Elle avait, à ce qu'on
m'a dit, rempli très positivement sa fonction jusqu'à ce jour
tragique.
A l'École des
Beaux-Arts, quand j'y entrais en 1972, tous les ateliers de dessin,
peinture ou sculpture, excepté l'atelier de peinture Caron,
disposaient le matin d'un modèle nu, généralement féminin, âgé
d'une trentaine d'années. Un modèle plus âgé, Madame Dimitrova,
d'origine bulgare, ancienne danseuse, affichait la soixantaine et
faisait merveille dans les ateliers de sculpture.
Un jour, j'ai ramassé
par terre dans l'école un assez grand dessin d'enfant en couleurs.
Il représentait un modèle d'atelier, en train de poser.
J'en ai conclu que les
enfants de la crèche sauvage étaient emmenés dessiner aussi dans
les ateliers. Ils étaient donc familiarisé avec la nudité des
modèles.
Près du Palais des
Études, grand bâtiment de l'école, se trouvaient plusieurs objets
« sauvages ». Une grande sculpture en plâtre, œuvre
d'élèves de l'atelier Étienne Martin et aussi, montée sur des
pieds, une grande lentille en métal formant bassin et large de
plusieurs mètres.
Un jour, un élève m'a
raconté qu'il avait vu avec ébahissement, quand il faisait très
chaud, en pleine journée et au soleil, la jeune femme monitrice de
la crèche avec l'ensemble des enfants, tous nus, en train de se
rafraîchir joyeusement dans la lentille d'eau !
C'est dire que l'approche
de la nudité était différente dans cette crèche sauvage par
rapports aux autres crèches dites « classiques ».
Qu'on en juge : dans les
crèches « officielles », les personnes encadrantes,
quand il fait très chaud, ne se mettent ni nues, ni même en maillot
de bains. Et, s'agissant des petits enfants, comme me l'a raconté
dernièrement une assistante en puériculture travaillant dans les
crèches parisiennes, non seulement on ne les mets jamais nus, ni en
slips. Mais bien plus encore, il est imposé d'habiller les enfants à
tous prix, même légèrement. Il est exclu de les laisser torse nu,
par exemple.
Cette manière de couper
l'enfant du contact visuel et physique avec lui-même et les autres
via l'interposition systématique de vêtements, trouve un écho, y
compris chez les naturistes.
Il existe chez eux deux
règles non écrites et impératives.
L'une concerne les
filles. Comme un ami naturiste me l'a raconté, il a vu une jeune
mère aller vers un groupe composé de deux petits garçons et de sa
fille âgée de quatre ans. Elle a engueulé cette dernière parce
qu'assise elle écartait largement les jambes !
Chez des naturistes et à
quatre ans, il faut le faire ! Mais cette règle non écrite concerne
également les adultes. Une amie qui était assise, les jambes
écartées, dans un camp naturiste, se l'est vu reproché par une
autre amie également naturiste.
La vue du sexe féminin
est tabou dans notre société, ou relève de la pornographie, ce qui
revient au même.
Si vous allez contempler
au musée du Louvre la célèbre statue en bronze de Houdon figurant Diane nue
debout, regardez-là bien. Avec difficultés, vous constaterez qu'il
y a bien des années, sa fente pubienne a été rebouchée !!!
S'agissant des garçons,
un règlement non écrit existant chez les naturistes, interdit
l'érection publique. Règlement pratiquement impossible à suivre
quand on a douze, treize, quatorze, quinze ans et qu'on a devant soi
de jolies filles nues... Cette condamnation de l'érection publique
revient à réprouver et faire honte d'entrer dans un âge mature
pour l'acte sexuel. Cette situation, s'ajoutant à l'absence de
photos de vacances à montrer aux amis, fait que beaucoup de garçons
s'éloignent du naturisme après l'avoir pratiqué enfants. Ils y
reviennent par la suite, mais pas tous.
Les enfants voient bien
que quantité de choses restent cachées quand elles sont associées
au « sexe ». Ce que l'on cache est forcément honteux,
sinon on ne le cacherait pas. La honte et la peur se transmettent
ainsi, de génération en génération.
L'enfant lui-même est
contrarié et dépossédé de lui-même. S'il « se touche »
on lui fera comprendre qu'il ne faut pas le faire. Le contact
physique, la vision de la nudité seront réglementés, ritualisés,
rationalisés, prohibés.
Privés largement de
contacts et de visions des autres et de lui-même via le barrage des
vêtements et des interdits et conventions, l'enfant arrivera à un
âge où l'acte sexuel devient envisageable et désiré. Il est
devenu « grand », mais va-t-il pour autant « faire
l'amour » ? En aucun cas. Après que ses hormones aient
cornaqués des désirs d'accouplements, il se passera généralement
plusieurs années durant lesquelles son activité « sexuelle »
se limitera aux fantasmes, rêveries et masturbations.
Quand enfin l'être
humain sera confronté à la satisfaction possible de son besoin de
coït, il sera le plus souvent maladroit, ignorant, rempli de peurs
et préjugés et mal éduqué par la pornographie.
Vis-à-vis des câlins et
des accouplements, il sera comme quelqu'un qui n'a jamais mangé ou
bu, a eu ensuite très faim durant plusieurs années, n'a jamais vu
manger et boire son entourage. Et, subitement, pour la première
fois, il se retrouve devant une table garnie de nourritures et
boissons.
Il va ne pas savoir s'y
prendre, renversera des plats, s'étranglera, mangera trop, pas
assez, tremblera la bouche sèche, sera paralysé, reculera devant
certaines saveurs nouvelles et inconnues, etc.
Si nous rencontrons
jeune, et aussi après, tant de problèmes avec notre « sexualité »,
cela n'a rien d'étonnant. Car nos parents, amis et enseignants se
sont appliqués, depuis des années, et sans en être souvent bien
conscients, à nous rendre malades et incapables d'assumer nos
désirs, les identifier et entendre ceux des autres. Privés de
références, nous sommes comme des ignorants lâchés parmi les
livres d'une très belle et riche bibliothèque, alors que nous ne
savons pas lire. Désarmés face à nos responsabilités, nous
accumulerons maladresses, sottises, énervements, croyant nous
heurter aux mystères de la « sexualité ». Alors qu'il
n'y a pas de mystères, mais juste de l'ignorance organisée. Dans
une relation humaine n'existe pas le « sexuel » et
« l'asexuel ». Il faut aller au delà de cette
dualité soi-disant obligatoire.
Une relation est une et
vivante. A l'occasion
elle peut intégrer le coït ou ne pas l'intégrer. Ce n'est pas du
tout l'essentiel. L'essentiel est qu'elle soit responsable,
satisfaisante et équilibrée. Le reste n'a aucune importance et
relève de l'abus de stéréotypes.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 24 novembre 2012
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