lundi 23 novembre 2015

472 Les mots camisoles

Un certain nombre de personnes - et probablement la plupart, dont nombre de jeunes, - croient sincèrement en France et à Paris que, entre humains adultes, « aimer » implique de devoir faire l'amour. Que les caresses entre adultes sont des « préliminaires » qui impliquent d'arriver forcément à l'acte sexuel. Considérer ainsi que quand on aime on doit faire l'amour. Que quand on fait des caresses on doit faire l'amour, car ces caresses seraient des « préliminaires »... revient à faire des mots « aimer » et « préliminaires » des mots camisoles, qui empêchent la pensée de fonctionner et les sentiments-même d'être entendus. On y ajoute d'autres fausses « évidences », comme celle que l'érection signifie désir et recherche de l'acte sexuel. Et tout est en place pour faire le malheur des humains, avec pour guide un inextricable schéma soi-disant objectif des rapports humains.

Il y a plus de vingt ans, je me souviens avoir commencé à échanger baisers et caresses avec une dame. Qui s'est subitement exclamé : « on ne peut pas faire l'amour parce qu'il y a le SIDA ! » Je me suis empressé de lui répondre que nous n'étions nullement obligés de « faire l'amour ». Quand après deux heures de caresses et baisers nus forts agréables nous nous sommes interrompu pour prendre le thé, cette dame s'est exclamé : « qu'est-ce qu'on n'a fait ? On n'a rien fait ! » Et elle a rit. Car, pour elle, « faire quelque chose » c'était en l'occurrence « faire l'amour ». Comble de l'absurdité conduisant à nier la vivante réalité. Par la suite elle a tenu à m'accompagner pour voir comment c'était chez moi. A constaté que je n'étais pas riche, loin de là. Et, par la suite, a évité de me revoir. Visiblement pour elle, si j'avais été du même milieu social aisé qu'elle, nous aurions pu ensuite « passer aux choses sérieuses », mettre l'oiseau dans le nid et devenir « amants ». Détail comique et révélateur, les quelques fois où je lui ai téléphoné par la suite, elle arguait d'une infection vénérienne pour ne pas pouvoir me revoir. Comme si le seul échange possible et a envisager devait concerner cet endroit-là. Notre société est bien barbare avec son obsession du cul.

Quand on est très jeunes, s'agissant du sexe, on se demande : que faire ? Puis, une fois qu'on s'est fait baratiner sur le thème « l'essentiel est parvenir au coït », on se demande : quand le faire ?

On se retrouve sensé devoir acceptez ou recherchez des choses, en refuser d'autres. Ça devient très incertain et abstrait. Il y a des imbéciles qui vont considérer le sexe comme un exercice ludique parmi d'autres : un resto, un film, une baise. Non, ça n'est pas égal. A-t-on déjà vu un chagrin d'amour provoqué par une entrecôte trop cuite ou une séance de cinéma ratée ? Le sexe, ça n'est pas une chose anodine, un produit parmi d'autres, à consommer.

Et si, s'agissant du sexe, on commençait simplement par se demander : « qu'est-ce qu'on veut ? »

Et si on s'arrêtait de commettre les erreurs d'interprétation des réactions génitales. Une érection signifie une érection; Elle ne signifie nullement forcément une envie de « faire l'amour ».

A force de placer abusivement le coït au centre des relations humaines entre adultes, les humains abusés finissent par ne plus rien y comprendre. Sauf que, d'évidence, ils souffrent. Et tendent alors souvent à rejeter la responsabilité de leur souffrance sur l'autre ou sur le mauvais sort. Un homme que je connaissais s'est trouvé confronté au refus catégorique de sa femme de « faire l'amour ». Au bout d'un certain nombre d'années de mariage, elle avait décidé d'arrêter de céder aux caprices sexuels de son mari. Ce dernier n'y comprenait rien. « Ça me rend fou ! Et elle, de son côté, elle dort très bien ! » Et lui de conclure : « elle doit être lesbienne ! » Elle a fini par divorcer.

Devant l'incompréhensible et l'insatisfaisant dans le domaine dit « sexuel », on dirait que le mot d'ordre de beaucoup soit : « surtout ne pas réfléchir ! »

Basile,philosophe naïf, Paris les 22 mai et 23 novembre 2015

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