« On ne faisait
même plus l'amour » : propos péremptoire que m'a tenu une
amie il y a plus de vingt-cinq ans, pour m'expliquer pourquoi elle
avait du quitter son petit copain et ne pouvait pas faire autrement.
Ce qui signifie implicitement qu'un petit copain, c'est celui avec
lequel on baise. Et on doit le faire régulièrement. L'acte sexuel
servant en quelque sorte de « péage d'entrée » dans
« la vie à deux ». Avec renouvellement régulier, sinon
faillite du « contrat ». Jeune fille, tu aimes ? Alors,
écartes les jambes ! Jeune homme, tu aimes ? Alors bandes et mets
ton engin dans le trou ! Bon dieu, quelle poésie !
« Poésie »
qu'on voit répercutée par mille canaux divers : rubriques du
courrier du cœur de conseils aux amoureux, discours
pseudo-scientifiques, etc. Et en effet, si on prétend « former
un couple », c'est qu'on « sort ensemble ». Ce qui
doit se faire avec une seule et unique autre personne, sinon « on
fait n'importe quoi ». Le « sexe », bien sûr
exclusif, serait la marque identificatrice de l'amour réussi. Ne
dit-on pas « faire l'amour ? » Mais où se trouve
l'amour dans tout ça ? Avec une telle façon de voir les choses, il
survit tant bien que mal, et plus souvent mal que bien.
L'acte sexuel pratiqué
régulièrement est promu au rang de « certificat de garantie »
de l'amour. A partir du moment où la gymnastique réglementaire est
pratiquée dans l'alcôve conjugale, on est en droit d'ajouter
l'élément complémentaire à la relation ainsi établie : le
contrôle de l'autre. C'est-à-dire la légitime, féroce et sans
pitié jalousie : « si tu fais crac crac avec un ou une autre,
je te tue ! » (variante ancienne). « Si tu fais crac crac
avec un ou une autre, je te quitte ! » (variante moderne).
L'amour se résumerait
donc au fond à « crac crac » ?
Et puis, cette
gymnastique permettra de planifier la venue des enfants, fruits de
l'amour. Car sans « crac crac » pas d'enfants possible.
Ce qui donne l'horrible formule suivante que j'ai entendu : « nous
voulons un enfant. On y travaille. »
L'acte sexuel devient ici
un travail, comme chez les prostitués. Mais, il y a
aussi, déversé par mille canaux divers le matraquage permanent à
propos de « l'épanouissement sexuel » possible et
o-bli-ga-toi-re ! Hier, l'épanouissement consistait à éviter
de baiser hors du mariage et pour autre chose que pour avoir des
enfants. Ça a changé. A présent, il faut baiser et rebaiser
régulièrement, sinon on est un malheureux, un malade, un déviant,
un raté, un moins que rien.
Articles, livres,
émissions de radio ou télévision, on n'y échappe pas. Faire
l'amour au minimum deux ou trois fois par semaine devient une
obligation hygiénique au même titre que se brosser les dents trois
fois par jour ou s'essuyer le zizi après l'avoir lavé, pour éviter
les champignons.
Et les statistiques
tombent : « les Français font l'amour trois fois par semaine.
Ils sont épanouis, bons amants. Etc. »
Et voilà qu'au milieu de
ce concert lénifiant surgit un mec bizarre, moi. Qui prétend que
l'acte sexuel ne doit se pratiquer qu'à condition qu'existe un désir
authentique, qui est plutôt rare. Et que sinon, pratiqué en
d'autres circonstances, l'acte sexuel va ruiner la relation entre les
personnes concernées.
Mais qu'est-ce que je dis là ? Si on me suit, une bonne partie du relationnel proclamé s'effondre. Si on ne baise qu'en de rares occasions, alors pas de contrôle exigible, pas de planning pour avoir des enfants, pas d'« épanouissement ». Mais, c'est l'anarchie !
Mais qu'est-ce que je dis là ? Si on me suit, une bonne partie du relationnel proclamé s'effondre. Si on ne baise qu'en de rares occasions, alors pas de contrôle exigible, pas de planning pour avoir des enfants, pas d'« épanouissement ». Mais, c'est l'anarchie !
