dimanche 28 avril 2013

99 La religieuse et la prostituée privée

Il est courant d'entendre dire qu'il est autant dire impossible que s'établisse une relation d'amitié entre un homme et une femme. Même si cela n'est pas toujours forcément vrai, ce propos illustre la fréquente difficulté pour que s'établisse une telle relation. Mais, en quoi consiste cette difficulté ?

Pour que s'établisse une relation sympathique entre deux individus, animaux d'une même espèce, trois facteurs indispensables interviennent : voir, toucher, être libre de faire ce qu'on veut, dans la mesure où, bien sûr, on n'empiète pas sur la liberté de l'autre. Qu'en est-il s'agissant des humains ?

La société que je connais et où je vis, c'est-à-dire française et parisienne, ne permet pas, le plus souvent, de voir l'autre. Et en être vu. Pour la simple raison que nous sommes habillés en permanence. Et si le temps est y compris caniculaire, nous portons toujours quelque chose sur nous en présence de la plupart des autres. En clair, la nudité publique est prohibée et interdite. Cet interdit auquel nous sommes habitués est totalement contre-nature, qu'il plaise ou non.

Le toucher est également réglementé et le plus souvent interdit, excepté des touchers ritualisés, peu chaleureux et très limités. Tels que se serrer la main, claquer une bise.

Enfin, la liberté d'agir n'existe pas, quand bien-même on voudrait respecter la liberté de l'autre.

Vous voyez-vous dans le métro demander poliment à une personne inconnue : « excusez-moi, mademoiselle, me permettez-vous de passer ma main dans vos cheveux ? » ou encore : « pardon monsieur, puis-je vous caresser doucement la joue ? »

La seule intention exprimée est aussi mal venue. Dire à une inconnue : « mademoiselle, j'aurais bien aimé vous caresser la tête, car vous avez de bien jolis cheveux » ou encore : « monsieur, votre visage si fin et régulier, votre peau impeccable me donnent l'envie de vous caresser la joue ».

Ces interdits sont y compris niés alors qu'ils existent bel et bien. Certains vont les nier en proclamant que : « bien évidemment je n'ai envie de câliner que des personnes très proches », ou encore : « avec les câlins, je n'ai aucun problème ».

On le voit, la culture dominante nie la liberté du toucher. Au nom de quoi et en échange de quoi le fait-elle ?

S'agissant des femmes, elles ont le choix entre deux rôles, deux constructions d'origine culturelle, qui représentent les deux faces d'une unique médaille : la religieuse et la prostituée privée.

La religieuse est intouchable, sacrée. On ne la touche pas. Ne l'effleure pas. Ne la voit jamais nue, même en imagination. Elle est « sérieuse », donc distante.

Sinon, l'autre rôle est celui de la prostituée privée. Son devoir est de se montrer nue à l'homme unique auquel « elle appartient ». Elle doit l'exciter sexuellement. Souhaiter, au moins en apparence, et accepter son « hommage », c'est-à-dire la pénétration de son pénis.

Est-elle payée pour cela ? Oui et non, car elle peut gagner sa vie aussi par un travail. Mais l'homme, lui, est tenu d'être solvable pour compenser l'absence de rémunération du travail domestique fourni par la femme. Si vous êtes sans situation, pauvre, berger ou artiste, essayez de vous marier ! Vous verrez comment vous serez accueilli par la gente féminine désintéressée !

Bien sûr, il existe des exceptions qui, comme on le sait, confirme la règle. Elle dure depuis la nuit des temps. Ce qui ne signifie pas qu'elle est éternelle.

Quand j'étais enfant, dans les années 1960, à Paris, la société était infiniment plus puritaine qu'aujourd'hui. Je parle des apparences. Car le fond, lui, n'a pas changé. On ne voyait pas une profusion omniprésente de nudités féminines étalées à des fins publicitaires ou pornographiques. Cependant, une chose m'a beaucoup frappé. Quand je traversais avec ma mère les grands magasins ou leurs équivalents plus petits : les uniprix ou monoprix, nous passions devant le rayon de la lingerie féminine. A quoi bon tout cet attirail raffiné qu'en principe les vêtements cachent ?

Pour la simple raison, qu'il sert à exciter les hommes pour qu'ils accomplissent leur « devoir » !

Et je ne parle pas de la lingerie érotique, qui existe aussi.

Il y a peu de temps, je rencontrais brièvement une jolie jeune fille. Elle m'a chanté des chansons, et m'a beaucoup souri. Nos chemins se sont croisés. Et il est fort possible qu'on ne se revoit pas. Pourtant elle était très agréable et sympathique et paraissait m'apprécier. Pourquoi alors cette relation a avorté ? Pour les raisons culturelles que j'ai analysé plus haut.

Si nous avions été deux singes à l'état de nature, après avoir sympathisé, nous aurions eu des gestes de tendresse. J'aurais pu, par exemple, lui caresser les cheveux. Là, dans notre société soi-disant évolué, c'est impossible.

On se regarde. On sympathise. Oui, mais, seuls deux rôles sont possible pour la jolie fille : la religieuse ou la prostituée privée.

Religieuse elle est et reste alors. Et le rôle de la prostituée, appréciez la sophistication du piège, ne correspond pas non plus à une vraie relation. Car la relation à l'ordre du jour n'est rigoureusement pas celle que nous baptisons sexuelle et qui a pour objectif l'accouplement. La relation potentielle et authentique est de l'ordre des câlins : passer la main dans les cheveux de l'autre, par exemple.

Mais, ce geste plein et entier, cet instant précieux et pleinement vécu, est interprété par notre société malade et obsédée comme une « avance sexuelle ». Alors, que se passe-t-il entre nous ? Rien, ou presque : on se sourit de loin et on se quitte sans s'être connu plus qu'un bref moment partagé.

Si l'amitié entre femme et homme est presque impossible à vivre, c'est parce qu'en fait elle est interdite.

Très récemment, un professeur anglais âgé d'une trentaine d'années a quitté femme, enfants, emploi, pays, pour fuir en France en compagnie de son amie, âgée de dix-sept ans.

Sur demande des autorités britanniques, il a été arrêté en France et livré à la justice de son pays. Pourquoi ? Parce qu'en Grande-Bretagne cette relation est interdite. En France, elle est autorisée. Mais la demande britannique basée sur les lois de la Grande Bretagne a été suivie par les autorités françaises.

Bien peu s'en sont ému. Même certains ont applaudi. Si l'amour entre humains de sexes différents est malmené à ce point, dans l'indifférence quasi-générale, comment voulez-vous que l'amitié entre humains de sexes différents se porte bien et prospère ?

Comprendre ces choses c'est déjà commencer à les changer.

Basile, philosophe naïf, Paris le 28 avril 2013

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