« Ah ! On
n'est pas fait pour vivre seul ! » « Je ne supporte
pas le fait de vivre seul ! » « J'ai des soucis
d'argent ! » « Je manque d'argent ! » Que
de fois j'ai entendu autour de moi gémir ainsi ? Et surtout :
quel comportement STUPIDE ET DÉBILE !
Il faut oser le dire !
En effet, il est vrai que
se plaindre d'une chose qu'on a, n'a rien de déraisonnable. Par
exemple d'avoir un nez trop gros, qu'on juge disgracieux, ou bien un
chapeau trop petit, un imperméable trop court qui vous protège mal
de la pluie, un dentier qui vous fait mal... Mais se plaindre d'une
chose qu'on n'a pas ! Qu'est-ce à dire ?
La chose n'est pas là.
On se l'imagine... puis on réalise qu'elle est absente... et alors
on gémit.
Mais il y a des millions
de choses qu'on n'a pas. On peut par exemple, souvent, à Paris ne
pas avoir un logement spacieux. Mais on n'a pas aussi la guerre, la
famine, les tsunamis... que d'autres ont chez eux et qu'ils n'ont
nullement souhaité.
Quand on se joue la
petite comédie de « ce qu'on n'a pas », elle est très
orientée, cette petite comédie. Par exemple, je me disais, il y a
des années : « je vis seul. Si j'habitais avec quelqu'un,
il pourrait s'occuper de moi si je suis malade. » J'ai fini par
vivre durant plusieurs années avec quelqu'un. Oui, mais voilà.
C'est l'autre qui était malade. Ça a duré pendant des années. Ça
lui empoisonnait la vie et la mienne aussi. Et quand cette personne
est allé mieux, elle a dit adieu à son garde-malade. Et c'est moi
qui ait allé très mal ensuite.
Le discours est toujours
à sens unique. La personne qui se sent « seule » croit
que celle accompagnée va mieux qu'elle. Il existe une quantité de
personnes « en couples » ou « en famille »
qui le vivent très mal. Mais la personne qui se sent « seule »
ne veut penser qu'à des situations idéales, à ses petits rêves
démoralisants.
Si j'ignore ces petits
rêves démoralisants, plutôt que me dire : « mon
logement est trop petit », je me dis : « j'ai un
logement ». plutôt que me dire : « je ne pars pas
souvent en vacances », je me dis : « je suis plutôt
en bonne santé et tranquille intérieurement ». Le petit
cinéma démoralisateur, je le laisse à d'autres qui semblent
prendre plaisir à gémir.
Parmi ces gémissements,
un très grand classique concerne l'argent. Mais se plaindre de
manquer d'argent est ridicule, pourquoi ? Parce que l'argent est
pour la plupart des gens une chose bien précise : une forme de
rationnement en quelque sorte sacralisé. Pour se justifier, ceux qui
rationnent volontairement les autres poussent toujours le grand
glapissement rituel : « y a pas d'argent ! »
Mais, tant que l'argent
existera, il va forcément manquer à la plupart d'entre nous,
puisqu'il s'agit d'un rationnement. Et pour un certain nombre parmi
ceux qui n'ont pas le sentiment d'en manquer, existera la peur d'en
manquer un jour. Ou d'être approchées par des gens qui en manquent.
Je connais des personnes
qui ne manquent de rien, qui évitent d'être trop proches de gens
qui ne possèdent pas grand chose Des fois qu'un jour ils viennent
leur demander de l'aide, des sous.
Je me souviens avoir vu
en vacances des parents s'appliquer à éloigner leurs enfants des
enfants d'un modeste artisan du coin où ils étaient en
villégiature. Pour éviter des situations jugées par avance
embarrassantes. Car, comme j'ai l'habitude de le dire : « un
pauvre, c'est plus encombrant et ça consomme plus qu'un poisson
rouge. »
Basile, philosophe
naïf, Paris le 9 janvier 2018
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