Il existait il y a bien
des années un petit salon de coiffure parisien pour hommes,
boulevard Saint-Michel, pas loin du jardin du Luxembourg. Il n'existe
plus depuis très longtemps. C'est là que j'ai été, pour la
première fois de ma vie, me faire couper les cheveux par un coiffeur
professionnel. Avant, c'est ma mère qui me coupait les cheveux, et
aussi de nombreuses fois après.
Le coiffeur m'a coiffé.
Je n'étais pas bien grand et devais avoir environ neuf ans. Cela se
passait donc vers 1960. Cette séance de coupe me fit un effet
extraordinaire.
Sentir le peigne gratter ma
peau sous les cheveux m'a causé un plaisir inouï. Et pour cause.
C'était la première fois depuis des années que j'éprouvais un
contact physique prémédité pour me faire plaisir. Sinon, je
traversais un désert dépourvu de caresses.
Avant, bien avant, j'ai le souvenir très petit de faire des bisous à ma mère. Puis, plus tard, les grandes personnes me passent de temps à autre la main dans le dos, à même la peau nue sous mon vêtement, me faisant très plaisir. Enfin, un jour, sans aucune explication, tout s'arrête.
Avant, bien avant, j'ai le souvenir très petit de faire des bisous à ma mère. Puis, plus tard, les grandes personnes me passent de temps à autre la main dans le dos, à même la peau nue sous mon vêtement, me faisant très plaisir. Enfin, un jour, sans aucune explication, tout s'arrête.
Ce que j'ai éprouvé
chez le coiffeur ce jour-là était nouveau pour moi et
indescriptible. Je fermais les yeux et appréciais. Bien plus tard,
quand je suis à nouveau allé chez le coiffeur, cette sensation de
plaisir intense n'est jamais revenue. Au mieux, ça m'endort plutôt.
Comme d'autres enfants,
j'ai été radicalement sevré de câlins. Et n'avais ni l'occasion
d'en recevoir, ni d'en donner ou voir donner à d'autres ou reçus
par d'autres. Bien sûr, le sexe était invisible. Notre culture
interdisant de faire l'amour en public et de parler de cette activité
devant moi. Mon ignorance dans ce domaine était pratiquement totale.
Je ne savais autant dire absolument rien.
Une dame interrogée il y a quelques années à la télévision française pour savoir pourquoi elle entretenait la compagnie d'une très abondante troupe de chats domestiques chez elle, faisant allusion aux câlins félins, se justifiait en déclarant au journaliste : « vous ne voulez pas, quand-même, que je demande à mon fils de quinze ans de venir sur mes genoux ? »
Une dame interrogée il y a quelques années à la télévision française pour savoir pourquoi elle entretenait la compagnie d'une très abondante troupe de chats domestiques chez elle, faisant allusion aux câlins félins, se justifiait en déclarant au journaliste : « vous ne voulez pas, quand-même, que je demande à mon fils de quinze ans de venir sur mes genoux ? »
Dans les centres de soins
palliatifs, on admet un minimum de caresses donné par les équipes
médicales aux mourants. Mais il n'est pas question de donner des
caresses aux gens hospitalisés et devant encore vivre des années.
Dans un très bon service hospitalier que je connais, le personnel
médical ne fait jamais la bise aux patients, sauf pour leur
souhaiter un joyeux Noël ou la nouvelle année. Sinon, le seul
contact tactile entre le personnel médical et les patients se limite
au serrage de main. Et ces patients, admis en psychiatrie, souffrent
souvent et gravement de manque de caresses.
Quantité de gens, dont
des enfants, des malades hospitalisés, ne reçoive autant dire
jamais de caresses. Et qu'en est-il pour ce qui est d'en donner ?
Habitué à ne pas
recevoir de caresses, ni en donner, ni en voir donner ou recevoir, la
première fois où j'ai eu à nouveau un geste tendre à l'égard
d'une autre personne, j'avais dix-huit ans. C'était la première
fois où je me retrouvais dans l'intimité, allongé dans un lit avec
une jeune fille. Mort de timidité apeurée, mais convaincu à juste
titre que la jeune fille qui feignait de dormir à côté n'attendait
pas mieux que ma main, je l'ai dirigé sous le drap et l'ai posé sur
la peau nue de son ventre plat. J'en ai ressenti un plaisir tellement
intense que j'en ai été effrayé et l'ai aussitôt retiré. Mais
ensuite, que faire ?
