lundi 9 mai 2016

546 La peur contre le bonheur

L'inconnu quel qu'il soit fait peur aux humains. Y compris s'il s'agit d'une chose extrêmement positive, ou totalement secondaire, anodine, inoffensive.

J'ai pu le voir et le vivre au début des années 1960 à Paris. La mode des cheveux longs a été lancée pour les garçons. Quand un de mes deux frères a, visiblement, voulut laisser pousser ses cheveux. Que ceux-ci commençaient à devenir plus longs qu'une coupe de garçons classique de l'époque, ce fut un drame dans la famille. Une catastrophe ! Pourquoi ? Parce que c'était une petite entrée dans l'inconnu. Une société où les garçons ont des cheveux longs. Évoquer à l'époque que déjà il y a des siècles les garçons portaient des cheveux longs n'y changeait rien. C'était un drame !

Quand j'ai commencé à parler en 1994 de mon projet de renaissance du Carnaval de Paris, initié en 1993, je me suis heurté à une forte opposition. Pourtant, il s'agissait juste de faire défiler en musique avec des costumes une vache dans les rues de Paris. Un tel projet ne dérangeait pas en théorie, il arrangeait même. Mais, s'il dérangeait et se heurtait à une telle opposition, c'est parce que il ouvrait une perspective sur l'inconnu. Paris en Carnaval étant une époque oubliée, devenait de ce fait cause de peur pour une quantité de gens. A présent que ça fait dix-neuf ans que le cortège du Bœuf Gras défile, il est de nouveau connu. Ce n'est plus l'inconnu. Il ne fait plus peur.

Mais quand aujourd'hui je propose la création de petits groupes chantants, qui ne demande ni efforts particuliers ni mise de fond, j'ai du mal à faire passer le message. Que de fois on m'oppose l'argument faux et stupide : « je n'ai pas le temps ». Pourquoi renouer avec la tradition des goguettes est si difficile ? Une fois de plus pour la même raison. Les goguettes étant une tradition oubliée représente l'inconnu. Et l'inconnu fait peur.

Dans le domaine de l'amour il serait si simple et facile de sortir de la calamiteuse situation actuelle. Mais pour rien au monde la plupart du temps qui que ce soit veut faire changer l'état des choses. Pourquoi ? Parce qu'en refusant le fonctionnement actuel et cherchant autre chose, on entre dans l'inconnu.

Dans le domaine politique, la peur de l'inconnu est également présente. Habitués à l'euro et à l'Europe quantité de gens ont peur d'en sortir. Parce que cette sortie c'est l'inconnu. On peut leur démontrer que leur peur est absurde. Elle reste vivace. A la fin du XVIIIème siècle en France on avait également peur de changer de régime politique. Le roi était le connu, l'inconnu c'était un pays sans roi.

La peur de l'inconnu explique que n'importe quelle chose nouvelle a généralement du mal à s'imposer d'emblée, quelles que soient ses qualités.

La peur a sa logique. Il n'est pas forcément logique d'avoir peur. Ça peut y compris être totalement absurde. Ne pas créer des goguettes est absurde. Refuser durant des années et empêcher de sortir le cortège du Bœuf Gras à Paris était absurde aussi.

Quantité de femmes s'interrogent aujourd'hui pour savoir pourquoi elles ont souvent beaucoup de difficultés à dénoncer les violences qui leurs sont faites. La réponse est là aussi la peur de l'inconnu. Une société où les femmes défendent systématiquement leur dignité, on n'a pas encore vu ça. Alors, y parvenir, chercher à y parvenir, fait peur. Pourtant c'est le maintien du statut quo violent actuel qui devrait plutôt faire peur. Aujourd'hui, qu'un garçon veuille avoir les cheveux longs ne fait plus peur. Demain, le fait de se défendre ne fera plus peur aux femmes.

Basile, philosophe naïf, Paris le 9 mai 2016

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