lundi 13 janvier 2014

203 Misère affective et branlette

Le monde où nous vivons est largement imprégné par les fables de la pornographie. Le marché de la pornographie a, depuis ses débuts, monopolisé plus de la moitié de tout le trafic Internet. Ce marché, très rentable, offre textes et surtout films et photos. Qui ont pour fonction d'aider les internautes mâles à parvenir à l'éjaculation en se masturbant. Les femmes l'utilisent également. Ces masturbations sont sensées compenser le manque de partenaires sexuels. Comme l'indiquent quantité d'annonces accrocheuses sur les sites Internet pornographiques : « Marre de te branler ? Baise une vraie femme ! » Suit l'adresse d'un site ou un numéro de téléphone sensés fournir rapidement une femme qui ne rêve qu'à baiser. Et n'arrive pas à trouver de partenaires.

Cette manière de présenter la masturbation est très largement fallacieuse. En vérité, on ne se masturbe pas pour compenser le manque de partenaires sexuels. La vraie raison peut être l'ennui ou le manque d'amour au sens large de ce terme. Je vais en offrir deux exemples illustratifs.

En 1978, j'ai travaillé comme préposé à la poste. J'étais guichetier chargé de l'affranchissement à l'annexe une de la poste centrale du quatorzième arrondissement de Paris, tout près de la porte d'Orléans. Voilà que, pour travaux, l'annexe ferme. Non loin de là, boulevard Brune, je me retrouve tantôt au bureau des recommandés à reporter à la main au stylo sur des cahiers les références de lettres recommandées. Tantôt à trier des lettres en les mettant dans des casiers. Je me rappelle encore le cri du chef : « TG, grosses ! » quand il s'agissait de trier les enveloppes de grands formats dans des casiers de grands formats. Les collègues étaient sympathiques. Le travail était répétitif, mortellement ennuyeux, débutant trop tôt le matin, sous prétexte que les sociétés avaient besoin de leur courrier dès huit heures. Je regardais la pendule. Et, en début d'après-midi, pour supporter mieux les heures passées à s'emmerder au boulot, quoi de mieux que s'isoler aux toilettes soi-disant pour pisser ou chier. Et se faire en solo dans la tranquillité des cabinets à la turque une bonne branlette ? Je n'étais certainement pas le seul à choisir ce dérivatif manuel à l'ennui du salariat.

Un célèbre tract sorti en 1972 dans les lycées parisiens, qui valut des ennuis à ses signataires, proclamait que la masturbation pouvait agréablement meubler une après-midi de cours ennuyeux.

A part l'ennui, la masturbation est aussi provoqué par le manque d'amour dans un sens large.

J'ai découvert le toucher en 1986 à la faveur d'un stage de massages. A l'époque, je me branlais régulièrement, comme le font des millions d'hommes, qui ne l'avouent pas comme je le fais ici. Il se trouve qu'après avoir passé une semaine à masser et être massé au sein d'un groupe essentiellement féminin, où nous étions trois hommes, durant deux semaines je n'ai ressenti aucune envie de me branler. Ni de regarder des images érotiques. J'ai également remarqué, il y a bien longtemps, que si je passais simplement une agréable soirée à converser avec des amis, j'oubliais complètement de procéder à mon alors quotidienne branlette.

La pratique de la masturbation à grande échelle dont témoigne Internet est donc l'expression non de la détresse sexuelle, mais surtout simplement du manque affectif. Qui est très grave. Ce manque affectif est éclatant rien qu'à voir les voyageurs des rames du métro parisien. Ils n'osent pas se regarder ou guère. Ne s'adressent pas la parole. S'excusent s'ils effleurent même très légèrement leur voisin ou voisine. Profitent de l'affluence pour se frotter aux autres en faisant semblant de ne pas le chercher. Et comment pourraient-ils satisfaire leur manque affectif ? L'autre jour, je contemplais avec désir une jolie jeune fille se baladant quasiment nue chez elle. Si je lui avais dit : « je voudrais te caresser », elle aurait pu se fâcher. Et si elle avait accepté, elle aurait voulu aussi que je lui « fasse l'amour ». J'avais juste envie de la caresser. De plus elle est très jalouse. Alors, je n'ai rien fait.

Basile, philosophe naïf, Paris le 13 janvier 2014

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