jeudi 10 décembre 2015

487 Déprogrammer pour être heureux

L'art de se pourrir la vie, c'est l'art de se « programmer ». Au lieu d'attendre de ressentir quelque chose, d'avoir envie de quelque chose, de faire naturellement quelque chose, d'être ainsi dans l'instant présent, le seul qui existe, on est dans une dimension théorique, un futur conditionné au respect de « programmes », le plus souvent élaborés par d'autres, qu'on ne connait pas. Quand on programme, tout ce qui est programmé devient un drame, une compétition, un challenge, du plus facile au plus difficile. On ne vit plus. On est perpétuellement en devenir et jamais en existant. On croit qu'en programmant on se protège. En fait, on détruit sa principale richesse : la légèreté de vivre, le bonheur d'être, la tranquillité, la sérénité, le sentiment d'harmonie. On n'est plus rien car on n'ose pas être soi. On se bande les yeux devant la réalité. Qui, en dépit de notre bandeau, continue à exister. Comme elle nous dérange, nous resserrons le bandeau, nous inventant des règles, des projets, des impératifs imaginaires. « S'il fait ci, nous disons-nous, nous ferons ça. » Et si ça arrive, nous suivons le « programme » prévu, quitte à nous exploser. Je me souviens avoir promis un jour une chose. L'ayant promis, je me suis pourri la vie avec durant des années. Jusqu'à ce que l'autre à qui j'avais promis, me libère... en trahissant sa promesse d'attendre la réalisation de la mienne. On va littéralement transformer la vie en asile de fous, en usant de tels « raisonnements » !

Certains croient à des mots magiques. Des mots dont ils ne remettent pas en cause le rôle. Et dont ils ignorent le sens exact. Ainsi, j'ai lu le propos de quelqu'un qui condamnait un comportement néfaste aux autres. Au lieu de dire : « cette manière de faire nuit à son prochain, c'est pourquoi il faut la proscrire. Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fasse. Aimons-nous les uns les autres, » l'auteur de ce texte disait : « il ne faut pas le faire car la loi l'interdit ». Bien malin comme argument, sachant qu'il peut exister des lois injustes. Et que ne pas respecter la loi peut être aussi une bonne chose. Par exemple, voler de la nourriture pour nourrir ses enfants qui meurent de faim est illégal, mais peut être moral et bienvenu si c'est l'unique moyen disponible pour les nourrir et secourir. Un domaine où la programmation atteint des sommets de délire, c'est ce qu'on baptise : « la sexualité ». Ainsi je vois ces jours-ci à Paris une publicité vantant la prévention du SIDA : « je suis amoureux, je fais le test ! » Sous-entendu : « je suis amoureux, donc je dois baiser, je vais baiser ». Et pourquoi donc ? Tout le monde sait qu'on peut baiser sans aimer, pourquoi n'aurait-on pas la possibilité d'aimer sans baiser ? Notre société vit sous le règne du cul obligatoire. Soi-disant c'est le bonheur. A voir le nombre de ruptures qui arrivent, on n'a pas cette impression. Un ami me disait : « si le sexe rendait heureux, ça se saurait. » Une autre publicité actuelle montre un couple : jeunes, beaux, riches, car disposant d'un appartement très vaste et confortable, et accompagné d'un enfant. Sous-entendu : jeunes, vous devez baiser et avoir un enfant. Pourquoi devrait-on devenir une machine à baiser ? « Vous êtes contre la baise ! » me dira-t-on alors. Non, répondrais-je, je suis pour l'authenticité. Si je n'ai pas envie de baiser, je ne baise pas.

Il faut se débarrasser de cette masse de mini-programmes, ou vastes programmes parasites, qui se faufilent dans notre tête dissimulés sous des formules alambiquées telles que : « je dois », « il faut », « il ne faut pas », « ça ne se fait pas », « je m'oblige à », « je m'interdis de ». Et qui sont accompagnées par les applaudissements d'une foule esclave de programmations diverses. Rien ne la rassure plus que l'imitation de ses défauts. Le malheur programmé associé à la satisfaction perverse du « comme il faut ». Regardez un chat heureux : il mange, boit, se promène, joue, se fait caresser, dort. Il ne se pose pas un milliard de questions. Et ne s'imagine pas le plus riche, ou le plus célèbre des chats. Chat lui suffit. Que ne pourrait-on justement se dire : « être homme » ou « être femme » me suffit ? A quoi bon courir après des chimères intérieures ? Une fois qu'on a le ventre plein et un toit au dessus de sa tête, que demander de plus ? Le bonheur ? Mais, le bonheur est là, regardons-le, apprécions-le plutôt que de regarder au dessus de lui, cherchant quelque chose qui n'existe pas. Être comme le singe dans l'arbre, plus heureux qu'un empereur, telle est la plénitude du bonheur.

Basile, philosophe naïf, Paris le 10 décembre 2015

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