dimanche 4 décembre 2016

701 Dressage humain, intéressement et tendresse

Un petit livre paru dans les années 1960 en Union soviétique était consacré au Cirque Valentin Filatov. Ce cirque alors très apprécié était spécialisé dans les numéros d'animaux. Ce livre expliquait certains trucs de dressage. Je me souviens en particulier de celui utilisé pour l'ouverture du spectacle. Un petit cochon en poussant avec son groin déroulait un grand tapis sur lequel était écrit « Cirque Valentin Filatov ». Le truc ici était des plus simples : un petit pain au lait dans chaque plie du tapis. Le petit cochon les dévorait un par un et déroulait ainsi le tapis.

La base du dressage des animaux de cirque est d'utiliser la nourriture pour amener ceux-ci à faire leurs numéros. La base du dressage des humains est identique. Voyez la foule en marche le matin aux heures de pointe dans le métro parisien. Tous ces gens sont sortis de leur lit en échange de la promesse de leur salaire, c'est-à-dire au fond au bout de la même chose qui fait se mouvoir les animaux de cirque. Sauf qu'on a réussi ici à ajouter en plus le volontariat apparent. Ces gens qui vont à leur travail sont le plus souvent persuadés de bien faire, ne pas pouvoir faire autrement, car faire autrement est impossible ou condamnable, fou d'essayer, que tout est « normal ». On pourra suivre ou pas cette manière de voir les choses. Mais si nous considérons un autre domaine, celui de « l'amour », les « évidences » apparentes le paraissent beaucoup moins.

J'ai connu une dame qui avait une amie qui vivait à quelques centaines de kilomètres de Paris. Un jour cette dame fut invitée par son amie à un grand et beau mariage. À son retour, elle m'a raconté avec perplexité un incident qui s'est produit la veille de la cérémonie. La future mariée s'est confiée à mon amie sur le mode interrogatif : « mon fiancé a souvent envie de me faire l'amour, et quand il me fait l'amour, à chaque fois je ne sens rien. » Mon amie n'a pas su quoi répondre.

Il y a une dizaine d'années, une autre amie qui racontait volontiers sa vie intime m'a dit qu'elle et ses copines aimaient bien draguer de jolis garçons. Et quand elles allaient au lit avec eux, elles ne sentaient rien. Je lui ai posé la question : « mais alors pourquoi les draguez-vous ? » Elle n'a rien répondu.

Au tout début des années 1980 j'ai été amoureux d'une très belle jeune fille. Celle-ci un jour m'a proposé de prendre un café avec moi. M'a parlé de choses et d'autres. Par la suite je lui ai fait savoir que je l'aimais. Elle m'a répondu que ce n'était pas réciproque. L'histoire s'est arrêtée là. Sauf que des années après j'ai compris le fin mot de cette histoire.

Cette jeune fille avait dit un jour devant moi qu'elle souhaitait ne pas travailler. C'est-à-dire ne pas occuper dans sa vie un emploi salarié. Au cours de notre entretien, mine de rien elle s'était très exactement informé de ma situation matérielle des plus modestes. Elle m'avait fait répondre à ce que j'appelle « le questionnaire gendarmerie-impôts-sécurité sociale ». Et, surtout, elle m'avait parlant d'elle, expliqué qu'elle avait été amoureuse d'un homme. Mais comme il était joueur, elle l'avait abandonné. Car elle savait, connaissant un exemple dans sa famille, que le jeu ruinait les gens qui jouaient et la vie de leurs familles. Chose que je n'avais absolument pas relevé alors est qu'elle m'avait fait part de ce renoncement avec la plus parfaite absence d'émotion. Cet homme l'intéressait. Il était joueur ? Elle allait chercher ailleurs. En fait cette jeune fille cherchait un homme avec une bonne situation. Je croyais qu'elle cherchait « l'amour » et que malheureusement elle n'avait pas pour moi les sentiments que j'avais pour elle. En fait, elle n'avait aucun sentiment. Elle investissait pour l'avenir sa grande beauté périssable. Par la suite elle a déclaré être tombée amoureuse d'un futur médecin et l'a épousé. Comme le monde est bien fait !

