mercredi 27 décembre 2017

879 Méfions-nous de la logique

Au XVIIIème siècle, dans la Grande Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, puis ensuite dans nombre de journaux, des auteurs déclaraient condamnable et nuisible le Carnaval, la fête vivante en général. Pourquoi ? Parce qu'en ces occasions le peuple fainéante, gaspille son bien et... se saoule. Conclusion : débarrassons-nous de la fête ! Conservons juste de sages, paisibles et moralisatrices fêtes religieuses.

L'argument paraît imparable : au nom de la sobriété, l'économie, la tranquillité des familles... à bas la fête ! Vive la vie grise et sobre ! Maniant l'argument, mais aussi l'amende voire la violence, l'armée intervint à Dunkerque en 1790 pour faire disparaître le carnaval, nos zélés défenseurs de la paix des familles, de la sobriété et de l'économie ont réussi plus ou moins leur coup. Dans nombre de villes et villages où jadis se fêtait de manière grandiose le carnaval ou d'autres joyeuses fêtes traditionnelles, il n'y a plus rien. Le gaspillage d'argent, l'alcoolisme et ô horreur ! La fainéantise ont-elles pour autant disparu dans ces villes et villages ? Non.

Non parce que la cause de ces phénomènes est ailleurs : la misère matérielle, l'ennui expliquent l'envie de boire, de faire des dépenses inutiles et de ne rien faire. Le procès fait ainsi au carnaval source de tous ces maux est faux. Il rappelle un procès très à la mode durant nombre d'années en France : celui du Carnaval de Rio. Rio est, comme nombre de villes au Brésil et ailleurs, une ville où des actes de violence sont nombreux. Bien sûr, ils ne cessent pas durant la période carnavalesque. Résultat, dans la presse parisienne j'ai lu durant des années le même genre de discours : « savez-vous combien de crimes ont été commis durant le Carnaval à Rio ? » Suivaient des statistiques : conclusion, le Carnaval de Rio est très violent. Non, Rio en général l'est et le reste durant son carnaval. On peut faire dire ce qu'on veut avec des statistiques. Pour le Parisien ignorant de la vie de Rio, la conclusion était simple : « le Carnaval de Rio est très violent. »

La logique de ce discours est : « vivement que le Carnaval disparaisse et que revienne le calme et la sécurité pour les habitants de cette ville martyrisée par la fête. »

On voit où on cherche à amener le lecteur : à condamner la fête au nom de la tranquillité publique. Mais, si nous poursuivons ce genre de raisonnements nous pouvons dire aussi : les voyages scolaires sont la cause de drames, alors supprimons les voyages scolaires. Les matchs de foot sont l'occasion de débordements violents de la part de certains supporters, alors supprimons le foot. Et les Grandes Vacances amènent nombre d'accidents et de la délinquance dans les lieux de villégiature, alors supprimons aussi les Grandes Vacances.

En fait, les ennemis de la fête vivante et populaires n'osent pas dire qu'ils souhaitent l'interdire. Alors, ils cherchent leurs arguments ailleurs. Ce qui n'est pas nouveau. Dès le seizième siècle on voit le Parlement de Paris, qui est à l'époque une cour de justice, proscrire le carnaval. Pourquoi ? Parce qu'il est contre la fête vivante et populaire ? Pas du tout, pour éviter des incidents qui pourraient survenir à cette occasion. On le voit, l'argument sécuritaire pour prohiber la fête n'est pas nouveau. Il est toujours employé ou essayé pour faire disparaître les réjouissances populaires.

Un prêtre de Venise qui n'était pas partisan de l'interdiction du Carnaval, disait dans les années 1970 : « j'aime faire le carnaval, ça me donne des forces pour aider ensuite les malheureux. » Je cite de mémoire, ce ne sont pas les mots exacts qu'il a utilisé, mais le sens y est. Au Carnaval de Paris je vois chaque année des personnes très âgées ou invalides qui prennent du plaisir à voir passer nos cortèges. C'est bien là le plus bel encouragement à rester fidèle à la fête vivante et populaire, au carnaval.

Basile, philosophe naïf, Paris le 27 décembre 2017

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