Quand on consulte des
écrits d'érudits qui cherchent à donner un sens au Carnaval, on
trouve fréquemment la référence faite à « l'inversion des
valeurs ». Le Carnaval serait « la fête à l'envers ».
Elle poursuivrait une tradition rencontrée déjà dans les
Saturnales de la civilisation antique romaine où l'esclave prenait
momentanément la place du maître durant la fête.
Je propose une vision
inverse de la chose. C'est la société qui marche sur la tête. Le
Carnaval, lui, remet momentanément le monde à l'endroit.
Que sont les « grands
de ce monde » ? Des hommes comme vous et moi, avec des cheveux,
des ongles, des dents, un œsophage... Pourtant, nous sommes bombardés en permanence de textes, propos et images agressives qui cherchent
à en faire plus que des hommes. Ce qui fait qu'on éprouve de la difficulté à
imaginer Vladimir Ilitch Lénine, illustre fondateur du Communisme, ou
Sa Sainteté le Pape, en pyjama, assis sur la cuvette des WC en train de
déféquer.
En 1980, je disais à un
jeune et gentil Anglais qu'à mon avis le prince et la princesse de
Galles, avant d'être prince et princesse, étaient des êtres humains
comme lui et moi. A quoi il me répondait : « je ne suis pas
d'accord. »
En 2011, j'assistais au
défilé militaire du 14 juillet depuis une tribune dont l'accès se
faisait sur invitations. Pour une raison inconnue j'en avais reçu
une. J'ai vu passer de près le président de la République. A la
fin du défilé, il est repassé, dans une voiture plus discrète.
Près de moi, un homme était littéralement en extase : « j'ai
vu passer le président de la République ! J'ai vu passer le
président de la République ! Il m'a salué de la main ! »
répétait-il très excité. On a tout à fait le droit d'admirer le
président. Mais est-ce une créature merveilleuse ou un homme ?
On voit ici que le simple
être humain promu chef d'état, d'Église ou d'idéologie, se
métamorphose aux yeux de certains en une sorte d'être supérieur à
l'homme.
Or, qu'arrive-t-il au
Carnaval ? Grâce au déguisement, tout le monde peut changer de
sexe, identité, rang, grade, couleur de peau, culture, nationalité.
On a libre accès à toutes ces caractéristiques. En fait, en
agissant ainsi, on nous ramène tous à la seule identité réelle :
humain et pas plus.
Le théâtre social où
le président, le roi ou le pape habite une maison trop grande,
c'est-à-dire un palais, suggérant ainsi qu'il est très très
grand, s'évanouit au moment du Carnaval.
Ce que révèle cette
fête, c'est que le monde marche à l'envers et la fête marche à
l'endroit.
On comprend pourquoi les
rois, chefs et autres bénéficiaires de l'ordre habituel régnant
n'aiment pas le Carnaval. En Allemagne, par exemple, là où il
existe, c'est l'occasion pour les chansonniers de se moquer des
hommes et femmes politiques en place, devant une foule de carnavaleux
en train de boire joyeusement de la bière dans d'immenses salles.
Les hommes et femmes politiques ont beau faire comme s'ils aimaient
le Carnaval. En fait ils le détestent. Le maire de Münich est un
exemple. Il y a quelques années, il venait faire risette aux
organisateurs du Carnaval. Mais quand ces derniers voulaient
organiser un défilé, il faisait savoir par ses services qu'un tel
défilé nécessitait de suspendre le trafic des trolleybus et les
remplacer par des autobus. Conclusion : il fallait que les
organisateurs du défilé règle une facture faramineuse pour faire
venir et circuler ces autobus dans la ville le temps du défilé.
Faute de moyens financiers, ceux qui voulaient organiser le défilé
y renonçaient. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres de l'hostilité
des politiques envers le Carnaval.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 28 janvier 2013
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