Plutôt que chercher à
me répondre, on va me remettre en question. Je dois être un mec
bizarre, asexuel, pas épanoui, homo qui s'ignore, etc. A quoi je
réponds que je me porte très bien, me sens très bien et ne cours
pas plus après les hommes que les femmes ou les mulots.
Me suivre, en dépit du
caractère simple de mes propositions, signifie suivre seulement et
uniquement le désir authentique, sinon éviter l'acte sexuel. Mais
me suivre alors, remet en question toute une partie du discours
erroné de l'homme sur lui-même.
L'acte sexuel galvaudé
est vu aujourd'hui par une multitude de personnes comme la porte de
l'amour, une chose unique et merveilleuse, la marque de
l'émancipation de la femme (en imitant l'homme qui drague), la
marque de l'arrivée à l'âge « adulte », la récompense
des riches qui sont « couverts de femmes », le but du
dragueur, une chose qui permet un plaisir mythique plus long que
quelques misérables minutes, plaisir qui s'exalte dans la
pornographie (où les « acteurs » et « actrices »
le plus souvent simulent et s'emmerdent), etc.
Et il faudrait remettre
en question tout ça ? En proposant simplement de s'écouter au lieu
de suivre le discours abrutissant régnant ? Allons bon !
Il y a peu de chances que
beaucoup de gens me suivent. Mais, à propos, comment en suis-je
venue aux idées que j'avance ?
J'avais une amie proche.
On se disait tout. Et on rigolait ensemble à l'idée qu'un tas de
gens autour de nous s'imaginaient que nous étions amants. Puis, un
jour, on s'est rapproché physiquement. On s'est dit alors qu'on
était « un couple ». On a mis à l'ordre du jour le fait
de faire crac crac et la vie à deux. Ça a très bien fonctionné,
sauf crac crac. Et au bout de deux années merveilleuses, ce furent
presque deux années et demie d'enfer. A la fin, quand nous nous
sommes séparés, il y avait de la haine entre nous deux. Mais
comment avons-nous pu en arriver là ?
Comme crac crac n'a
jamais bien fonctionné, un ami proche m'a suggéré que c'est à
cause de ça que ma compagne, insatisfaite, m'avait quitté. Discours
bien dans le sens de la « pensée unique » mais qui
n'explique pas tout. Pourquoi et comment avons-nous pu passer de
l'amitié à la haine ? J'y ai bien réfléchi.
Au début, nous étions
authentiques. Nous étions amis. Mais, après nous être rapprochés
physiquement, nous avons choisi de quitter l'authenticité. Si la
relation a dérapé, c'est parce qu'au lieu de rester nous, nous
avons voulu, de bonne foi, placer notre relation dans un moule. Le
moule de « la vie à deux », et dans celui-ci, il y avait
le fameux péage d'entrée renouvelable : crac crac. Or faire l'amour
est tout, sauf un geste anodin. Chercher à le faire parce qu'on se
dit qu'on est ensemble, est la plus belle ânerie qui soit. Et le
plus sûr moyen à terme de détruire la relation.
Des millions de personnes
de bonne foi commettent chaque jour l'erreur que nous avons commise.
Et leur relation fini par exploser au bout d'un temps variable. Et
comme à l'origine il s'agit d'une vraie relation, adultérée
ensuite avec l'acte sexuel et la vie à deux artificiellement
convoqués, les personnes concernées vivent très mal leur
séparation.
J'avais plus ou moins
bien compris ce phénomène depuis quelques années. Là, j'ai fini
par acquérir la certitude que s'il y a bien une chose à exclure de
l'amour : c'est l'acte sexuel intellectualisé. Dont le choix de la
pratique relève d'un raisonnement et non d'une faim véritable,
authentique et partagée.
Si demain la femme la
plus merveilleuse possible me propose de « faire l'amour »
et vivre avec elle alors que je n'en ressens pas l'authentique envie,
je dirais non. Quitte à ce qu'elle m'envoie au diable suite à mon
refus. Car je sais où l'acte sexuel mal venu et la vie à deux non
souhaitée conduisent. Et ne veux pas m'y retrouver à nouveau : avec
la haine, le désespoir et la solitude ressentie.
