jeudi 7 février 2013

89 L'origine de la câlinophobie


Il n'y a rien de plus agréable pour les humains que les bisous, les léchouilles, les mordillements, les câlins, les effleurements, les massages, les caresses. Pourtant, à y voir de près, la quasi totalité des gestes physiques d'affection sont prohibés par notre culture et souffrent d'un très pesant ostracisme qui forme une véritable câlinophobie.

Des catégories entières de la population sont ainsi largement ou totalement privés de câlins :

Pour les très jeunes gens, la prohibition des caresses existe bel et bien. En 1993, je me suis amusé à taquiner une amie parisienne dont le fils âgé de quinze ans recevait à la maison sa correspondante allemande d'âge égal. « Et s'ils veulent faire l'amour ensemble ? » lui ai-je demandé. « C'est un peu jeune », m'a-t-elle répondu. Donc, exit les caresses.

Les enfants, dès un certain âge n'ont plus droits aux caresses données par eux aux autres, à eux-mêmes ou reçues. Deux exemples vieux de plus de vingt ans que j'ai pu observer : un petit garçon de trois ans lèchent avec beaucoup de plaisir les mains des adultes qui l'approchent. On lui apprend à se débarrasser de cette encombrante et gênante habitude sans lui expliquer pourquoi. Sa sœur, âgée de six ans, au sortir du bain, d'un doigt adroit commence à se caresser le clitoris sans se sentir dérangée par la présence d'adultes auprès d'elle. Son père fait une expression fortement réprobatrice. Elle arrête aussitôt.

Les personnes âgées sont victimes de la câlinophobie. En mai 1968 sortait à Paris un journal satirique illustré : « L'Enragé ». Il proclamait dans son premier numéro : « Les jeunes font l'amour, les vieux font des gestes obscènes ». D'une manière générale, les personnes âgées, en particulier les dames, sont privées de caresses dans notre société. Celles-ci sont la plus grande partie du temps « réservées » aux jeunes.

Une autre catégorie est ostracisée : les personnes moches physiquement. Essayez, si vous êtes très laide de trouver quelqu'un qui veuille bien vous faire des câlins !

Il est très souvent extrêmement mal vu que des personnes gravement handicapées se fassent des câlins. Ou en échangent avec des personnes non handicapées.

Le statut des caresses entre personnes adultes de même sexe est particulier. Celles-ci bien souvent n'osent pas s'en faire en public. J'observais un couple d'hommes hier dans le métro. On les sentait gênés d'exprimer visiblement leur amour. Ils n'osaient même pas se tenir par la main.

Quand il s'agit de personnes appartenant à deux couples hétérosexuels différents, ou d'une personne approchant une autre vivant en couple avec une troisième, les câlins publics pourront être très mal vus, assimilés au libertinage, à la tromperie, l'infidélité.

La base fondamentale de la câlinophobie est que les câlins sont admis s'ils sont subordonnés impérativement à la reproduction d'enfants légitimes. En conséquence, les câlins sont proscrits entre les personnes incapables d'assurer ensemble une descendance reconnue comme légitime. S'ils sont de même sexe, trop jeunes, trop vieux ou pas habilités pour devenir parents. Moches ou handicapées et sensées de ce fait ne pas pouvoir concevoir de beaux enfants. Telle est la base des règles qui régissent la privation de câlins entre humains dans le monde où je vis. C'est-à-dire dans l'agglomération parisienne d'aujourd'hui. Les câlins sont pourtant une véritable nourriture affective et tactile indispensable à l'équilibre de chacun.

Basile, philosophe naïf, Paris le 7 février 2013

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