mardi 3 février 2015

338 Le saucisson et l'érection : essai sur la mythologie sexuelle

Une blague qu'on raconte, celle du saucisson. Un couple marié depuis longtemps se retrouve à table tous les soirs. Et, tous les soirs, l'homme sort un saucisson et demande à sa femme : « tu veux du saucisson ? » « Oui », réponds la femme. L'homme coupe alors du saucisson qu'il donne à sa femme, qui le mange. Un soir, au bout de bien des années, l'homme demande à sa femme : « au fait, tu aimes le saucisson ? » « Non », réponds la femme. « Mais, pourquoi alors acceptes-tu que je t'en offre ? » « Parce que je croyais te faire plaisir en acceptant ». La même blague existe en Afrique. Sauf que le saucisson laisse la place à du poulet. Sinon, l'histoire est la même.

Il n'y a pas qu'avec le saucisson que l'histoire est possible. C'est exactement ce qui m'est arrivé durant plusieurs années avec la femme que j'aimais et dont je partageais la vie. Je pensais que, forcément, elle avait envie de « faire l'amour » avec moi. Elle pensait que, forcément, j'avais envie de « faire l'amour » avec elle. Alors, comme deux vaillants « petits soldats » nous avons cherché à « mettre le couvert » des dizaines de fois. Alors que nous nous aimions, nous entendions à merveille, mais n'avons jamais eu envie, ni l'un, ni l'autre, de « faire l'amour » ensemble. Et alors ? Où était le problème ? Dans notre tête. Et, bien sûr, à force de tenter une chose qui n'avait pas lieu d'être et qui n'est pas anodine, ni la sexualité ne fonctionnait, ni, finalement, notre relation en général. Cette « sexualité » copié collé de la mythologie sexuelle : « un homme et une femme qui s'aiment doivent forcément faire l'amour » a rongé notre relation et l'a détruite. Nous avons eu du mal à restaurer ensuite, fort heureusement, une bonne amitié entre nous.

La mythologie sexuelle régnante prétend qu'il faut faire l'amour. Que c'est forcément le summum du plaisir. Que l'homme éjaculant et l'homme jouissant c'est la même chose. Or, on peut avoir mal en éjaculant, voire ne pas ressentir grand chose. Mais déclarer ça va à l'encontre des stéréotypes : l'homme, soi-disant, connait une jouissance facile et automatique qui en fait une « bête sexuelle » supérieure à la femme. Cette affirmation est une totale et parfaite ânerie.

Quand on demande trop, et mal, on s'empêche de recevoir. Si on n'arrive pas à recevoir, on se crée un cordon sanitaire autour de soi qui nous enferme dans un désert affectif.

L'homme fréquemment souffre de trois problèmes :

D'abord, une approche obsessionnelle de son excitation génitale humide, son érection et son éjaculation. Ensuite, comme il fait fuir les femmes, il fini par attacher une importance démesurée à leur apparence morphologique. Comme c'est la seule chose dont elles le laissent « jouir ». Si à ses yeux, une femme est « très belle », il veut généralement lui courir après. Ou, inversement, il a peur d'elle. Enfin, comme son comportement l'amène à être gravement rationné affectivement, il est terriblement affamé. Ce qui fait que quand il a réussi malgré tout à approcher une femme, il développe souvent une jalousie morbide.

Tous ces troubles sont issues de sa morale de saucisson. Il croit que la femme n'a qu'une envie : « absolument faire l'amour avec l'homme qu'elle apprécie ». Cette appréciation étant baptisée « séduction ». Or, les femmes ne sont pas des « machines à baiser ». C'est pourtant ainsi que nombre d'hommes, y compris apparemment sérieux, lucides et intelligents les considèrent. J'ai vu un jour, dans une sorte de camp de vacances arriver une jeune fille genre mannequin. Il fallait voir l'affolement d'un petit troupeau d'imbéciles qui, sans se demander qui elle était, sans chercher même à faire sa connaissance, n'avait plus qu'une idée en tête : la baiser. Ce n'était plus une femme, un être humain, mais un trou accessoirement pourvu d'une identité. La mythologie sexuelle, la morale du saucisson est ainsi. J'ai réussi à m'en débarrasser. Mais ce fut un très long travail à faire sur moi.

Basile, philosophe naïf, Paris le 3 février 2015

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire