mardi 13 juillet 2021

1490 Amour contrarié

J'avais vingt-six ans.

Étudiant aux Beaux-Arts,

Un mois j'ai été

Gardien au musée du Louvre.

A l'époque, un gardien

Etait affecté à la célébrité grecque,

La Vénus de Milo.

Or, un jour,

Devant s'absenter un instant,

Ce gardien m'a fait une demande :

De le remplacer

Comme seul gardien de la dame.

Me voilà au milieu de sa foule vénérante,

Je remarquais un vieux Japonais,

Aveugle, charmant et très souriant,

Pris en photo avec la vedette.

Je me suis dit :

Je n'ai jamais étudié cette fameuse statue.

Profitons-en pour la détailler.

Aussitôt dit, aussitôt fait.

Mais à mon arrivée au musée

On m'a bien dit :

« Vous ne regardez pas les œuvres,

Vous observez les visiteurs. »

A cette heure, j'en devenais un

Et oubliais d'être du musée

Le dévoué, fidèle et attentif serviteur.

Ce qui devait fatalement arriver arriva.

Passe non loin de moi

Le grand chef surveillant,

Que nous appelions Pinochet,

Du fait de ses fonctions

Et ses lunettes noires

Rappelant une durissime photo du dictateur.

Pinochet m'ayant vu plongé

Dans ma contemplation avide, béate, torride,

Amoureuse, antique et marmoréenne,

N'a fait ni une, ni deux.

Il m'a dépêché un de ses subordonnés,

Qui, fendant la foule,

Troublant ma contemplation,

M'apostrophant ainsi,

A bout portant et sèchement

M'a soufflé dans le nez :

« Dis-donc, jeune homme,

Vous surveillez la Vénus,

Ou vous surveillez les gens ? »

Me faire engueuler

Pour avoir admiré

La célébrissime et bellissime Vénus de Milo !

Quarante-quatre ans après cet instant,

Unique et sans précédent,

Rien que de penser

A cette admonestation,

De stupéfaction les bras m'en tombent !

Cette disputation a contrarié

Mon amour naissant et effréné

Pour la belle demoiselle.

Sans cela nous aurions probablement

Convolé en justes noces,

Et aurions eu beaucoup d'enfants !


Basile philosophe naïf

Paris, le 13 juillet 2021

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