mercredi 9 janvier 2013

61 Le bonobisme


Les humains oscillent entre le bonobo et l'ascète. Ils ont, au fond d'eux-mêmes, un besoin criant de caresses et bisous. Et, opposé à ce besoin, la grande voix de la « Civilisation » qui leur intime l'ordre de ne pas « faire n'importe quoi ». Traduisez : ne pas toucher l'autre, ni se toucher d'ailleurs. Ce besoin de caresses, ce bonobisme, est omniprésent. Ce terrible manque de câlins est semblable par sa présence forte, universelle et invisible à la pression atmosphérique. On ne la sent nulle part en tant que telle. Mais il suffit de pomper accidentellement le contenu d'une citerne jusqu'à faire involontairement le vide dedans, pour la retrouver écrasée et constater que la pression existe.

Il arrive que des humains imaginent créer un oasis bonobiste. Un lieu d'échanges et partages libres de caresses. Deux obstacles à cette démarche vont alors surgir : d'une part, la confusion entre la recherche de câlins et l'organisation de partouzes pures et dures. D'autre part : il ne sera pas si facile que ça d'organiser de tels oasis.

Dans les années 1910, de jeunes allemands avaient tenté l'expérience en Suisse. Dû moins on peut l'imaginer en visionnant les photos de groupes qu'ils ont laissé : nus, ensemble dans la Nature. En juin 1968, j'ai vu rendre visite à ma famille une jeune femme norvégienne prénommée Inger. Elle était la secrétaire d'un célèbre metteur en scène français très engagé politiquement contre le gouvernement français du général de Gaulle. Inger a proposé à ma mère que ma sœur et moi allions séjourner dans une propriété champêtre avec quantité de gens très gentils. Ma mère, avec une très grande naïveté était d'accord de voir sa fille de 20 ans et son fils de 17 partir profiter d'une si belle occasion. Elle n'avait pas du tout compris qu'il s'agissait d'une communauté sexuelle libre... Inger, prise de scrupules et craignant peut-être aussi une catastrophe, s'est sentie obligée de préciser à ma mère que là où nous irions « la sexualité était très libre ». Nous n'y sommes pas allés.

Il y a environ quinze ans de cela, un poète connu avait pensé créer une sorte de république des caresses. Dans le cadre champêtre de cours de théâtre, lui, unique adulte entouré d'un groupe de jeunes filles, encourageait tout le monde à caresser tout le monde. Et aussi à faire l'amour. Le problème est que son aréopage caressant était très largement mineur. Quand l'affaire a éclaté, il s'est retrouvé tout d'abord durant un an en prison préventive. Puis il a pris six ans fermes dont il a passé quatre enfermé. On ne plaisante pas avec ces choses. J'ai lu une interview du poète faite par la suite. Il ne semble toujours pas avoir exactement compris ce qui lui est arrivé. Il a cru pouvoir renouer tranquillement avec la société singe dans le cadre bien organisé, contrôlé et surveillé de la société humaine. Organisation, contrôle et surveillance auxquels souscrivent la grande majorité des gens.

En Allemagne, un jeune homme a aimé sa sœur tant et si bien qu'ils ont eu ensemble deux enfants. Résultat, il a passé trois années derrière les barreaux. Chez nos voisins teutons on ne plaisante pas avec ces choses-là. L'inceste, même consentant, est un délit criminalisé.

L'autre jour j'étais dans un bus en banlieue parisienne. Un jeune homme, pour une raison que j'ignore était bras nus juste devant moi, alors que nous sommes en hiver et tout le monde est actuellement plutôt couvert. J'ai eu l'envie de lui caresser un bras. Bien sûr, je ne l'ai pas fait. Cet inconnu l'aurait mal pris, ou alors l'aurait pris pour une avance homosexuelle, ce qui n'était pas le cas. C'était juste du bonobisme. Je l'aurais fait dans un bus à Téhéran ou Kaboul, nous risquions la peine de mort. Car en Iran et Afghanistan celle-ci sanctionne aujourd'hui l'homosexualité. Des couples gays finissent régulièrement pendus pour avoir échangé des bisous.

Dans notre société, que faut-il choisir ? L'ascétisme ou le bonobisme ? Je répondrais : l'ascétisme dans 85 % des cas, le bonobisme dans les 15 % restant, de préférence dans un couple.

Basile, philosophe naïf, Paris le 9 janvier 2013

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