Je n'avais pas réalisé le côté très simplement intéressée de cette jeune fille. Il y a peu d'années je me suis amusé à propos du comportement identique d'une autre jeune fille. Je l'avais rencontré tout à fait incidemment et nous n'avions aucune raison de nous revoir. J'en ai profité pour la questionner en insistant un peu. « Mais si tu es amoureuse d'une jeune homme et qu'il n'est pas solvable, tu l'abandonnes ? » lui ai-je demandé. Elle a hésité un peu avant de me répondre. Puis se disant sans doute qu'elle ne prenait aucun risque d'être sincère car nous allions ensuite nous perdre de vue, elle a craché le morceau : « oui, je l'abandonnerais », m'a-t-elle répondu.

Au tout début des années 1980, j'écrivais des poèmes d'amour et avais catégoriquement décidé de trouver l'amour. Comme j'en ai fait part à Madame C***, une dame très sympathique, proche de la retraite, mariée et mère de famille, elle m'a surprise. « L'amour, m'a-t-elle dit en souriant, il y a longtemps que j'ai renoncé à le trouver ! » « Mais, vous êtes mariée ! » Lui ai-je rétorqué un peu interloqué. « Oh ! Les hommes se croient tous irrésistibles ! » M'a-t-elle répondu en riant.

Un sympathique jeune homme auquel j'ai fait part de ma quête m'a très sérieusement répondu : « si tu veux l'amour, il faut que tu ais de l'argent, une bonne situation. » Par la suite il a atteint une bonne situation et s'est marié avec une très jolie femme et a eu avec elle un ou deux beaux enfants.

Quand intervient une rupture se révèle la vraie nature de l'argent. Une dame que j'ai connu avait fait un très gros emprunt à un homme de son entourage. Par la suite ils sont sortis ensemble. Puis ont rompu. Et alors cette dame m'a dit qu'en conséquence elle avait décidé de ne plus rembourser son emprunt. L'argent est l'expression et le support de la volonté de pouvoir de l'homme. Si une femme se libère du pouvoir d'un homme, il va de soi que ce pouvoir disparaissant de sa vie à elle entraine également l'annulation d'une dette qu'elle a contracté. Je connais au moins un autre exemple.

Chercher à établir une relation belle et authentique avec les autres me paraît être un but inestimable. Cependant, en dépit de mes progrès en ce sens je n'ai rien vu bouger de la part d'une femme que je connais. Je m'interrogeais, car cette personne me paraissait et parait proche et sympathique. En fait la réponse est des plus simples. Cette personne se vends. Elle échange sa tendresse contre des avantages matériels. Si je ne suis pas acheteur, je ne suis pas client. Attendre alors d'une telle personne une quelconque ouverture tactile est vain et absurde. Même si elle me trouve sympathique, elle ne m'offrira pas d'échanger de la tendresse, car sa tendresse est à vendre. Si le mouvement « Câlins gratuits » (Free hugs) existe, c'est qu'en général les câlins sont payants. C'est un aspect des choses qu'on a fini bien souvent par oublier ou faire semblant d'oublier.

Au moment de conclure ce texte, il me revient à l'esprit une anecdote illustrant la situation de « l'amour ». J'ai été longtemps amoureux sans retour d'une femme. Celle-ci finalement se met en couple avec quelqu'un. Me déclare qu'elle est « amoureuse ». Au bout de quelques temps, elle romps. Et m'explique que si elle a rompu c'est parce que son ami était incapable de tenir sérieusement un budget. Je lui ai fait remarquer qu'elle l'aimait. « Oh ! Tu sais, on dit ça, » m'a-t-elle répondu.

Vers 1900, un intellectuel connu dont je n'ai pas retenu le nom disait un jour à une célèbre courtisane parisienne : « je rêve de passer un après-midi entier avec vous. » « Mais c'est bien trop cher pour vous ! » lui a-t-elle répondu.

Il est très mal vu de déclarer aujourd'hui qu'on est intéressé en amour. Une amie qui avait abandonné un amant fauché pour un autre ayant une très belle situation financière se défendait d'être intéressée : « je ne suis pas entretenu, j'ai une belle situation, » me disait-elle. Alors que je ne lui avais rien demandé. L'amour vrai est-il apprécié ? Sans-doute, mais je crois que pour beaucoup de femmes il s'agit d'un « plus ». Il ne suffit pas pour établir une relation privilégiée. Et si une bonne relation avec des sous comprend l'amour, tant mieux. L'utile et l'agréable sont là. Sinon on se contente de l'utile.

Basile, philosophe naïf, Paris le 4 décembre 2016

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