J'ai renoncé
catégoriquement à poursuivre l'erreur que je partageais avec mon
entourage : croire qu'il faut quelque part absolument chercher et
trouver la personne avec qui on vivra ensemble et on fera
régulièrement crac crac. Ce renoncement à l'erreur a entraîné un
phénomène qui m'a surpris. Je suis largement sorti du
conditionnement général de la sexualité et de l'amour. Ce qui fait
que je n'ai plus de projet en amour. Je suis prêt à aimer sans
à-priori, tout simplement. Et ignore la pression générale en
faveur de la recherche obsessionnelle de la bonne personne avec
laquelle on fera crac crac. Crac crac qui est une chose relativement
secondaire et occupe une place mineure dans la vraie vie. Crac crac
qui est enfin pour moi mis à sa juste place : petite et hors projet
planifié.
Quelle est l'origine
dudit projet ? On est matraqué dès l'enfance par le discours
impliquant de trouver un jour la bonne personne. A force de ne
pas la trouver, on fait comme tout le monde, on commence à
l'imaginer. Et, les années passant, l'imagination complète le
portrait de la relation rêvée. On va chercher celle-ci autour de
soi. On cessera de voir la réalité ambiante pour chercher à
matérialiser une situation, une personne imaginaires. Conséquence,
on verra par exemple une personne seule vouloir le rester pour que la
place de la personne qu'elle rêve de rencontrer soit libre pour son
arrivée.
La relation rêvée se
construira autour de l'image de la compagne ou du compagnon qu'on
rêve de rencontrer. Cette figure imaginaire et fabuleuse sera le
pivot, la charpente, les fondations, la clé de voûte du rêve.
J'avais déjà remarqué que ladite personne rêvée par moi avait
des caractéristiques physiques précises. Répondait à un modèle
précis. Je n'avais pas identifié son origine exacte.
Quand mon projet en amour
s'est évaporé, le modèle est parti avec et j'ai pu identifier sans
problème son origine. Petite, brune, pas spécialement portée sur
le sexe : ma mère, vue par mes yeux de petit enfant. Le sexe elle
n'en parlait jamais. Et si je peux dire « vue par mes yeux de
petit enfant », c'est que ses cheveux n'étaient foncés qu'en
un temps où j'étais petit. Après, ils ont changé et se sont
éclaircis. Elle avait quarante-trois ans passés quand je suis né.
Quand le projet et le
modèle disparaissent, on découvre la réalité des relations
homme-femme. Elle est surprenante. Tant que je vivais à la recherche
du rêve je ne la voyais pas. Là, je vois le comportement féminin
que mon idéalisation de la femme m'empêchait de voir.
Ainsi il en est, par
exemple, de la stratégie de la tartine (mis et enlevé) dite
également du frigidaire à éclipses. Quantité de femmes vont
apparemment aller vers vous, vous ouvrir leurs bras au sens propre ou
figuré. Et puis repartir à toute vitesse en arrière. Quand on
beurre une tartine, on y met un tas de beurre. Puis, on racle la
tranche de pain en enlevant presque tout le beurre. Et quand on
répète l'opération, froid, puis chaud, puis froid, on est comme un
frigidaire à éclipses.
Ce comportement
contradictoire s'explique ainsi : au fond de chacun de nous se trouve
le désir de contact physique et moral, d'intimité partagée. Qui
est exempt de la sexualité impérative que la Culture acquise lui a
associé, indépendamment d'un désir vrai. La femme sait qu'en cas
de situation tendre, elle se retrouvera avec un homme qui exigera,
une pression générale de la société qui imposera la recherche de
l'acte sexuel. Cette situation est pénible. Alors, sans l'analyser,
elle va d'abord aller vers la tendresse authentique, puis esquiver la
sexualité artificielle en prenant la fuite.
Pour la même raison
hommes et femmes sont mal à l'aise à l'idée d'aller directement
vers l'autre. Qui signifie dans notre société « civilisée »
: aller directement à la tendresse polluée par l'acte sexuel
obligatoire indépendamment de la présence d'un désir vrai. La
cuillerée de goudron du sexe obligatoire dans le tonneau de miel de
la tendresse rêvée. Il y a de quoi être absolument dégoûté.
