mercredi 23 janvier 2013

77 A propos de nos seigneurs


Bien souvent, à lire les propos des journalistes et politiques, quand un adversaire politique est à fustiger, on ne se contente pas de critiquer ses idées et prises de positions. C'est forcément aussi, au choix ou en même temps : une canaille, un voleur, un idiot ou un fou. Il ne peut en aucun cas prétendre être quelqu'un d'ordinaire, même de bon, avec qui on n'est pas d'accord. D'une certaine façon il doit être quelqu'un de bien avec qui on est d'accord ou le diable qui est contre vous.

Pour ma part, j'ai fini, pour des raisons qui ne sont pas politiques, par rencontrer des gens de bords politiques différents. Il y en a de très bien partout et des moins bien aussi. J'ai ainsi rencontré un élu de droite très sympathique et sincèrement convaincu que le capitalisme est un système excellent. Auparavant, je n'avais guère qu'entendu parler de telles personnes et surtout en mal. Car les personnes qui me parlaient se situaient toutes à gauche. Et les gens de gauche souvent ne se fréquentent qu'entre eux, pareil pour les gens de droite. La diabolisation des gens du bord opposé est dans ce cas d'autant plus facilité.

Il serait temps d'arrêter d'insulter systématiquement ceux avec qui on n'est pas d'accord en politique. Il est parfaitement possible de critiquer et respecter. Ne pas être d'accord sans dire du mal de l'autre, mais seulement de ses opinions. Pourquoi il suffirait d'être du bord opposé pour être un voyou, une fripouille ? La vie peut nous amener à penser différemment. Nous restons néanmoins tous des êtres humains. Personne n'est obligé d'aimer ou être d'accord avec un autre. En revanche, tout le monde a droit au respect.

En France, quand on a un projet, on va souvent nous expliquer que pour le réaliser il faut des moyens financiers. Et pour les obtenir il faut demander une subvention. On nous apprend ainsi qu'il faut effectuer une tonne de démarches. Au bout, la plupart du temps on ne reçoit rien, ou très peu. Et on perd de toutes façons son indépendance. Les politiques, il faut le savoir, s'ils devaient satisfaire toutes les demandes de subventions devraient chacun disposer de ressources sans limites. Mais s'ils commençaient par refuser, ils perdraient les élections.

Ce qui fait que naît un système vicieux. Demandez n'importe quoi à un élu, un membre du gouvernement, une ambassade d'un pays étranger. A moins que votre requête soit abominable, vous recevrez toujours une réponse favorable, souvent assortie de compliments et avec rien derrière. Pour parapher ce genre de courriers existent des machines à signer. Elles imitent la signature du responsable sensé signer le courrier que vous recevez. Et qu'il n'a même pas lu. Ces machines existent au moins dès le niveau des mairies d'arrondissements des grandes villes françaises. J'en ai vu une. Elle avait la taille d'une grosse imprimante de bureau.

Les grands de ce monde, même assez petits, disposent en France d'une quantité de personnels destinés aussi à signer ces courriers bidons : « conseiller technique », « chargé de mission », sont deux titres dont on peut les retrouver affublés. Ils ne signifient rien de précis, sauf que ce sont des collaborateurs rémunérés qui effectuent le travail du responsable officiel.

Si j'ai un conseil à donner pour réaliser un quelconque projet s'agissant des officiels : ne leur demandez rien, n'attendez rien d'eux. Vous vous décourageriez et perdriez votre temps. Le monde n'a pas changé depuis le temps des rois. Quantité de charges officielles sont en fait honorifiques et gratifiantes financièrement. Ceux qui les occupent ne font pas grand chose, voire rien, à part signer officiellement, lire des discours qu'ils n'ont pas écrit et poser pour des photos où ils apposent solennellement leur signature au bas de documents dont ils ignorent le contenu exact.

Un ministre impliqué dans une affaire judiciaire avait bien résumé un jour son rôle : « je suis responsable, mais pas coupable. » Car il avait apposé sa signature au bas de décisions dont il ignorait le contenu. Ce qui fait partie de l'ordinaire des ministres. Pour réaliser un projet, j'ai eu l'occasion de parler à deux ministres de la Culture et au maire de Paris. Toutes ces personnes sont très aimables. Mais, vous parleriez à leur manteau accroché à un cintre, ce serait aussi utile pour réussir votre projet. Les policiers entre eux appellent les grands de ce monde dont ils assurent la sécurité : « les gros poissons ». Ils les approchent. Les connaissent bien. Et ne les aiment pas.

J'ai chez moi une collection de courriers officiels sur plusieurs années, remplis d'accords positifs et compliments, félicitations. Ces courriers viennent de France, mais aussi de pays étrangers où le système est le même. J'ai arrêté d'écrire aux officiels quand j'ai compris que ça ne servait à rien.

Si vous repensez vos projets en vous affranchissant de vos illusions, le monde ne devient pas rébarbatif. Il devient comme il est. Nous avons de nos jours une caste dominante qui, à la différence de la noblesse d'antan, n'a pas d'existence officielle. Mais c'est elle qui détient tous les leviers du pouvoir. La dénoncer ou la renverser ne servirait probablement qu'à en amener une autre à sa place.

Être privilégié, profiter de ses privilèges, n'est après tout que l'expression du vieil adage : « on n'est jamais si bien servi que par soi-même. » Et on ne proteste que contre les privilèges des autres.

J'entendais il y a quelques années des gens râler après les payes mirobolantes de certains sportifs, artistes ou vedettes de la télévision. Je me disais, en les écoutant : « mais s'il s'agissait d'eux, protesteraient-ils ? »

A lire ou écouter les médias, on a l'impression que seuls des saints seraient dignes de nous gouverner. A défaut de saints, des personnes en offrant l'apparence. Les candidats aux élections doivent présenter bien. Cela devient finalement plus important que ce qu'ils sont sensés faire. D'ailleurs, officiellement opposés, ils ne sont souvent en fait que concurrents pour occuper des places.

Un ministre disait il y a quelque temps, qu'à la veille d'élections il fallait souvent accentuer des oppositions en fait inexistantes ou presque. Afin de convaincre les électeurs de voter plutôt pour vous que pour un autre.

Quand on développe de tels propos, on s'entend répondre : « mais, alors, pour qui faut-il voter ? » Et pourquoi le saurais-je, ou aurais-je toujours forcément une réponse à cette question ? Et si vous votez, en tous cas, n'accordez jamais une confiance absolue à quelqu'un, si extraordinaire vous paraîtrait-il.

Dans la Rome antique l'empereur était divinisé. A bien y regarder, ça n'a pas trop changé. Sauf que cette divinisation est officieuse. Regardez le culte voué à notre président. N'est-il pas en réalité en quelque sorte divinisé par ses admirateurs ? Et quand je parle de notre président, j'entends tous nos présidents de la République depuis le début. Quand apparu le premier président de la République française ? Et qui était-ce ? Dernièrement, j'ai posé ces questions à des amis très cultivés. Un a eu du mal à répondre. Les autres ont séché. C'est assez cocasse. La plupart des Français ne connaissent pas les réponses. Le premier président de la République française est Louis-Napoléon Bonaparte élu le 10 décembre 1848. Il s'est fait ensuite sacrer empereur sous le nom de Napoléon III le 2 décembre 1852.

Toutes ces fonctions officielles me font penser à un grand théâtre qu'on chercherait à nous faire prendre pour la réalité. En fait, il faut essayer de vivre sans trop y penser. Les grands de ce monde ne pensent pas à nous. Alors, autant que possible, ignorons-les.

Basile, philosophe naïf, Paris le 23 janvier 2013

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