Ma mère était
sculpteur. Mon père a longtemps été artiste peintre. Dans ma
famille, mon frère aîné s'est déclaré photographe. Durant des
années, à lui les références techniques, le matériel cher et
sophistiqué. Moi, de mon côté, j'ai reçu en cadeau un appareil
photo quand j'ai eu dix-sept ans. J'ai commencé à photographier.
Mais pour moi le photographe de la famille restait mon frère aîné.
Et donc mes photos
c'était juste des photos souvenirs, des photos de vacances. Elles ne
pouvaient pas avoir d'intérêt artistique puisque le photographe de
la famille c'était quelqu'un d'autre que moi.
Sans le réaliser
consciemment, je suis resté fidèle à cette manière de ne pas voir
les choses durant plus de quarante-neuf ans... Et voilà que, ayant
accumulé des photos numériques, je me dis : « c'est
dommage qu'elles restent dans un coin. Je vais en mettre une
sélection sur un blog... »
C'est ce que je fais le
trente décembre dernier. J'en mets en ligne une petite quinzaine et
signale l'affaire à une amie. C'est là que, ô surprise, elle me
dit que les ayant vues, elle les a trouvé bien. Même que certaines
étaient jolies ! Pour la première fois de ma vie je me
retrouve avec des compliments s'agissant de mes photos. Ça a
débloqué quelque chose en moi. Au bout de deux jours j'ai réalisé
que depuis presque cinquante ans, à propos de mes photos, je
pratiquais l'art de la dévalorisation. Elles ne pouvaient pas
être réussies, puisque le photographe de la famille c'était mon
frère aîné.
Ce petit programme
parasite installé dans ma tête fonctionnait depuis l'époque de mes
dix-sept ans et même avant. Il me répétait : « artistiquement
tes photos n'ont aucun intérêt. Elles ne valent absolument rien ».
Ce programme, je l'ai débranché aujourd'hui deux janvier deux mil
dix-huit.
Je viens de feuilleter
quelques centaines de mes photos. Il y en a de très belles que je
vais mettre en ligne. Et d'autres aussi, que je trouve simplement
intéressantes. Avant, je ne le réalisais pas que des photos à moi
étaient belles, vu le verrou intellectuel que je portais dans ma
tête.
Les humains sont vraiment
étranges. Nous réussissons à nous dévaloriser sans même nous en
rendre compte et durant très longtemps.
C'est d'ailleurs un
élément fondamental de la société. Des millions de gens se
retrouvent gouvernés par une poignée de malins, ni forcément
doués, ni forcément méchants. Mais surtout souvent maladroits et
incompétents. Et pourquoi ces millions de gens agissent ainsi ?
Parce qu'ils se dévalorisent. Et se disent : « nous ne
sommes pas des hommes d'état. Les hommes d'état c'est eux, et pas
nous. »
Exactement comme moi qui
me disait : « le photographe ici c'est mon frère aîné,
ce n'est pas moi. »
D'autres se disent :
« je ne suis pas un artiste », « je ne sais pas
chanter », « je ne suis pas capable de... » On nous
apprend bien souvent à nous croire incapable. Combien de gens me
disent à l'occasion : « je ne sais pas dessiner. »
Alors que tout le monde sait dessiner un peu et peut apprendre.
Malheureusement il existe en plus des personnes vaniteuses qui vont
les décourager. « Vous ne savez pas » sera leur credo,
leur leitmotive, leur slogan préféré. Vous ne savez pas, laissez
faire les spécialistes ! Eux, ils savent. Ils savent quoi ?
Si peu, bien souvent. Et tout le monde peut apprendre. Si vous vous
mettez à dessiner vous ne deviendrez pas forcément Léonard de
Vinci, mais vous pourrez déjà vous faire plaisir, faire plaisir
aussi à d'autres. Ça en vaut la peine ! C'est exactement ce
que je vais faire avec mes photos.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 2 janvier 2018
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