jeudi 13 avril 2017

737 Le sixième temps de l'amour

Au début de sa vie, le petit humain vit quantité de choses comme des câlins : être lavé avec un gant tiède, par exemple. Il peut aussi être caressé, embrassé, câliné. C'est le premier temps de l'amour. Puis arrive un jour le sevrage tactile. On décrète qu'il est un « grand ». Plus de câlins ou presque. Croyant à un phénomène naturel, alors qu'il s'agit d'un phénomène culturel, Freud a baptisé la fin de cette période chaleureuse « début de la période de latence ». C'est le second temps de l'amour.

Au bout d'un certain nombre d'années, les petits humains cherchent à sortir de cette « période de latence ». Mais celle-ci les a rendu analphabètes tactiles, ignorants et maladroits pour donner, recevoir, apprécier les caresses. Les jeunes garçons, tout particulièrement, vont découvrir l'érection et l'éjaculation avec la masturbation masculine adulte. Ils se polariseront avec une intensité inouïe sur cette dernière. Quand bien-même leur jouissance éjaculatoire serait médiocre, voire absente, voire remplacée par de la douleur, ils vont pratiquer obsessionnellement la masturbation. Et chercheront comme une idée fixe à se masturber dans un orifice naturel d'un tiers, croyant ainsi « faire l'amour ». Ils harcèleront leurs partenaires rêvés, qui se retrouveront sur la défensive en permanence. C'est le troisième temps de l'amour.

Phénomène qui accentuera l'agressivité sexuelle des mâles : l'impatience à se retrouver satisfait. Autre phénomène perturbant : la projection dans le futur. C'est le quatrième temps de l'amour. Il se situe dans l'imagination. En caricaturant à peine, on peut dire que deux jeunes s'étant à peine rencontrés, voilà que l'un des deux commence à s'interroger sur la couleur de la moquette de la chambre des enfants.

Les inévitables coups reçus au sens propre ou figuré vont amener la peur de l'autre. Or rien n'est plus étranger à l'amour que la peur. L'avènement de la peur marquera l'arrivée du cinquième temps de l'amour.

Derrière le brouillard de l'ignorance et des conditionnements culturels, subsistera péniblement le temps réel de l'amour. Il aura bien de la peine à surgir et s'imposer. C'est le sixième et bien rare temps de l'amour.

Quand on cherche à parvenir au sixième temps de l'amour, on peut craindre de se mettre en danger. Troubler sa tranquillité, réveiller des souffrances sentimentales vécues et passées. Il ne faut pas oublier que si ainsi on se met en danger, l’autre aussi n'est pas à l'abri. C'est une prise de risque réciproque. L'amour peut surgir à un moment sans prévenir, comme un voleur dans la nuit. Sauf qu'il kidnappe les cœurs.

Devant la menace des douloureuses flèches de Cupidon, la fuite n'est pas toujours la meilleure des solutions. Le problème qui rend la situation difficile c'est le hiatus vécu du sevrage tactile. On a oublié d'apprendre à aimer, durant des années on s'est tenu à distance de l'amour. Si ce n'est, comme les vieux et les adultes solitaires, l'amour des animaux. Et voilà qu'on se retrouve confronté à la rencontre et la découverte de l'autre, qui avec le temps est devenu un étranger ou une étrangère.

Les petits enfants sont plus proches les uns des autres que les adultes. Et devenu adulte on ne sait plus que faire de ses mains ! On a désappris la peinture, la danse, la poésie et... l'amour ! Et l'autre, l'inconnu, est aussi ignorant que vous. La maladresse apportera la souffrance et la souffrance amènera la peur. Il n'est pas très aisé de faire comme si on n'avait jamais pris de coups, quand commence une relation nouvelle. C'est pourtant ainsi qu'il faut faire, penser, agir. Ne pas chercher à aller trop vite. Ne pas se jeter sur son assiette et avaler quand la faim vous tenaille. Aimer.

Basile, philosophe naïf, Paris le 13 avril 2017

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire