Gare de la Villette,
Au doux nom de « gare de Paris-Abattoirs »,
Une gare sans retours
Et sans voyageurs,
Qui n'existe plus,
Elle a disparu.
C'était une succursale
Du Ventre de la Capitale,
La Mort s'y trouvait chez elle, banale,
Au milieu des pleurs et gémissements
Des bêtes qui pressentaient
Le but final du voyage.
Les quais piquetés de paille,
Qui sentaient bon
L'étable, le pâturage et l'écurie,
Étaient visités par
De très doux parfums bucoliques,
De foin, de suint,
De bouse et de crottin.
On y respirait des senteurs profondes,
Authentiques et belles
Comme des majoliques,
Ses quais étaient la dernière étape
D'un long voyage
Commencé la nuit noire
A la lueur de fanaux inquiétants,
Ou sous la caresse
Des rayons d'un soleil rassurant
Des Pyrénées, d'Auvergne,
D'Algérie, du Massif central
Ou d'ailleurs,
Ses quais
Ont vu arriver
Durant d'interminables
Et laborieuses années,
Alimentant cuisines, bars,
Hôtels et restaurants,
Des millions d'animaux vivants,
Des bœufs, des cochons,
Des vaches, des dindons,
Des chèvres, des moutons,
Élevés avec amour dans les campagnes,
Les prairies, les plaines, les montagnes.
Gare de la Villette,
Gare des abattoirs.
Un très doux métier,
Tueur.
C'est là qu'ils ont officié,
Avec le merlin et le couteau
Indifférents et sacrificateurs.
Ces gentils tueurs,
Au cours des années,
Par dizaines de milliers de litres
Ont fait couler le sang des sacrifiés.
Personnalité quadrupède épargnée,
Un mouton apprivoisé baptisé
« Le Judas »
Conduisait ses frères,
Fraichement débarqués,
Vers le couteau et le débitage.
Ce collaborateur a-t-il été gracié
A la fermeture des abattoirs ?
Le sang, le cuir, les sabots,
Le cinquième quartier,
Qui ne se mange pas,
Enrichissait d'industrieux parisiens.
Le sang frais alimentant
Des jeunes filles vers mil neuf cent,
Cherchant jouvence et beauté
Dans ce breuvage tiède
Et peu ragoutant.
Le même se retrouvant
Dans du boudin,
De fort bon goût.
Avec de la compote de pommes,
C'est délicieux.
Vous en reprendrez ?
Les animaux vivants,
Promis à notre table,
Mais pas comme invités,
Voyageaient
Dans des wagons à bestiaux,
En bois.
Les mêmes ont transporté
Les officiers et fantassins français
Partant pour Verdun,
Et, avec des billets « tarifs de groupes »,
C'est triste mais c'est vrai,
Les Juifs et les Tziganes
De tous les âges
Et toutes les nationalités
Partant pour une destination
Dont on ne revient pas.
Autres sacrifiés, qu'on enterrait
Ou brulait,
Ou transformait en savons, en boutons,
En chandails, bottes de tankistes,
Ou en mines d'or dentaire.
Ils n'étaient pas destinés
A être mangés,
Sauf éventuellement
Par les rats, les mouches, les asticots
Ou les corbeaux.
Officiers ou fantassins français
Héros et martyrs de Verdun,
Juifs ou Tziganes
Victimes des préjugés imbéciles
Et criminels
Sur une soi-disant « pureté du sang »,
Militaires ou civils,
Mis en terre,
Brulés ou rescapés,
Votre mémoire à présent
Est justement honorée.
Celle des animaux
Est oubliée.
Mais souvenez-vous,
Omnivores ou végétariens,
De la gare de Paris-Abattoirs
Et ses millions de sacrifiés.
Basile philosophe naïf
Paris,le 14 mai 2021
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