Un jour, un policier m'a
dit que parmi les individus dangereux il ne craignait rien plus
physiquement que les drogués en manque. « Ce sont les plus
dangereux », m'a-t-il dit.
Chaque année des
centaines de femmes meurent assassinées par leur conjoint ou ex
conjoint ou homme qui les courtisait. Les assassins ont les profils
les plus divers et se suicident souvent une fois leur crime accompli.
Quelle est l'origine précise de cette hécatombe ? Mieux la
connaître permettrait de prévenir et éviter au moins une partie de
ces meurtres.
Il y a quelques années
la femme qui était ma compagne me quitte. Quelques temps plus tard
je suis chez elle pour récupérer des affaires à moi. Je suis
ravagé intérieurement mais accepte cette situation. Après tout,
mon ex compagne a parfaitement le droit de me quitter et choisir de
faire sa vie autrement qu'avec moi. Je ne cherche pas à contester
son choix, dont je souffre.
Il s'est passé alors un
très bref incident très troublant et bizarre. J'étais pas loin de
mon ex. J'étais triste. Elle, pour un motif que j'ai oublié, mais
qui n'avait pas d'importance particulière, s'est trouvée à un
moment joyeuse et franchement très gaie. J'étais debout et tenais
dans ma main droite un objet assez lourd et dur. Et soudain l'envie
claire, nette, ouverte et précise m'a traversé l'esprit de
fracasser la tête de mon ex avec cet objet. J'ai été surpris
d'avoir une pareille pensée, un tel désir même une fraction de
temps extrêmement bref, mais largement suffisante pour mettre cette
folie à exécution. J'ajoute que je suis absolument non violent et
n'ai jamais de ma vie frappé ou insulté quelqu'un. Une telle
impulsion criminelle est vraiment aux antipodes de ce que je suis et
ai toujours été. J'ai aussitôt contré cette pensée par une
autre, apaisante : « je ne suis pas quelqu'un qui se
conduit comme ça. » La pensée méchante est partie et n'est
pas revenue. Mais elle m'a donné une vision précise des auteurs de
crimes passionnels, qu'on nomme à présent « féminicides ».
Cet incident m'a tellement troublé que jusqu'à aujourd'hui je
n'avais pas osé en parler. J'en avais même honte. Quand cet
incident est arrivé, si j'avais été violent, alcoolique, drogué,
aurais-je hésité à suivre cette impulsion criminelle ?
Peut-être pas et je serais devenu un criminel. Comme je suis
quelqu'un de très pacifique qui a néanmoins eu cette pensée folle,
ça signifie à mon avis certainement une chose. Un tel comportement
criminel subit peut affecter à l'occasion des personnes
habituellement très pacifiques.
Très souvent, après
avoir commis leur crime, les auteurs de féminicides se donnent la
mort. Je n'avais pas commis ce crime. Mais par la suite, et durant
des mois, j'ai été harcelé par l'idée suicidaire. J'ai résisté
à cette autre folie. Mon médecin traitant m'a aidé par son écoute.
Et puis, au bout d'une année entière, la tentation suicidaire s'est
évaporée, comme si elle n'avait jamais été là.
Ces conséquences vécues
d'une rupture m'interpellent. Il ne s'agit pas d'un état conscient,
mais d'autre chose. Je ne prétends pas ici pour autant excuser ou
justifier les assassins, mais analyser leurs motivations. En
connaissant mieux la forme et le fonctionnement exact de leur
démarche criminelle, on trouvera peut-être des éléments
permettant de réduire le nombre de victimes. On appelle cette
démarche en langage scientifique « profilage ». On
profile les criminels.
La base de la démarche
criminelle serait ici le manque d'endorphines. Cette drogue naturelle
est auto-produite chez un homme au contact d'une femme. Il en est
subitement privé. Alors sa réaction devient sanguinaire. Rappelons
la pensée du policier citée au commencement de cette page. Le
drogué en manque est le plus dangereux de tous les individus
dangereux. Il est ici dangereux pour la femme au contact de laquelle
il s’auto-droguait et pour lui-même. Cette constatation concernant
la réaction au manque subit d'endorphines aidera-t-elle à limiter
demain le nombre de victimes ? Je l'espère. Une campagne de
prévention des féminicides devrait en tous cas en tenir compte.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 30 juillet 2017