lundi 15 mai 2017

758 Le regard biftecard

Regarder les femmes comme des biftecks à consommer est le propre de très nombreux hommes. On peut en faire partie sans en avoir conscience. Ce fut mon cas durant cinquante-trois années.

Je m'imaginais que je contemplais la beauté féminine et que ce plaisir était bienvenu, innocent et gratuit. Mais je pouvais me dire tout ce que je voulais. Que mes intentions étaient pures et respectables, qu'est-ce que les femmes voyaient ? Un garçon puis un homme au regard biftecard... qui les réduit au rôle de biftecks. Car les apparences sont là et bien là et je ne le réalisais pas.

Je prends un exemple dont je me souviens très bien et qui date de plus de vingt-cinq ans... Je sors un jour de mon travail pour aller prendre le métro et rentrer chez moi. A l'instant où je sors sur le trottoir parisien, une femme me dépasse, marchant dans la direction qui je vais prendre. Elle a un cul ample et magnifique, d'une perfection sculpturale exceptionnelle, moulée dans un pantalon de toile fine qui ne laisse rien ignorer de cette merveille naturelle. Elle marche sans se retourner, d'un pas rapide. Je vais dans la même direction qu'elle. Donc, je ne suis pas en train de chercher à la suivre. C'est ma direction. Elle ne se retourne pas. Donc je peux contempler son cul et profiter de cette merveille sans la déranger. C'est ce que j'ai fait. Et j'ai eu, je le réalise à présent, parfaitement tort d'agir ainsi. Parce que j'ai ainsi participé de la brutalité morale du patriarcat régnant, et comment ? Très simplement : depuis la sortie de mon travail jusqu'au métro où j'ai cessé de marcher derrière cette femme au magnifique derrière, qu'est-ce que les autres femmes ou hommes que nous avons croisés et auxquels je n'ai accordé aucune attention ont vu ? Un homme qui suit une jolie femme à peu de distance et garde le regard collé sur son cul. La brutalité de la patriarcalité étalée au grand jour et sans gêne aucune de ma part. Qui le faisait en toute inconscience.

Il y a peu d'années en vacances je marchais le long d'une route avec deux jeunes filles. Nous allions à la queue leu leu, une jeune fille devant moi et l'autre derrière moi. Je ne regardais pas le cul de la jeune fille devant moi, mais laissais mon regard se perdre devant moi sans attacher d'importance aux formes du postérieur qui me précédait. Et voilà que la jeune fille derrière moi, à haute et intelligible voix, me reproche de fixer le cul de sa sœur ! J'ai été confus pour lui répondre, car en fait je regardais devant moi comme je viens de l'expliquer... et faisais sans le chercher la démonstration du plus parfait regard biftecard. Car mon regard restait posé sur le cul devant moi sans y penser plus que comme une partie du paysage général ambiant. Si en agissant de la sorte je me suis attiré les reproches de la brave jeune fille féministe et au franc parler qui me suivait, qu'en est-il dans d'autres situations où j'ai cru simplement admirer la beauté d'inconnues ?

J'ai dû plus d'une fois me faire une réputation biftecarde rien qu'en regardant les filles autour de moi. Je viens juste de le réaliser depuis peu d'heures. Et j'ai décidé de me rééduquer dans ma façon de regarder les filles. Je vais m'inspirer de leur manière discrète de regarder les hommes. Il me faut renoncer à des manières caricaturales de regarder que j'affectais sans m'en rendre compte.

Par exemple, quand je croise une jolie femme dans un lieu public éviter de regarder son corsage mais au mieux regarder son visage. Sinon je suis de facto un homme au regard biftecard. Et je n'aime pas les biftecards.

Tout à l'heure dans un bus à l'arrêt je voyais une très jolie jeune fille en minijupe sur le trottoir proche. Elle ne me voyait pas. D'ordinaire jusqu'à présent dans une telle situation je l'aurais dévoré des yeux. Là, j'ai évité, par égard pour les autres voyageurs qui me voyaient très bien eux dans le bus, et en particulier les dames. Je n'ai pas envie de participer au patriarcat qui nie les femmes notamment avec la démarche biftecarde dont témoigne le regard biftecard.

Basile, philosophe naïf, Paris le 15 mai 2017

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