Dans notre société, le
toucher entre adultes est ritualisé, prohibé, rendu suspect. Si
j'effleure un inconnu dans le métro parisien, je dois m'excuser tout
de suite, sinon je risque de passer pour mal élevé, louche, voire
carrément criminel sexuel. Pas question de passer la main dans les
cheveux d'un sympathique inconnu ou une sympathique inconnue. Ce
geste serait très mal perçu. L'interdiction du toucher entre les
humains adultes est étendue aux objets. Ne caressez pas la valise ou
le chapeau d'un inconnu, qu'il a posé sur la table d'un café, par
exemple. Vous passeriez pour un malade, un fou ou un voleur. En
revanche, un chat ou un chien inconnu, un cheval ou un âne inconnu,
même si c'est votre première rencontre avec, vous pouvez le
caresser. Moralité : vous êtes plus proche d'un chat, un chien
ou un cheval ou un âne inconnu que d'un homme, une femme ou un
enfant inconnu. Est-ce bien normal ? D'où vient et comment
s'exprime ce dérangement ?
Le toucher entre humains
adultes est assimilé à l'appel au coït. Et l'appel au coït à
l'obligation de baiser. Les hommes surtout, plus que les femmes,
semblent parfois ne penser qu'à ça vingt-quatre heures sur
vingt-quatre, sept jours par semaine et douze mois par an. D'où
vient cette obsession ? Est-elle naturelle ? Et sinon
depuis combien de temps et comment s'exprime cette obsession ?
Les chercheurs ont
retrouvé les traces de l'apparition de l'élevage. C'était il y a
vingt mille ans. Les humains connaissaient donc dès ce temps-là le
possible pouvoir fécondant de l'acte sexuel. Ils connaissaient la
durée de la gestation féminine ou animale. En revanche les humains
ne comprenaient autant dire rien à l'ovulation. C'est seulement vers
1845 que deux humains, les médecins français Félix-Archimède
Pouchet et Charles Négrier, ont décrit pour la première fois le
mécanisme de l'ovulation féminine ou animale. Il s'est donc passé
au moins vingt mille ans durant lesquelles les hommes ont connut
ignorance et stupidité concernant l'ovulation. Et d'abord ont pensé
que la femme était un récipient passif, une sorte de terre vivante
recevant la semence humaine masculine active. L'homme a cru durant au
moins vingt mille ans qu'il était le seul acteur actif de la
reproduction humaine. Cette absurdité lui a valut de tomber dans
l'obsession coïtal et le mépris des femmes. L'homme divisé,
disloqué, la femme niée, tel a été le prix de ces au moins deux
cent siècles d'ignorance. C'est là l'origine du machisme et des
violences faites aux femmes.
Depuis Pouchet et Négrier
l'Humanité ne s'est pas corrigée. Harcèlement sexuel, violences
diverses sont toujours là. Les hommes confondant très fréquemment
la masturbation masculine dans un orifice naturel d'un autre avec le
fait de « faire l'amour ». Pour faire l'amour, il faut un
désir authentique et réciproque. Ce n'est la plupart du temps pas
le cas quand survient la conjonction sexuelle de deux humains.
Reconnaître
effectivement à la femme son rôle actif dans la reproduction et sa
dignité sera le premier pas pour entrer enfin dans la Civilisation.
Tant que la maltraitance des femmes par les hommes durera aucune paix
ne sera possible. Le conflit immémorial entre l'homme ignorant et la
femme opprimée par lui s'exprime notamment dans le très étrange
traitement du toucher. Si le toucher se libère, par exemple dans la
danse en couple, les égouts de la conscience humaine ont tendance à
remonter à la surface de la conscience individuelle. Ça peut être
très violent. Cette prise de conscience de certaines choses bloquées
surgissant dans la conscience de l'être humain engagé bien malgré
lui dans le conflit antique entre l'ensemble des hommes avec
l'ensemble des femmes.
La libération même
partielle et ritualisée du toucher dans la danse en couple tend à
ôter le bandeau de l'inconscience des yeux et de la perception
générale de l'être humain. Ce travail sur soi par le toucher est
plus direct et ciblé que tous les discours verbaux et n'a pas les
effets secondaires des drogues pharmaceutiques qui assomment le
malaise et le malade avec.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 29 mars 2018
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