vendredi 8 février 2013

90 Le problème câlinique

A lire ce que j'écris sur le manque de câlins et bisous, j'imagine deux réactions possible du lecteur à mon égard : « celui qui exprime de telles idées est un doux poète débile qui rêve que tout le monde se fasse des caresses. Et de toutes façons on n'en a pas envie. » Ou alors : « celui qui exprime de telles idées est un obsédé sexuel qui rêve de transformer le monde en une immense partouze permanente. »

En fait, ce n'est ni l'un, ni l'autre. Mais quand on soulève un très ancien et grave problème que l'on s'obstine depuis très longtemps à éviter de poser, il est normal d'être mal compris.

La fringale générale de câlins est terrible. Elle suscite quantité de troubles en apparence sans rapports entre eux.

Au tout début des années 1980, une amie, mère d'un petit garçon, me disait avec tristesse : « Ça y est, mon fils a grandi. Il ne veut plus de câlins. » Or, j'observais l'attitude de celui-ci à mon égard. Bien au contraire, il témoignait d'une faim évidente de câlins. Quand j'étais assis à côté de lui, en particulier, il posait sa tête sur mes genoux. Il avait quatre ans. Pourquoi sa mère me disait le contraire ? Simplement pour la raison suivante : divorcée et privée de toutes caresses elle avait sans le réaliser, tendu à chercher à compenser ce manque de caresses en se reportant sur son fils. Sans pour autant l'agresser, elle avait eut une attitude qu'instinctivement son fils avait ressenti comme déséquilibrée. Ce n'était pas lui faire des câlins simplement, qu'elle cherchait avec lui, mais également compenser son manque de caresses à elle en général. Ce déséquilibre conduisait son fils à repousser ses câlins. Elle en déduisait qu'il ne voulait plus de câlins en général. Mais elle se trompait. Avec moi, il n'éprouvait pas de problèmes pour en rechercher.

Par la suite, bien des années après, bien carencé en câlins, ce petit garçon, devenu un homme adulte, sera capturé par la première femme intéressée qu'il rencontrera et qui saura le manipuler pour profiter de lui. Elle n'aura aucun mal pour le transformer en petite marionnette, sachant utiliser à fond le manque de câlins et les habitudes domestiques de cet homme pour en faire sa chose à elle.

Au siècle dernier, le gendre de Karl Marx s'est suicidé avec son épouse. Le motif qu'ils ont donné par écrit pour leur geste était de vouloir éviter la déchéance de la vieillesse. Plus près de nous, Etiemble, grand orientaliste et sa femme, ont eu le même geste. Pour ma part, j'ai une autre explication à donner à ces suicides. Vivant ensemble depuis longtemps, s'accordant bien ensemble et mieux qu'avec tous tiers extérieurs, ces deux couples appréhendaient avec terreur non la déchéance de la vieillesse, mais la perspective que la mort de l'un laisse l'autre seul. Pour y échapper, ils ont choisi de mourir volontairement ensemble.

Ce qui ne signifie pas que le motif qu'ils ont invoqué pour se donner la mort, ils ne l'ont pas donné sincèrement. Mais le vrai motif au fond d'eux-mêmes était tout autre. C'est celui que j'indique ici.

Se replier sur son couple pour satisfaire son besoin de câlins conduit à des drames. Car, à moins de périr ensemble dans un accident, les couples se défont par la mort d'une de ses composantes avant l'autre. J'ai connu ainsi un homme qui a vécu presque soixante ans en couple très uni. A la mort de sa femme, il s'est écroulé moralement et ne s'est pas relevé.

La carence subite en câlins peut également intervenir dans des relations autres que matrimoniales. Je me souviens à ce propos d'un remarquable homme de théâtre italien mort très jeune suite à une méningite. Peu après, sa sœur s'est suicidée.

La carence en câlins est aussi la source de graves troubles sexuels. On se souvient de cet homme d'état français qui vit sa carrière politique ruinée suite à une relation sexuelle inappropriée selon lui, un viol selon elle. Pourquoi ce personnage remarquable a-t-il cédé à ses impulsions de la sorte ? Parce que sa fringale de câlins, il y répondait, mal, par des activités sexuelles frénétiques et devenues irrésistibles.

Le viol est une manifestation non pas des désirs sexuels, mais de la fringale câlinique à laquelle certains répondent en agressant sexuellement d'autres personnes, adultes ou enfants.

Pourquoi les victimes de viols ressentent-elles souvent paradoxalement de la culpabilité ? Parce que leur agression leur rappelle la carence câlinique dont elles souffrent aussi. La rencontre entre une agression violente et une faim violente de câlins est une source de souffrances que les victimes n'arrivent pas à analyser.

Quand la perspective de satisfaire sa fringale câlinique est subitement détruite par un « chagrin d'amour », le suicide paraît à beaucoup l'unique issue.

Alors que des caresses suffiraient, que de drames dans la société humaine ! Si la fringale câlinique disparaît demain, plus de viols, de suicides pour chagrins d'amour, de vies tristes et mélancoliques, d'alcoolisme, de toxicomanie et autres comportements compensatoires. Tels que la recherche frénétique du pouvoir, de l'argent, de la réussite, de la violence, de la souffrance, de la célébrité, de la domination des autres.

On le voit, poser la question des câlins est loin d'être l'expression de rêveries poétiques débiles ou d'obsessions partouzeuses. Elle est la question dont la réponse permettra de redonner à la vie des humains son sens réel : l'amour partagé avec son prochain.

La réponse à nos questions de vie est en nous. A nous de savoir y répondre, pour arriver à vivre et assurer la vie des autres. Il faut nous révolutionner en redevenant nous-mêmes. Si nous ne nous aimons pas nous-mêmes et n'aimons pas les autres, personne ne le fera à notre place. Aimer, telle est notre réalité. L'amour entre les humains est l'expression entre les humains de l'attraction entre toutes les choses, qui régit aussi bien le fonctionnement des atomes que le mouvement des galaxies. La caresse est une chose sensée, indispensable, honorable et sérieuse. Son refus est à la source de toutes les catastrophes. Son acceptation intelligente est la porte du bonheur.

Câlinons-nous les uns les autres !

Basile, philosophe naïf, Paris le 8 février 2013

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