J'avais vingt-six ans.
Étudiant aux Beaux-Arts,
Un mois j'ai été
Gardien au musée du Louvre.
A l'époque, un gardien
Etait affecté à la célébrité grecque,
La Vénus de Milo.
Or, un jour,
Devant s'absenter un instant,
Ce gardien m'a fait une demande :
De le remplacer
Comme seul gardien de la dame.
Me voilà au milieu de sa foule vénérante,
Je remarquais un vieux Japonais,
Aveugle, charmant et très souriant,
Pris en photo avec la vedette.
Je me suis dit :
Je n'ai jamais étudié cette fameuse statue.
Profitons-en pour la détailler.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Mais à mon arrivée au musée
On m'a bien dit :
« Vous ne regardez pas les œuvres,
Vous observez les visiteurs. »
A cette heure, j'en devenais un
Et oubliais d'être du musée
Le dévoué, fidèle et attentif serviteur.
Ce qui devait fatalement arriver arriva.
Passe non loin de moi
Le grand chef surveillant,
Que nous appelions Pinochet,
Du fait de ses fonctions
Et ses lunettes noires
Rappelant une durissime photo du dictateur.
Pinochet m'ayant vu plongé
Dans ma contemplation avide, béate, torride,
Amoureuse, antique et marmoréenne,
N'a fait ni une, ni deux.
Il m'a dépêché un de ses subordonnés,
Qui, fendant la foule,
Troublant ma contemplation,
M'apostrophant ainsi,
A bout portant et sèchement
M'a soufflé dans le nez :
« Dis-donc, jeune homme,
Vous surveillez la Vénus,
Ou vous surveillez les gens ? »
Me faire engueuler
Pour avoir admiré
La célébrissime et bellissime Vénus de Milo !
Quarante-quatre ans après cet instant,
Unique et sans précédent,
Rien que de penser
A cette admonestation,
De stupéfaction les bras m'en tombent !
Cette disputation a contrarié
Mon amour naissant et effréné
Pour la belle demoiselle.
Sans cela nous aurions probablement
Convolé en justes noces,
Et aurions eu beaucoup d'enfants !
Basile philosophe naïf
Paris, le 13 juillet 2021
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