C'est là que j'ai été
victime d'un phénomène extrêmement répandu et aujourd'hui devenu
quasiment omniprésent : le dressage par la pornographie.
Depuis ma petite enfance
jusqu'à ce soir-là, je n'avais jamais vu des humains se faire des
caresses. N'en avais reçu aucune et donné aucune. Pourtant, on veut
savoir ce qui nous reste à faire quand pour la première fois
s'ouvre à nous la perspective d'être en caresses avec quelqu'un,
ici, en l'occurrence, une jeune fille. Alors, on se creuse la tête
pour savoir ce qui nous reste à faire... et les seuls et uniques
éléments dont on dispose nous viennent alors de la pornographie. Je
n'avais vu que bien peu de choses avant ce mois d'août 1969 où la
pornographie était infiniment plus discrète qu'en 2013.
Mon frère aîné avait
rapporté à la maison le catalogue d'une exposition pornographique
tenue au Danemark. Sur une des illustrations on voyait une main
masculine en gros plan, le majeur fiché dans le vagin d'une dame
dont on n'apercevait que le bas du ventre et le haut des cuisses.
Sans réfléchir, j'ai
suivi le modèle et me suis appliqué à l'imiter. Par la suite, des
années plus tard, comme d'autres, des millions d'autres, aussi
mécaniquement, je chercherais à parvenir à l'acte sexuel et y
parviendrais. Or, là comme le jour où j'ai doigté pour la première
fois une fille, j'ai fait sans le réaliser, non pas ce dont j'avais
envie, ce qui me faisait plaisir. Mais ce que me dictait ma bien
faible et orientée culture et précisément la pornographie.
J'aurais dû suivre ce
qui me faisait plaisir. La sensation ressentie en posant ma main sur
la peau nue du ventre de la jeune fille m'indiquait un chemin
authentique : celui des câlins, des caresses, des étreintes dans le
sens de serrer dans ses bras quelqu'un, des bisous, des effleurages,
léchages, et des milles gestes de la tendresse, conduisant aussi,
éventuellement, à un moment à l'accouplement.
Mais, comme des millions,
des centaines de millions d'autres, je me suis fait piéger. J'ai été dressé par la pornographie. Il m'a fallu de nombreuses années pour
commencer à remettre en question ce conditionnement stupide et
dévastateur qui fait de nous des frustrés et des repoussoirs bien
souvent.
Avez-vous remarqué que
quand on est en caresses libres avec quelqu'un arrive fréquemment un
moment très particulier que je nomme « le petit théâtre du
sexe » : on se dit, bon, eh bien alors, il est temps de passer
à la réalisation de la chose. On met le truc dans le machin. On
remue. On décharge. Et, dans le pire des cas, on va ensuite se laver
et aussitôt retourner au lit pour dormir pour être en forme le
lendemain matin pour aller au chagrin. C'est d'une tristesse ! Et
surtout, c'est le produit du conditionnement pornographique et pas
l'expression de nos vrais désirs et besoins.
Mais allez l'expliquer à
bien des gens ! Surtout que généralement on croit à tort que
toutes les érections masculines sont forcément intromissives et
appellent l'accouplement. Ce qui est faux : avoir du plaisir, de
l'excitation, amène l'érection, et aussi au réveil, on peut se
retrouver ainsi. Sans pour autant qu'on ait envie de s'accoupler.
Mais on se dit à tort que c'est le signe qu'il faut y aller !
Quant à l'éjaculation
qu'elle amène ou pas, elle n'est pas automatiquement signe de
jouissance masculine. L'échelle de la jouissance éjaculatoire va de
moins 16 à plus 16. Moins 16 : douleur entrainant la perte de
connaissance masculine. Moins 15 à moins 10 : douleur supportable.
Moins 10 à moins 5 : sensation désagréable. Moins 5 à 0 : le
gland est comme anesthésié, on ne sent rien, l'accouplement peut
durer sans éjaculation. 0 jusqu'à 5 : sensation de soulagement
équivalant à une miction, un petit pipi. 5 à 10 : plaisir localisé
au bas ventre. 10 à 15 : plaisir irradiant à tout le corps et
culminant au sentiment de sortir de soi. 16 : perte de connaissance
momentanée. J'ai connu entre moins 15 et moins 10, moins 5 à 0, et
au dessus, excepté 16, que j'ai imaginé conjecturalement et qu'un
ami m'a assuré avoir un jour atteint au grand affolement de sa
partenaire. Un jour, peut-être, dans les bandes dessinées comiques
on verra les gens faisant l'amour crier : « 16 !!! »
La pornographie est hélas
de nos jours à la base des choix de comportements sexuels d'un très
grand nombre. Par dizaines de millions, des hommes et femmes de tous
âges, cherchant à assumer leur sexualité, sont fortement
influencés par les productions commerciales pornographiques.
