lundi 20 janvier 2014

212 L'homme disloqué

Quand l'humain est nouveau-né, c'est un petit singe sauvage. La quantité d'aspects de sa vie que l'éducation, véritable dressage, va modifier, contrarier, nier, est invraisemblable.

Ainsi, par exemple : toutes émissions est prohibée. Si elle n'est pas évitable, elle est condamnée, mal vue, à cacher.

Au nombre de celles-ci : vomir, baver, pisser, péter, chier. Mais aussi d'autres, qui n'ont pas de noms précis : sentir, c'est-à-dire dégager des odeurs corporelles naturelles. Émettre de la morve. Le verbe n'a pas été inventé pour. Je l'invente : morver. Dégager du cérumen, idem : cérumener. Et, dans le régistre sexuel "adulte"  : spermer, cypriniser, cowperiser.

A propos de ce dernier verbe : les glandes de Cowper émettent une substance translucide et gluante. Elle n'a pas de nom simple. Certains disent : liquide de Cowper. D'autres : liquide pré-éjaculatoire. Cette dernière qualification est impropre, car l'éjaculation peut très bien ne pas suivre. Je propose : cowpérine, mot bâti sur le modèle de son équivalent féminin, la cyprine. Ou encore, plus poétiquement, salive d'amour.

Autre interdit inculqué, infligé au petit singe humain : gouter, toucher, jouer avec ce qu'il émet.

Le toucher est limité par les vêtements, les interdits. Même se toucher certaines parties de soi est prohibé. Toutes pénétrations est interdite ou mal vue : se mettre le doigt dans la bouche, le nez, les oreilles, le vagin ou l'anus. Palper diverses parties des grandes personnes, comme les seins des dames.

Il est interdit de voir, laisser voir, montrer, chercher à montrer, diverses zones de l'épiderme ou des muqueuses, en particulier la langue, le sexe et l'anus.

Un membre humain est condamné en général : la langue. Il est défendu de lécher, excepté les glaces et les cigares. Tirer la langue, l'enfoncer dans la bouche ou l'oreille de quelqu'un est interdit.

Tout geste considéré comme ayant une connotation sexuelle est prohibé.

On habitue le petit humain à accepter et approuver certaines choses qu'il trouve désagréable. Comme se lever le matin quand il n'a pas envie de quitter son lit. A en condamner d'autres qu'il trouve agréable, comme manger un grand paquet entier de sucreries.

Tous ces interdits conduisent l'être humain à la dislocation. Il n'est plus uni. Certains aspects de sa personne sont dissociés d'autres aspects. Il se met à croire qu'il a "un corps" distinct, différent du reste de lui-même.

Quand arrive l'âge où il commence à pouvoir se reproduire, nouvelle dislocation : on lui fait croire que sa personne sexuelle existe, différente de sa personne ordinaire.

La seule fois où, jeune homme, j'ai déclenché la colère et l'indignation paternelles, c'est quand j'ai donné à lire à mon père un texte où apparaissait la phrase : "le sexe est une partie du corps comme une autre".

Aujourd'hui, je dirais plutôt : "en dépit de tous les discours, nous sommes un et le restons".

Quand on croit qu'il existe "la sexualité", on se retrouve avec de petits scénarios pré-écrits. A tel moment d'une relation, elle deviendrait "sexuelle". Et obéirait soi-disant à des règles particulières, différentes des autres régissant notre vie. Nous cessons d'être éveillés et consciemment présents dans l'instant présent et l'espace où nous sommes. Et obéissons à un scénario. Nous endormons dedans. L'échec relationnel, la déception sentimentale, suivent obligatoirement.

Basile, philosophe naïf, Paris le 20 janvier 2014

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