mardi 1 janvier 2013

42 Le viol militaire


En août 1967, j'étais en vacances en famille dans les Alpes, dans le village de La Bérarde, sur la commune de Saint-Christophe-en-Oisans, dans le massif des Écrins, au fond de la vallée du Vénéon. Nous logions dans l'ancienne petite école, au rez-de-chaussée d'une maison habitée par le maire et sa femme, un sympathique couple âgé au nom bien connu localement : Carrel.

Le vieux Jules Carrel, toujours actif et valide, le béret alpin vissé sur la tête, construisait une belle maison nouvelle en face de chez lui. Son épouse s'occupait des poules qui picoraient librement un peu partout, de-ci, de-là, autour de notre habitation et du chantier voisin.

Tiens ? Justement les poules... un jour, grand remue-ménage dans la vallée, envahie de militaires avec quelques très bruyants hélicoptères. Nous voilà au centre de manœuvres de l'armée française. Et, je ne le remarque pas tout d'abord, mais quelqu'un m'en parle : tout le temps où les militaires sont là, on ne voit pas une poule des Carrel en liberté ! Elles ont très certainement été proprement « bouclées » chez elles, dans leur poulailler, par les Carrel.

Ce fait rappelle un vieux conseil d'antan : « quand les militaires arrivent, cachez les femmes et les poules ! ».

Pourquoi les femmes ? C'est une allusion à un très ancien et horrible phénomène : le viol militaire.

Jadis, celui-ci était codifié.

Quand on s'emparait d'une ville, elle était décrétée mise à sac durant un certain laps de temps : par exemple, trois jours.

Durant ces trois jours, les militaires avaient carte blanche pour piller, brutaliser et, bien sûr, violer à loisir les habitants.

Pour faire bonne mesure, les victimes étaient réparties : les beaux quartiers riches étaient dévolus aux officiers, le reste, les quartiers pauvres, aux soldats.

Ainsi en fut fait, je l'ai lu il y a longtemps, par exemple de la ville de Calais, sous domination anglaise, reprise par les Français en janvier 1558. Les habitants ont du apprécier. La plupart ont ensuite trouvé refuge en Angleterre.

Cherchez sur Internet la reprise de Calais par les Français le 8 janvier 1558. Ce fait d'armes magnifique et glorieux : pensez, la ville prise en 1347 par les Anglais à l'issue d'un siège qui dura onze mois, fut reprise par les Français en sept jours. Pas un traitre mot le plus souvent pour évoquer le triste sort des habitants. Un bel exemple de pensée grise pour vous inviter à ne pas réfléchir sur la guerre et ses conséquences. Ici, les Calaisiens « libérés » des Anglais sont maltraités et chassés de la ville par leurs « libérateurs » français. Chut ! Silence ! On ne dit rien. C'est seulement quand on évoque la reprise de la ville voisine de Guines en 1558 qu'il est question, mais pas toujours, du pillage par les Français, car celui-ci donna l'occasion aux Anglais de faire une efficace sortie.

Mais, pourquoi s'appesantir autant sur deux villes martyrisées parmi tant d'autres ? Du temps du roi Louis XIV les nobles français, comme les nobles d'autres pays, faisaient la fête en hiver et repartaient à la guerre au printemps. Ce qui revient à dire qu'après avoir dansé à Versailles durant les mois de mauvais temps, nos nobles repartaient au printemps pour notamment violer à tour de bras durant les beaux jours. On comprend que la guerre ait été une activité fort appréciée par eux !

Du 14 mai au 7 septembre 1706 eu lieu un célèbre et terrible siège de la ville de Turin par les armées du roi de France. Elles s'y cassèrent les dents. Les témoins rapportent que les femmes et jeunes filles de Turin prirent une part active à la défense de la cité. Comme on les comprend, quand on devine le sort qu'elles auraient subi en cas de prise de la ville par les assaillants français !

Le viol militaire est un sujet dont on n'aime pas parler. Il existe d'innombrables tableaux à sujets militaires. Je n'en ai vu qu'une fois un où est évoqué la maltraitance des femmes par des militaires en campagne. Il est exposé au Musée du Risorgimento à Turin. On y voit un soldat agresser une jeune fille... Bien sûr, le soldat est un vilain ennemi autrichien, pas un brave soldat piémontais.

Au cinéma, dans le film R.A.S. d'Yves Boisset, sorti en 1973, qui traite de la guerre d'Algérie, la sexualité des militaires français en campagne est évoquée par deux fois. Un viol et l'apparition d'un Bordel militaire de campagne, en abrégé B.M.C.

Dans le film allemand Allemagne mère blafarde (Deutschland, bleiche Mutter) d'Helma Sanders-Brahms, sorti en 1980, on voit vers 1939 distribuer des préservatifs aux soldats en campagne.

C'est en gros tout ce que j'ai vu à ce sujet. Bien sûr, je n'ai pas tout vu et ce relevé ne prétend aucunement être exhaustif.

S'agissant du viol militaire durant le dernier conflit mondial, j'ai entendu ou lu quelques échos :

Durant la bataille d'Angleterre, il n'était paraît-il pas prudent pour des jeunes filles de trainer près des bases aériennes où de jeunes aviateurs risquaient leur vie pour sauver le pays. On a dit que s'ils agressaient des jeunes filles, les autorités ne réagissaient pas. On n'allait pas emprisonner des héros dont on avait un besoin vital pour la guerre. Donc, on les laissait libre d'agir.

Cette information n'est à ma connaissance étayée par aucune source écrite, ce qui ne signifie pas qu'elle soit fausse.

Deux semaines après le débarquement en Normandie du 6 juin 1944, quantité d'habitants libérés en avaient déjà marre des libérateurs. Ceux-ci étaient notamment des soldats issus des pénitenciers des États-Unis et envoyés libérer l'Europe. A la place des occupants disciplinés qu'ils avaient battus, les nouveaux venus s'en prenaient facilement aux femmes et jeunes filles du coin. Surtout que quand on est susceptible d'être tué à chaque instant, cela décuple les instincts jouissifs et reproducteurs... Mais, motus ! Il ne faut rien rapporter à ce sujet. On ne « calomnie » pas ainsi les libérateurs !

Enfin, ça je l'ai lu dans un livre sur la première journée de la paix en Europe en 1945 : des femmes libérées des camps de la mort recevaient ce jour-là la visite d'un officier soviétique les conseillant de se barricader, car il ne « tenait » pas ses hommes, et, la nuit prochaine ils allaient venir les agresser. Ces femmes se sont barricadées. La porte a tenu la nuit suivante. Elle n'a pas cédée aux tentatives d'effraction par les soldats russes venues pour violer comme l'avait annoncé leur officier.

On pourrait continuer les exemples anciens ou récents, mais à quoi bon ? Un fait mérite d'être rapporté : le 15 avril 1919, une action féminine de masse contre le viol militaire a été tentée. Au président de la Conférence de paix de Versailles Georges Clemenceau a été remis une pétition signée par six millions de femmes américaines contre le viol de guerre. Exigeant le châtiment des coupables (seuls les militaires ennemis étaient mentionnés) et aussi que les femmes victimes de viols de guerre ne soient pas considérées comme coupables, mais assimilées à des blessées de guerre. La pétition a disparu dans les oubliettes. Ce 15 avril est une date importante dans l'Histoire.

Basile, philosophe naïf, Paris le 1er janvier 2013

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