Envie d'aller vers
l'autre. Impossibilité d'y arriver sans l'ajout mal venu d'un acte
sexuel « intellectualisé ». Que faire alors ? C'est la
quadrature du cercle. Certaines femmes chercheront l'issue dans
l'irresponsabilité, l'alcool. Pour arriver à « quelque
chose » on va boire en compagnie masculine et risquer de se
retrouver dans des situations scabreuses, voire même dangereuses.
Sinon, en général, on
va jouer, sans aller « jusqu'au bout ». On baptise ça
« le jeu de la séduction ». En 1880, un jeune étudiant
en médecine parisien notait dans son journal que les jolies filles
apercevant un beau jeune homme, relevaient leurs jupes et jupons un
peu plus haut que nécessaire pour éviter les flaques d'eau les
jours de pluie. Aujourd'hui, les mêmes comportements s'observent
toujours.
Il en est ainsi de l'art
du décolleté indiscret. Il s'agit de montrer sans montrer tout
en montrant, faisant croire de montrer, ou laissant voir par
« inadvertance » ses nichons.
Il en est ainsi également
de l'art de la culotte. Il s'agit de montrer sans montrer tout
en montrant, faisant croire de montrer, ou laissant voir par
« inadvertance » sa culotte ou une partie de celle-ci.
Tout en jouant ainsi, les
femmes observent discrètement leurs cibles. Elles ne regardent pas
franchement et directement. Elles usent de toutes sortes de
techniques : regard latéraux, regard porté un instant et détourné
aussitôt, balayage oculaire de la zone où se trouve la cible, port
de lunettes de soleil pour cacher ses yeux, sommeil simulé, etc.
Le manque d'amour et de
tendresse est permanent et envahi tous les strates de la société.
Une des causes jamais évoquées de la consommation tabagique réside
dans le fait que sucer sa cigarette, sa pipe, son cigare, compense
l'absence de bisou sur la bouche éventuellement avec la langue.
Car le bisou sur la
bouche est un acte tendre et intime plus intime que quantité de
gestes classés « sexuels ». Et son manque fait d'autant
plus souffrir. Regardez bien un fumeur de cigarettes : devant tout le
monde il se branle la bouche, les lèvres, la langue avec sa
cigarette !
Les amateurs de cigare,
sous prétexte de l'humecter vont jusqu'à le lécher soigneusement
et sans se cacher. Qu'ils en soient conscients ou non, ils compensent
ainsi le manque de léchage d'eux-mêmes et de leur prochain.
Derrière l'humain « civilisé » le singe originel est
toujours là.
D'autres compensations du
manque d'amour, de tendresse, sont particulièrement dévastatrices :
ainsi la recherche frénétique du pouvoir ou de l'argent pour
l'argent (la chrématistique) qui conduit aujourd'hui notre
Civilisation à l'abîme.
Chercher
obsessionnellement le pouvoir et l'argent pour l'argent est une
déviance. Et l'origine de cette déviance est le manque d'amour et
de tendresse causé par la recherche de l'acte sexuel indépendant du
désir authentique et véritable. Notre société est bien malade.
Et pourtant, la sortie de
l'impasse pour chacun de nous est si simple : « écoutez-vous
vous-mêmes ! Ne cherchez à faire l'amour que quand vous en avez
authentiquement envie, sinon évitez absolument ! » Mais une
vieille sagesse orientale dit que : « un jour les dieux
voulurent cacher un secret aux hommes là où ils ne sauraient pas le
trouver. Alors, ils le cachèrent dans l'homme lui-même. » Se
remettre en question, se corriger soi-même n'est pas la chose la
plus simple.
Et se corriger soi-même
ne suffit pas pour remettre en état la société dans son ensemble,
gangrenée par les pouvoirs et les cupidités multiples d'humains
égarés qui persistent dans l'erreur. Il faudra un jour trouver la
solution pour qu'enfin ils lâchent prise et nous laissent vivre
paisiblement et libres.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 23 août 2014
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