Ma mère, jeune, était
très aisée. Âgée elle s'est retrouvée pauvre. Et me disait :
« quand j'étais riche, je mangeais toujours les gâteaux par
quatre. Mais ne les appréciais pas. C'est seulement quand je suis
devenue pauvre que j'ai commencé à les apprécier. »
Je dînais et déjeunais
dans un café associatif. Par économie ne prenais pas de boissons.
Un jour, je décide exceptionnellement d'en prendre une. Quand
j'attaque mon verre, c'est un délice ! Et le jus de raisins que
j'ai commandé m'apparaît très bon. De façon inattendue, j'ai
droit à un deuxième verre. Je me dis : « il sera aussi
bon que le premier ! » Pas du tout, il m'apparaît
quelconque.
Enfant, le top niveau des plaisirs gustatifs c'était pour moi les bananes. Ma famille étant pauvre, je n'avais droit au mieux qu'à une banane à chaque fois qu'il y en avait à la maison. Un jour, un vieux monsieur riche, voulant me faire plaisir, donne de l'argent à ma mère afin qu'elle achète pour moi quelque chose. Ma mère me demande ce que je veux . Je lui répond : « des bananes ! » Elle m'achète alors, rien que pour moi, deux ou trois kilos de bananes. Et là, déception : quand je mange quantité de bananes, elles perdent leur intérêt gustatif.
L'appréciation d'une
chose tient aux conditions où on y accède. Les personnes gavées de
bonnes choses les apprécient-elles ? J'en doute. Et aussi,
l’habitude aidant, ces choses ne deviennent-elles pas aussi
quelconques que les bananes citées plus hauts ? L'abondance ne
ferait pas le bonheur, voilà tout. Et ce qui est nouveau aura
toujours une qualité qui, par définition, ne se répétera pas.
On a parlé dernièrement
dans les médias d'une grande vente de vins très anciens, très
rares et très chers. J'imagine un riche acheteur qui achète une
trentaine de ces précieux flacons. Le premier verre de la première
bouteille entamée doit lui paraître extraordinaire. Mais le
trentième verre extrait de la énième bouteille ?
Les très riches se font
concurrence pour savoir qui aura le yacht le plus grand, le plus beau
et le plus cher. Mais, à l'arrivée, un bateau ne sera jamais qu'un
bateau. Une fois acquis, à la longue, son propriétaire s'y
habituera. Il ne sera plus aussi extraordinaire qu'à ses débuts.
Les seules choses qui ne
s'usent pas avec l'habitude ou l'abondance ne s'achètent pas avec de
l'argent. Il s'agit en particulier de l'amitié vraie.
Alors, la richesse
matérielle assure-t-elle le bonheur ? Rien n'est moins sûr.
Elle peut assurer le confort, faire des envieux, mais assurer
mécaniquement le bonheur, certainement pas.
Et puis, si les très
riches nageaient dans le bonheur, ça se saurait. Quand on les
aperçoit de loin, les très riches ne donnent pas l'impression de
connaître une sorte de bonheur extatique supérieur et hors de portée des
moins riches.
Les très riches
craignent à juste titre qu'on s'intéresse à leur argent en faisant
semblant de s'intéresser à eux. Problème que n'auront jamais les
pauvres. Ils craignent aussi parfois d'être enlevés contre une
demande de rançon. Et s'entourent de gardes du corps. Résultat, ils
ignorent la tranquillité. Qui est une des plus précieuses
richesses.
Les riches, frustrés de
ne pas être heureux, compensent souvent cette insatisfaction en
cherchant à posséder le plus d'argent possible. Qui ne leur sera le
plus souvent d'aucune utilité. Mais ravira plus tard leurs
héritiers.
Basile philosophe naïf,
Paris le 25 juin 2018
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