mercredi 26 juillet 2017

830 Le discours des lions

En France, au début des années 1960, la grève était une arme revendicative uniquement réservée au monde du travail. Il n'était pas question de parler de grève chez les étudiants et encore moins chez les lycéens. Ces derniers étant plutôt considérés comme des enfants. Et puis une petite organisation politique trotskiste lambertiste présente à Paris, le CLER, Comité de Liaison des Étudiants Révolutionnaires, a initié une action paraissant absurde à beaucoup d'étudiants : la grève. Quand des militants du CLER en grève se présentaient à un examen, ils rendaient volontairement une copie blanche. Étonnement et incompréhension chez quantité d'étudiants qui voyaient ainsi ces militants gâcher à leurs yeux volontairement le cours de leurs études. Plus d'une cinquantaine d'années après, la grève étudiante ou lycéenne fait partie du paysage.

Dans le domaine « sexuel », il en est aujourd'hui comme de la grève étudiante hier. Prétendre volontairement ne pas chercher à baiser, refuser la baise, dérange. Une amie, qui ne cherche pas à me draguer, a passé hier un bon moment à chercher à me convaincre de chercher à baiser. Car je lui expliquais que très simplement, en l'absence d'un réel désir, je préférais ignorer la chose et m'en portais très bien.

Tout l'argumentaire de cette amie se résumait ainsi : « je devais avoir envie de baiser. » Si je ne me trouvais pas mal de ne pas baiser, c'est que j'avais des problèmes. Et si je déclarais ne pas m'en trouver mal, c'est que je me protégeais et me mentais à moi-même. En résumé : « baisez, c'est obligatoire, naturel et bon pour la santé. »

Le poids de la pensée unique est étonnant. J'aurais dit à mon amie : « je suis végétarien », ou : « je ne mange jamais de pommes », ou : « je ne bois pas de café », aurait-elle ainsi passé au moins trois quarts d'heure à chercher à me convaincre du caractère faux et illégitime de ma démarche ? Je ne crois pas.

Ne pas baiser, volontairement, ne pas s'en cacher et surtout ne pas paraître s'en trouver mal, au contraire, voilà bien une façon de vivre qui dérange. Proclamer qu'on fréquente des clubs échangistes, qu'on est bisexuel, gay ou polyamoureux, voilà qui fait d'agréables sujets de conversation. Mais déclarer qu'on ne baise pas, volontairement et qu'on s'en trouve bien et le paraître, ça dérange. Parce que ça remet en question les autres, qui patauge dans la baise et s'en trouve souvent mal et déçu. Mais se consolent en se disant que tout le monde souffre et se trouve dans le même cas.

De l'avis de beaucoup la sexualité doit être normée et active. Même si cette activité se résume à se lamenter qu'on n'y arrive pas. Un jour des amis chez qui j'étais en vacances se sont inquiétés. J'étais seul et ne m'en plaignais pas.

Toute la sexualité est sensée être normée. Ainsi par exemple on vous dira que les lions vivent avec une troupe de lionnes. Un mâle a plusieurs femelles pour lui tout seul. En fait ce n'est pas exactement ça. Le lionceau mâle arrive à l'âge de trois ans. Il est alors chassé du groupe. Et vivra seul, à moins de parvenir à chasser un lion qui a sa troupe de femelles et prendre sa place. Donc, la plupart des lions vivent seuls et n'ont aucune vie sexuelle.

À entendre les discours normatifs, l'homme, lui, doit baiser pour son plaisir toute l'année. Et pourquoi donc ? Est-il heureux ainsi ? À regarder les dragueurs impénitents que j'ai connu, sauf deux d'entre eux, ils ne m'ont pas paru spécialement heureux et épanouis. Je n'ai pas eu l'impression que leur situation était spécialement enviable.

Basile, philosophe naïf, Paris le 26 juillet 2017

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