jeudi 18 août 2016

615 Libérer la parole prisonnière

Chez les humains des deux sexes d'aujourd'hui, en tous cas en France et à Paris, et certainement aussi en de nombreux autres lieux, la parole n'est pas libre. J'entends ici s'agissant spécifiquement de la relation particularisée entre les sexes. Relation considérée souvent comme « sexuelle » ou « relevant de la sexualité », sans trop de précisions quant à ses limites exactes.

S'agissant de leur première et principale activité sexuelle, les hommes n'en parlent autant dire jamais. Il s'agit bien sûr de la masturbation, qu'ils pratiquent dès l'âge de 12-13-14 ans et tout le long de leur vie. Remplaçant à l'occasion leur main par un orifice naturel d'un ou une partenaire utilisé comme substitutif. Et non dans le cadre d'une relation sexuelle effective entre deux êtres humains.

Dans l'art et la littérature, je n'ai trouvé parler de la masturbation que dans les souvenirs de Cavanna et dans une chanson de Manu Lods. Dans la vie courante, j'ai croisé des milliers de personnes depuis ma jeunesse. Je n'ai rencontré qu'une seule et unique fois un jeune homme un peu « rock'n rolle » qui s'est exclamé devant un groupe qu'il s'était masturbé ce jour-là et s'en était bien ressenti. Sinon, c'est le silence absolu.

Dans ma famille, j'ai deux frères. Seul l'un d'eux y a fait devant moi une vague allusion une seule fois. L'autre, je ne l'ai jamais entendu évoquer ce sujet. Qu'il a certainement « abordé » pratiquement, vu son goût pour l'achat de revues aux photos féminines dénudées que je lui ai connu.

S'agissant de mon père, il ne m'en a parlé que deux fois. Quand j'étais enfant, je feuilletais un ouvrage médical rédigé par un médecin catholique très puritain. Et tombe sur une page traitant un maux de santé inconnu : la « masturbation ». Je ne connaissais pas le sens de ce mot. Je demande à mon père quel est sa signification. Il me répond que c'est quand quelqu'un se frotte cet endroit là. Et pourquoi donc ? A ma question ainsi formulée, il me répond : « parce qu'il est fou. » Ma mère, présente et qui a tout entendu, n'ajoute rien à ces propos paternels ineptes et culpabilisants. Des dizaines d'années plus tard, j'interroge mon père. Il a passé durant la dernière guerre trois années en captivité en qualité de prisonnier de guerre français. Je le questionne à propos de la captivité : « et l'absence de femmes, ça n'était pas trop dur ? » Il me répond : « non, il y avait la masturbation. »

La masturbation est un sujet tabou chez les garçons. En tous les cas ceux que j'ai pu approcher durant ma vie. Ils n'en parlent jamais. Ou alors, il n'en parle pas librement, leur parole est comme prisonnière.

S'agissant des femmes, celles-ci ne parlent jamais aux hommes du harcèlement sexuel permanent qu'elles subissent tous les jours. Et qui peut culminer au viol, dont elles ont une crainte permanente. Une femme en général ne dira jamais simplement non à un homme qui la harcèle, mais invoquera un motif extérieur à sa volonté. Elle dira par exemple : « je ne peux pas te dire oui, parce que je suis amoureuse. » Et non pas : « je te dis non, parce que je n'ai pas envie de ce que tu me propose. »

La critique du comportement sexuel masculin est très rarement faite ouvertement. J'avais tout dernièrement exposé mon point de vue critique sur le comportement sexuel masculin courant. Mon interlocutrice se retrouve peu après devant moi en compagnie de deux hommes proches d'elle. Elle fait une brève allusion sans précisions à notre conversation et passe très vite à autre chose. Dans notre société on a appris aux femmes à se taire. Éviter de parler de façon critique du comportement sexuel masculin courant. Là aussi la parole n'est pas libre. Il serait grand temps que la parole se libère. Sinon, comment pourrons-nous avancer ? Pour ma part, je fais des efforts en ce sens.

Basile, philosophe naïf, Paris le 18 août 2016

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire