dimanche 8 février 2015

344 Au Carnaval nous sommes tous des vedettes !!

Partout dans notre société injuste, violente et inégalitaire, on nous rappelle en permanence que nous sommes toujours « moins que ». « Je suis, comme chaque terrien unique et inestimable ! » criez-vous avec justesse. « Terrien ? T'es rien ! » vous répond-t-on cyniquement.

Vous êtes une femme ? Les hommes sont plus forts que vous ! Vous êtes jeune ? Les anciens ont plus d'expérience ! Vous êtes élève ? Lui, c'est le prof, il sait. Vous êtes travailleur manuel ? Lui, c'est un intellectuel. Vous êtes pauvre ? Il est riche ! Vous êtes locataire ? Il est propriétaire ! Vous êtes bête. Il est intelligent ! Vous êtes un employé ? Lui, c'est le chef. Même si c'est un con, tremblez devant lui et obéissez ! Vous êtes le chef ? Lui, c'est le patron ! Vous êtes le patron ? Lui, c'est le PDG d'une grande entreprise ! Vous êtes le PDG d'une grande entreprise ? Lui, c'est le PDG d'une multinationale ! Et ainsi de suite, jusqu'à arriver à cette situation totalement absurde, dénoncée par l'association Oxfam : en 2016, 85 individus possèderont à titre personnel plus de la moitié des richesses du monde. Pourtant, ces 85, soit un 100 millionième de l'Humanité, vont chier tous les jours, comme tout le monde. Et n'ont rien de plus humainement que le plus misérable clochard du monde. Excepté d'avoir hérité d'une fortune trop grande pour eux.

Dans le Carnaval, c'est l'inverse de ce qui se passe tous les jours dans la société. On est tous importants, grands, inestimables. On est tous des vedettes. Le paysan et le milliardaire qui font Carnaval ne sont pas différents. J'ai vu un jour à Malo-les-Bains la troupe de Carnaval de l'association des jeunes chefs d'entreprise de la région. Tous vêtus de façon ridicule avec des perruques fluo couleur fuchsia en train de déconner dans le restaurant où ils avaient réservés une grande table avant le défilé de l'après-midi. L'un d'eux était monté sur la table pour gesticuler et faire l'andouille. Un des carnavaleux présents m'a dit que parmi ces jeunes chefs d'entreprise il y avait un notaire très riche et un ouvrier. On s'en fout des différences, on fait Carnaval !

C'est ce que j'ai senti l'après-midi même lors du défilé, qu'on appelle ici « une bande ». C'est la magie de Dunkerque, ville qui se trouve juste à côté de Malo-les-Bains. On existe. On est reconnu. On est tous frères en Carnaval. Il n'y a pas des « moins que », on est tous des vedettes !

C'est ce que n'ont pas compris les intellectuels qui se penchent sur le Carnaval. Car eux se sentent toujours « plus que », avec leurs titres universitaires. Beaucoup méprisent le Carnaval. Et ceux qui le commentent, parlent souvent de « fête à l'envers ». Soi-disant le Carnaval inverserait les hiérarchies. Ce n'est pas vrai. Il les abolit. Et les met à leur juste place : c'est-à-dire les réduit à des fantasmes.

Quand je distribue le tract du Carnaval de Paris, pour moi, chaque interlocuteur est important. C'est mon possible frère en Carnaval. Que ce soit une « célébrité » ou l'employé de la ville qui balaye ma rue. Ou le barman qui me sert un café au bar. Avec moi ils le sentent bien. Ils sont tous uniques et super-importants car ils sont tous un fragment potentiel du prochain Carnaval. Ou tout au moins quelqu'un que le Carnaval aura fait sourire, amusé, distrait. Ils sont le Carnaval.

Quant à la richesse, la gloire et le pouvoir, je laisse les gamins attardés jouer avec ces osselets. J'ai bien plus important à faire : préparer et réussir la fête avec mes frères humains. La manie d'estimer et juger concurrentiellement tous et chacun nous joue des tours et détours, notamment en amour. Ne sachant comment arriver à aimer, nous en venons à nous dire : « bon, avec cette personne, je commande, elle m'obéit ! » ou « avec elle, elle commande et j'obéis ! » Suivant les tempéraments, nous nous imaginons dictateur abusif ou paillasson tragique et misérable. Il faut oublier cette manière de faire. Se regarder vivre. Et enfin se décider à être. Comme au Carnaval !

Basile, philosophe naïf, Paris le 8 février 2015

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