Au XVIIIème siècle,
dans la Grande Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, puis
ensuite dans nombre de journaux, des auteurs déclaraient condamnable
et nuisible le Carnaval, la fête vivante en général. Pourquoi ?
Parce qu'en ces occasions le peuple fainéante, gaspille son bien
et... se saoule. Conclusion : débarrassons-nous de la fête !
Conservons juste de sages, paisibles et moralisatrices fêtes
religieuses.
L'argument paraît
imparable : au nom de la sobriété, l'économie, la
tranquillité des familles... à bas la fête ! Vive la vie
grise et sobre ! Maniant l'argument, mais aussi l'amende voire
la violence, l'armée intervint à Dunkerque en 1790 pour faire
disparaître le carnaval, nos zélés défenseurs de la paix des
familles, de la sobriété et de l'économie ont réussi plus ou
moins leur coup. Dans nombre de villes et villages où jadis se
fêtait de manière grandiose le carnaval ou d'autres joyeuses fêtes
traditionnelles, il n'y a plus rien. Le gaspillage
d'argent, l'alcoolisme et ô horreur ! La fainéantise ont-elles
pour autant disparu dans ces villes et villages ? Non.
Non parce que la cause de
ces phénomènes est ailleurs : la misère matérielle, l'ennui
expliquent l'envie de boire, de faire des dépenses inutiles et de ne
rien faire. Le procès fait ainsi au carnaval source de tous ces maux
est faux. Il rappelle un procès très à la mode durant nombre
d'années en France : celui du Carnaval de Rio. Rio est, comme
nombre de villes au Brésil et ailleurs, une ville où des actes de
violence sont nombreux. Bien sûr, ils ne cessent pas durant la
période carnavalesque. Résultat, dans la presse parisienne j'ai lu
durant des années le même genre de discours : « savez-vous
combien de crimes ont été commis durant le Carnaval à Rio ? »
Suivaient des statistiques : conclusion, le Carnaval de Rio est
très violent. Non, Rio en général l'est et le reste durant son
carnaval. On peut faire dire ce qu'on veut avec des statistiques.
Pour le Parisien ignorant de la vie de Rio, la conclusion était
simple : « le Carnaval de Rio est très violent. »
La logique de ce discours est : « vivement que le Carnaval disparaisse et que
revienne le calme et la sécurité pour les habitants de cette ville
martyrisée par la fête. »
On voit où on cherche à
amener le lecteur : à condamner la fête au nom de la
tranquillité publique. Mais, si nous poursuivons ce genre de
raisonnements nous pouvons dire aussi : les voyages scolaires
sont la cause de drames, alors supprimons les voyages scolaires. Les
matchs de foot sont l'occasion de débordements violents de la part
de certains supporters, alors supprimons le foot. Et les Grandes
Vacances amènent nombre d'accidents et de la délinquance dans les
lieux de villégiature, alors supprimons aussi les Grandes Vacances.
En fait, les ennemis de
la fête vivante et populaires n'osent pas dire qu'ils souhaitent
l'interdire. Alors, ils cherchent leurs arguments ailleurs. Ce qui
n'est pas nouveau. Dès le seizième siècle on voit le Parlement de
Paris, qui est à l'époque une cour de justice, proscrire le
carnaval. Pourquoi ? Parce qu'il est contre la fête vivante et
populaire ? Pas du tout, pour éviter des incidents qui
pourraient survenir à cette occasion. On le voit, l'argument
sécuritaire pour prohiber la fête n'est pas nouveau. Il est
toujours employé ou essayé pour faire disparaître les
réjouissances populaires.
Un prêtre de Venise qui
n'était pas partisan de l'interdiction du Carnaval, disait dans les
années 1970 : « j'aime faire le carnaval, ça me donne des
forces pour aider ensuite les malheureux. » Je cite de mémoire,
ce ne sont pas les mots exacts qu'il a utilisé, mais le sens y est.
Au Carnaval de Paris je vois chaque année des personnes très âgées
ou invalides qui prennent du plaisir à voir passer nos cortèges.
C'est bien là le plus bel encouragement à rester fidèle à la fête
vivante et populaire, au carnaval.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 27 décembre 2017
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