mercredi 21 mars 2018

919 L'appauvrissement du langage amoureux

Du temps de Molière, en France, on pouvait dire ou écrire à quelqu'un « je vous aime » sans que ça signifie une quelconque obligation sexuelle. Un « amant » c'était quelqu'un qui aime d'amour et est aimé. Un « amoureux » quelqu'un qui aime d'amour et n'est pas aimé en retour. « Embrasser » signifiait « prendre dans ses bras ». « Baiser » signifiait donner un baiser. « Faire l'amour » signifiait « faire la cour ». Aujourd'hui la langue de l'amour s'est appauvrit. On ne peut plus dire ou écrire à quelqu'un « je vous aime » ou « je t'aime » sans que ça ait une connotation pré-coïtal. « Amant » signifie qu'on a affaire à quelqu'un avec qui on couche. « Embrasser » signifie donner un baiser. « Baiser » signifie et vulgairement réaliser l'acte sexuel. « Faire l'amour » a la même signification en plus aimable. Il n'existe aucun mot ou expression pour dire qu'on veut ou on va dormir avec quelqu'un. Coucher avec quelqu'un, passer la nuit avec quelqu'un, aller au lit avec quelqu'un, dormir avec quelqu'un a toujours la signification implicite qu'on va s'accoupler avec. Pourtant on peut très bien vouloir dormir avec quelqu'un sans réaliser cette activité.

C'est difficile d'y voir clair quand le langage lui-même est biaisé. Il faudrait redresser le langage qui nage dans une sexualité sommaire implicite. Par exemple j'aimerais que « faire l'amour » signifie avoir une attitude amoureuse sans pour autant nécessairement s'adonner au sport en chambre.

L'amour « libre » c'est aussi la liberté de ne pas chercher le coït à tous prix. Quand le poète Georges Brassens écrit « la bandaison, papa, ça ne se commande pas », je le cite de mémoire, il montre qu'il n'a rien compris. L'érection ne signifie nullement forcément comme il le sous-entend ici, que l'acte sexuel est désiré, que c'est un besoin immédiat et une chose souhaitable. En dépit des discours qui le prétendent, l'érection ne signifie absolument pas forcément qu'il existe un désir concomitant. Quantité de raisons peuvent la provoquer. Si on se croit intelligent de chercher l'intromission du membre raidi dans un orifice naturel d'un tiers, sans qu'il y ait un désir véritable et réciproque, on détruit à terme la relation. Quantité de gens agissent ainsi, y compris de bonne foi. Tôt ou tard ils se retrouvent seuls. Tant pis pour eux ! Ils l'ont bien cherché ! Comme je le dis : « quantité de gens font de très grands efforts pour assurer leur malheur... et leurs efforts sont récompensés ! »

Il faut être à l'écoute de soi et ne pas suivre les discours obtus à la mode. S'il n'y a jamais eu autant de gens qui déclarent aujourd'hui « souffrir de la solitude », il y a bien une raison qui est aussi en eux. Si la compagnie des personnes âgées de cinquante ans et plus va souvent m'ennuyer, ce n'est pas parce qu'elles sont vieilles, mais parce qu'elles sont tristes. A force de faire des bêtises en amour elles vivent mal leur vie. Heureusement il existe des exceptions. J'espère en faire partie.

Avant mai 68 il semblerait que dans le domaine dit « sexuel » tout était interdit, suspect. Après mai 68 il semblerait que tout ce qui était interdit, suspect, est devenu obligatoire. On a remplacé l'interdit par l'obligation. Ce n'est pas mieux. L'obligation, fut-elle baptisée « amour libre », n'est pas la liberté.

Je me souviens d'un tract fameux sorti en 1972 qui faisait l'apologie, schéma joint, de l'acte sexuel. Et de la masturbation qui pouvait « combler l'ennui d'une heure de classe ennuyeuse ». Je ne me rappelle pas avoir vu dans ce tract la moindre allusion aux sentiments. L'acte sexuel y était présenté comme un produit de consommation non relié à une relation. Et il était réglé comme une horloge. Dans les années 1970, une actrice américaine du nom de Jane Fonda écrivait, je cite de mémoire : « faire l'amour est un acte hygiénique au même titre que se brosser les dents. » Le résultat de toute cette soupe idéologique soixante-huitarde est qu'on a remplacé une misère par une autre. Au lieu d'être frustré certains se retrouvent gavés et ne se sentent guère mieux que les frustrés d'hier. Et comme toujours, ce sont les femmes qui vont souffrir en premier. Il faut que ça change.

Basile philosophe naïf, Paris le 21 mars 2018

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