les très riches nageaient dans le bonheur, ça se saurait. Quand on les aperçoit de loin, les très riches ne donnent pas l'impression de connaître une sorte de bonheur extatique supérieur et hors de portée des moins riches.

Les très riches craignent à juste titre qu'on s'intéresse à leur argent en faisant semblant de s'intéresser à eux. Problème que n'auront jamais les pauvres. Ils craignent aussi parfois d'être enlevés contre une demande de rançon. Et s'entourent de gardes du corps. Résultat, ils ignorent la tranquillité. Qui est une des plus précieuses richesses.

Les riches, frustrés de ne pas être heureux, compensent souvent cette insatisfaction en cherchant à posséder le plus d'argent possible. Qui ne leur sera le plus souvent d'aucune utilité. Mais ravira plus tard leurs héritiers.

Basile philosophe naïf, Paris le 25 juin 2018

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