Une dame qui a une fille
de 8 ans et s'inquiète pour la vision que celle-ci aura du sexe dans
quelques années, me disait tout dernièrement : « la
pornographie, c'est animal ! »
A quoi je lui ai répondu
: « pas du tout, c'est commercial. Les animaux sont plus
authentiques. ».
Il y a peu d'années, sur un site pornographique américain sur Internet j'ai vu affichés les tarifs de recrutements. Ça allait de 25 dollars de l'heure pour poser pour de simples photos de nu jusqu'à 100 dollars de l'heure pour faire de la pornographie. La base de cette industrie est là : c'est l'argent.
Il y a peu d'années, sur un site pornographique américain sur Internet j'ai vu affichés les tarifs de recrutements. Ça allait de 25 dollars de l'heure pour poser pour de simples photos de nu jusqu'à 100 dollars de l'heure pour faire de la pornographie. La base de cette industrie est là : c'est l'argent.
Je suis persuadé que de
nos jours, c'est faire preuve d'une très grande naïveté
qu'imaginer que des enfants n'auront pas l'occasion et la curiosité
d'aller voir de la pornographie. Les sites pornographiques sur
Internet sont souvent protégés par la simple question : « avez-vous
plus ou moins de 18 ans ? ». Si on a plus de 18 ans on clique à
gauche et moins de 18 ans on clique à droite... Le fait de donner à
visionner de la pornographie aux mineurs est très sévèrement puni.
Mais il est extrêmement facile pour un mineur de contourner
l'interdiction sans demander d'autorisation, à partir du moment où
il peut accéder à un ordinateur qui n'est pas bridé par le
contrôle parental.
Évitons de croire très
naïvement que grâce à notre vigilance et nos propos un jeune ne
verra rien de pornographique avant 18 ans. Sachons l'armer contre
l'influence nuisible de celle-ci. Il faut le mettre en garde en lui
expliquant d'abord et avant tout que ce qu'on peut apercevoir comme
comportements dans les films, photos ou récits pornographiques n'a
pratiquement jamais rien à voir avec la réalité des désirs,
besoins, plaisirs ou intérêts de chacun.
Et que la clé pour ne
pas se faire avoir est de ne jamais faire ce qu'on n'a pas envie de
faire dans le domaine sexuel. Ni d'imposer à un autre ce qu'il n'a
pas envie de faire. Et si cela arrive malgré tout, ne pas dramatiser
et absolument raconter ce qui nous trouble à au moins une personne
de confiance.
Pour le reste dire que le
sexe c'est bien et que chacun de nous doit le découvrir par
lui-même.
La contraception et la
prévention raisonnable des maladies vénériennes complèteront le
bagage qui permettra au jeune homme ou à la jeune fille d'affronter
avec succès les défis de sa sexualité.
Mais n'oublions jamais de
toujours rappeler aux jeunes : la pornographie c'est faux, c'est
bidon. C'est au sexe réel ce que les contes de fées sont à la
réalité. La mise en scène de fantasmes, des récits fantastiques,
de l'imaginaire illustré avec des images qui peuvent exciter et
servir à réussir une masturbation mais ne correspondront jamais à
la réalité humaine. Qui, elle, est infiniment plus belle, riche et
agréable que ces caricatures d'amour réalisées grâce à de
l'argent et pour gagner de l'argent. La pornographie, c'est de la
prostitution iconographique : des gens s'adonnent au sexe devant une
caméra en échange d'argent. Ils vendent leur image sexuelle. Ne
cherchons pas à nous en inspirer pour notre vraie vie. Cela
reviendrait à prendre comme modèle de l'amour la prostitution.
S'il y a contrainte,
peur, appât du gain, ça n'est pas de l'amour. Et le sexe sans au
moins un minimum d'amour est un plat fade et sans goût. Quand on
invite quelqu'un à déjeuner, cela signifie qu'on le connait au
moins un peu. Alors, si c'est vrai pour partager ensemble une table,
cela doit aussi être vrai pour partager un lit.
Une condition pour
parvenir à l'amour est de rejeter le dressage par la pornographie.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 17 janvier 2013
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