vendredi 9 octobre 2015

427 Fabriquer notre bonheur nous-mêmes

Il y a quelques décennies de ça, j'ai été frappé par une similitude entre deux conduites à priori bien différentes. Je connaissais une femme très croyante et pratiquante qui allait à la messe tous les dimanches et un militant d'une organisation politique révolutionnaire qui allait à la réunion de son groupe tous les mercredis. Et, chose étrange, bien que leurs très fortes motivations à chacun paraissaient fort éloignées, j'avais l'impression qu'elles étaient en fait identiques.

Aujourd'hui, je pense que je ne me suis pas trompé. Dans les deux cas chacun à travers sa pratique religieuse ou politique se cherchaient en fait une famille. Quand on est ensemble, on se tient chaud, pourrait-on dire.

Le fait est que bien des années après, le militant quitta son organisation non à la suite d'un désaccord théorique, mais d'une conduite de ses camarades qui ne se montrèrent pas fraternels.

Cette recherche d'appartenance à une famille reflète le manque causé par l'enfance prolongée et la sortie de celle-ci. Autonome vers l'âge de quatre ans environ, les petits humains sont maintenus artificiellement en enfance le temps de leur transmettre le savoir acquis par la « civilisation ».

Ce besoin de retrouver une « famille » en sortant de l'enfance prolongée sublime y compris le sens critique. Je me souviens d'une amie qui avait un amant très macho qui la maltraitait. J'essayais d'expliquer à cette amie le caractère odieux de sa situation et la nécessité, l'évidence de quitter son amant macho. Mon interlocutrice suivait mon raisonnement en paroles, approuvait mes conclusions. Et, finalement, quitta son amant macho pour un autre, encore plus macho que lui.

Pourquoi cette conduite insensée ? Parce qu'en fait elle était guidée par sa terreur intérieure. Elle cherchait à la fuir en retrouvant ses parents, son père perdu quand elle quitta son enfance prolongée. Son père qui était très macho lui aussi...

Ce comportement absurde de recherche de son malheur explique également pourquoi des femmes battus, des maris malheureux, des enfants maltraités, pour rien au monde ne veulent quitter leurs tourmenteurs. Parce que s'en éloigner les amène face à pire encore : leur terreur intérieure.

Un ami qui vivait très mal la compagnie de sa femme vivait encore plus mal le fait que celle-ci l'ai quitté. Une psychothérapeute faisait remarquer à cet ami malheureux : « mais, si vous étiez si malheureux avec votre femme, pourquoi regrettez-vous tant que ça qu'elle vous ait quittée ? »

La raison est simple : la terreur intérieure était pire à affronter.

Certains maris hyper-jaloux abandonnés sont prêts à accepter tout, y compris le cocuage, tout pour que leur épouse reviennent. L'essentiel est d'éviter d'affronter la terreur intérieure, quitte à faire une croix sur la jalousie. « Qu'elle revienne ! Même si elle a un amant ou plusieurs... à présent, j'accepte tout, pourvu qu'elle revienne ! »

Refuser de voir que sa compagne ou son compagnon se conduit mal avec vous, l'idéaliser, sont autant de conséquences de la volonté d'éviter de se retrouver face à sa terreur intérieure. Étant « en couple », amoureux, j'avais le sentiment que tant que ça durerait, rien de mal ne pouvait m'arriver. Et que j'avais une responsabilité à l'égard de ma compagne qui dépendait de moi. Alors qu'en fait finalement c'est moi qui dépendait d'elle. Et le jour où en tant que jouet je ne l'ai plus assez distrait, elle m'a jeté pour en prendre un autre, plus jeune. Elle a « rajeunit les cadres », comme on dit...

On dit classiquement : « l'amour rend aveugle ». Mais, pourquoi rend-t-il aveugle ? Parce qu'on refuse de voir la réalité. On ne veut pas être sortie de l'enfance prolongée, qu'on n'identifie pas ou guère. On veut à tous prix se retrouver les parents prolongés qui vont avec l'enfance prolongée. Le comportement infantile de bien des maris à l'égard de leur femme est révélateur. Par exemple, un certain nombre d'entre eux appellent leur femme « maman ».

J'ai connu le cas d'un homme qui n'appelait pas sa femme « maman », mais la traitait exactement comme il traitait sa mère. D'ailleurs, il déclare très volontiers encore aujourd'hui qu'à son avis il est resté lui-même un enfant. Et que c'est très bien.

Ce besoin impératif de se retrouver des parents alimente le fond de commerce des sectes, de la politique et la publicité. Combien de personnes sont présentées par la propagande sectaire, politique ou publicitaire comme des « pères » ? Les sectes prétendent tout arranger dans la vie de leurs adeptes et être toujours dirigées par un « gourou » extraordinaire... papa ou maman bis des adeptes.

En politique, c'est frappant de voir le côté paternel, protecteur que veulent incarner de grands leaders. D'ailleurs, ils ne se gênent pas pour y compris le déclarer ouvertement ou le suggérer par l'association de certaines images avec la leur. Qui ne se souvient pas des affiches électorales qui, en 1981, proclamait François Mitterand « la force tranquille » ? « La force tranquille », pile poil la qualité qu'on réclame de son papa quand on est enfant !

Les manifestations politiques de masses ont aussi pour but de convaincre les supporters qu'ils appartiennent à une famille. Quitte à ce que cette famille compte des centaines de milliers de personnes. Une sorte de très grande famille. Qui ne corresponds jamais à la réalité. Mais ceux qui y croient y croient parce qu'ils ont envie d'y croire. Le contraire leur fait trop peur car les renvoie à la détresse de leur sortie de l'enfance prolongée.

Chercher le bonheur est une quête raisonnable. Vouloir rester un enfant est une quête absurde qui réserve des déconvenues et mauvaises surprises. Il existe ainsi des femmes qui, voulant rester enfant, refusent ce phénomène qui les projetterait efficacement hors de leur statut enfantin imaginaire : devenir mères elles-mêmes. Elles peuvent aussi rester très très proches de leurs parents, y compris géographiquement, afin de rester des enfants. Jusqu'à ce que leurs parents meurent. Et alors c'est une autre paire de manches.

Le fond du problème c'est la terreur intérieure. En prendre conscience est peut-être un moyen de l'éliminer de soi. L'éliminer de la société en général paraît bien plus ardu. L'homme s'est, avec les siècles et les millénaires, confectionné un piège très sophistiqué. Qui fait que, bien que disposant de tout ce qu'il faut pour être heureux, il s'est lui-même fait la cause principale de ses soucis.

Il appartient à chacun de faire autant qu'il est possible le « nettoyage intérieur » de sa conscience. Mais on trouve toujours de la poussière sous les tapis.

Notre bonheur dépend d'abord de nous-mêmes et du niveau de conscience que nous parvenons à atteindre pour juger de l'état de notre humaine condition. On peut très bien être dans les meilleures conditions du monde. Et, à force de se répéter : « je suis malheureux », parvenir à l'être effectivement. Les humains font souvent de très grands efforts pour être malheureux. Et leurs efforts sont récompenses. Sachons plutôt vivre et apprécier « les petits bonheurs de la vie » qui en fait sont essentiels pour composer le paysage du bonheur. Du vrai bonheur qui est tout à fait appréhendable. A condition de savoir l'apprécier. L'un dira : « il pleut ! » L'autre dira : « j'entends chanter la pluie ». Comme disaient des Arabes de jadis : « la Beauté est dans l'œil qui regarde ». C'est vrai également pour nos vies.

Basile, philosophe naïf, Paris le 9 octobre 2015

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