lundi 7 décembre 2015

482 La « pierre philosophale » sexuelle n'existe pas

Nos souvenirs de la très petite enfance nous donnent des informations précieuses sur le fonctionnement de l'instinct humain. J'ai un très vieux souvenir qui m'a interpellé. Je dois avoir trois ans, voire deux. Je suis dans une sorte de couloir. Mon père m'a abandonné là pour aller autre part. Je n'ai pas de vêtements sur moi. Ou me sens en tous cas nu. Et j'éprouve une peur panique que quelqu'un d'étranger, d'inconnu, débarque soudain. Et me voit nu. Ce n'est pas de la honte, de la pudeur, mais de la peur pure et terrorisante.

Un autre souvenir qui date de l'époque où j'ai probablement quatre ans, cinq au maximum. Nous sommes à la gare pour nous en aller. Mon père est près de moi et parle au guichet avec un employé que je ne vois pas. Et ensuite nous montons dans le train pour partir. Je trouve prodigieux que mon père sache quoi dire et faire avec l'employé du guichet pour que nous puissions ensuite monter dans le train et partir. Rétrospectivement et bien plus tard j'ai réalisé que je trouvais mon père prodigieux parce qu'il savait acheter des billets de chemin de fer !

Ces deux souvenirs cadrent bien deux aspects de notre enfance contrariée et prolongée. D'une part, pourquoi cette peur panique d'être vu nu par un inconnu ? Parce que lors de notre entrée dans l'enfance prolongée, nous nous sentons trahi par notre instinct. Nous avions cru grandir, devenir fort. Non, on nous annonce et fait comprendre que nous sommes immensément faible. Et nous sommes trahis par nous-mêmes : nos certitudes nous ont amené au stade où on nous fait comprendre que nous sommes incapable de nous débrouiller par nous-mêmes. Condamné à dépendre des grandes personnes pour un gigantesque nombre d'années. Donc, être très petit nous conduisait non à devenir autonome, mais à entrer dans le tunnel interminable de notre enfance prolongée. Au diable l'enfance qui nous a trahi ! Vite ! Il faut devenir grand ! Et qu'est-ce qui caractérise le fait d'être petit et vulnérable ? C'est singulièrement la nudité, les câlins, les caresses. Fi de ces états et échanges traîtres ! Au diable la nudité ! C'est la marque de notre débilité enfantine face aux grandes personnes grandes fortes et habillées ! C'est pourquoi j'avais peur d'être aperçu nu. J'étais en situation de faiblesse. Qu'est-ce qui pouvait alors m'arriver ? Être dévoré ? Les craintes enfantines sont si vite développées ! Il suffit d'un masque de loup pour que l'enfant voit le loup qui va le dévorer ! Certains petits enfants ont même peur des clowns !

Le deuxième souvenir à rapport au savoir des grandes personnes vus par les enfants prolongés. Alors qu'on devrait se sentir fort, on est devenu faible car on n'avait pas « le savoir ». Notre instinct nous a trahi. Et les prodigieux dieux que sont les grandes personnes sont là pour nous protéger.

Plus tard, quand nous sortons de l'enfance prolongée, nous trainons quantité de casseroles derrière nous : la volonté de pouvoir, le désespoir, la violence, le rêve. Quand « le sexe » arrive, on croit disposer de la clé pour résoudre notre détresse. La pierre philosophale sexuelle dont disposeraient les grandes personnes est enfin à notre disposition ! Elle changerait le plomb du quotidien en l'or du rêve réalisé et à notre portée. Dominer deviendrait bien et faire mal, avoir mal également. « Si j'ai eu mal, c'est que j'en avais envie », me disait une dame que j'ai connu, faisant le bilan d'une douloureuse sodomie. Erreur, il n'y a pas de pierre philosophale sexuelle qui verrait une sorte de magie résoudre le problème de la détresse née de l'enfance prolongée. Il faut remettre en question celle-ci, voilà tout. Et cesser d'avoir peur de tout. Chercher papa et maman partout. Voire chercher à se soumettre à papa sexe ou maman sexe qui donne des ordres : je bande, donc je dois... et ainsi j'arriverais au nirvana sexuel. Qui n'existe pas. Comme le Grand Amour, qui est une illusion. Les vrais couples fonctionnent différemment. La carence tactile est générale. C'est une famine générale permanente. Le bonheur est possible. Il suffit d'y croire. Chercher. Oser se remettre en question mille fois. Avancer toujours. Et persévérer infiniment au delà des limites du raisonnable !

Basile, philosophe naïf, Paris le 7 décembre 2015

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