lundi 7 janvier 2013

56 Monde « réel » et monde « enfantin »

L'année 2012 qui vient de s'achever au moment où j'écris s'est caractérisée par un grand événement annoncé pour le 21 décembre : la fin du monde que les anciens Mayas avaient soi-disant prévu pour cette date.

Avides de remplir leurs médias avec rien, des journalistes en ont beaucoup parlé.

Bien sûr, il y a de quoi rire de tels bobards. Mais certaines catégories de personnes ont été passablement et véritablement effrayées par cette « prédiction ». Au nombre de celles-ci, bien sûr, les personnes fragiles et superstitieuses. Et également beaucoup d'enfants qui, entendant répéter l'annonce, finissaient par s'inquiéter. Certains m'interrogeaient pour savoir si c'était vrai. Pourquoi ?

Parce que les enfants vivent dans un monde différent du nôtre. Dans celui-ci le rêve et la réalité s'entrecroisent, s'imbriquent, se mélangent. La frontière entre la vie réelle, les films, les images aperçues, les propos entendus, les rêves, n'est pas nette.

Une petite fille me demandait : « est-ce que les fées existent ? » Ne voulant pas la décevoir, j'ai répondu : « c'est possible ». La même, par la suite m'a déclaré : « les fantômes existaient, à présent il n'y en a plus. » J'ai eu beau alors lui dire que les fantômes n'avaient jamais existé, elle n'en démordait pas. Elle savait que les fantômes avaient existé et ensuite disparu.

La même fillette parle fréquemment de ses sœurs. Y compris avec des détails : « ma petite sœur m'attendait à l'aéroport », me dit-elle par exemple. Elle est très attachée à ses sœurs. Vous me direz que c'est bien normal. Aimer ses sœurs va de soi. Petit problème : elle est fille unique.

Pourquoi, quand, comment a-t-elle décidé qu'elle avait des sœurs, je n'en sais rien. La logique du discours enfantin échappe à la logique. Si ça se trouve, initialement elle savait parfaitement qu'elle n'en avait pas. Mais à force d'en parler, elle a fini par être persuadée du contraire.

Nous, les adultes, avons appris à être raisonnable. A ne reconnaître comme réel que la réalité et tracer une frontière infranchissable entre celle-ci et le rêve, le monde de l'imaginaire.

Il n'existe plus de fées, fantômes, sœurs imaginaires. Il n'y a plus que la réalité sèche, vide, sans intérêts. Vous avez vu la tête des gens le soir dans le métro quand ils rentrent du travail ? Ils sont dans le monde réel. Ils ne croient plus à grand chose d'exaltant. Mis à part peut être gagner un jour au tiercé ou au loto, et devenir riche.

A devenir raisonnable, je ne suis pas certain qu'on gagne au change. Il vaut mieux croire aux fées et aux fantômes qu'au pognon.

Quand je pense aux croyances enfantines, me revient à l'esprit un passage de mémoires écrites par un soldat de l'armée de Napoléon 1er. Un soir, en Espagne, il observe un groupe de dames qui se raconte des histoires horribles remplies de diables et sorcières. A la fin, elles s'arrêtent toutes de parler, tremblantes de peur du fait des récits entendus. Ces femmes sont un peu comme les enfants. Ces derniers, bizarrement, aiment aussi avoir peur. On me l'a dit et je crois que c'est vrai. Les histoires de monstres, les enfants aiment ça. Ils sont tous aussi un peu poètes. Pour les adultes, être poète, c'est hélas plutôt une spécialité réservée à une minorité, voire une faiblesse d'esprit. A Turin, un jour, un général, vieil historien très érudit, m'a demandé ce que je faisais dans la vie. J'ai répondu tranquillement : « poète ». Ça l'a fait sursauter et me regarder ensuite avec quelque perplexité.

Basile, philosophe naïf, Paris le 7 janvier 2013

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