Ces derniers mois,
dernières semaines, un tapage invraisemblable s'est fait en France
autour du projet d'étendre le mariage entre deux personnes de sexes
opposés au mariage entre deux personnes de même sexe. Ce genre de
mariage existe déjà dans les pays scandinaves, au Portugal et en
Espagne. Pourquoi tant de bruit ?
On voit à cette occasion
l'Église catholique se mobiliser pour défendre le mariage civil en
l'état où il est, c'est-à-dire hétérosexuel, alors que le
mariage civil a été institué en France contre elle. Avant, c'était
les curés qui enregistraient les naissances, décès et mariaient
les gens.
Et les politiques se
positionnent bruyamment pour ou contre. Le gouvernement français,
dit de gauche, qui s'est fait une spécialité de céder en tout à
ses adversaires, prenant ici l'air martial pour proclamer qu'il
appliquera son programme concernant le mariage homosexuel. Alors que
par ailleurs, sur des sujets sensibles et importants il a partout
capitulé. Au point que le PCF en a fait dernièrement un clip
comique de nouvelle année qui a mis en fureur les dirigeants du PS.
Concernant cette histoire
de mariage, que signifie cette exception et cette mobilisation
presque générale pour ou contre ? Serait-ce du fait du caractère
particulier, intime, de la question posée, ou pour une autre raison
?
Des débats en France sur
des questions touchant à la sexualité, depuis les années 1960, il y
en a eu un certain nombre : l'éducation sexuelle, le monokini, la
contraception, l'avortement, le pacs et, aujourd'hui, le « mariage
pour tous ». Sans compter d'autres, tel que, par exemple, le
remplacement du concept juridique de « chef de famille »
par celui d'« autorité parentale ».
L'éducation sexuelle à
l'école
Dans les années 1960, la
société française était infiniment plus puritaine, machiste,
pudibonde et hypocrite qu'aujourd'hui. Il suffisait que paraisse une
photo de Brigitte Bardot dont on voyait juste les épaules nues, qui
suggérait que les seins l'étaient également, pour exciter les
hommes. Quand le débat s'est ouvert sur l'éducation sexuelle à
l'école, celle-ci brillait par son absence dans les familles.
Quantité de jeunes gens et jeunes filles parvenaient à l'âge où
ils étaient en état de procréer, en ignorant tout des « mystères
de la vie ». Certains imaginaient des théories fantaisistes.
L'acte sexuel consistant à pénétrer la femme par le nombril.
L'enfant nouveau-né sortant par l'anus de la mère...
Moi-même, je n'étais
pas le dernier à imaginer des explications à ma façon. Nous avions
reçus en premier une peur panique de faire « tomber enceinte »
les jeunes filles. Je dormais dans un lit sous le lit à étage de ma
sœur. Ma mère m'avait expliqué que, quand une femme est enceinte,
elle commence par être très fatiguée et il y a des signes
caractéristiques qui ne trompent pas. Je m'imaginais ces signes
comme des sortes de marques mystérieuses apparaissant sur le visage.
Un code secret et terrible qui valait dénonciation publique à la
société de la calamiteuse grossesse non désirée et de l'infâme
auteur de celle-ci, qui pourrait un jour être moi. J'en avais peur
d'avance.
Voilà soudain que ma
sœur a commencé à être inexplicablement fatiguée plusieurs jours
de suite. J'ai alors réalisé, paniqué : « ça y est, avec
mes pensées, le soir, dans mon lit, juste au dessous d'elle, je l'ai
mise enceinte ! » Bien sûr, je n'ai rien avoué de l'existence
de mon acte honteux. Je me demande à présent quel genre de pensées
« sexuelles » pouvais-je avoir, tant mon ignorance était
grande sur ce sujet. Ma « sexualité secrète » se
limitant à contempler en cachette le soir, à la lumière d'un
boitier électrique de poche, sous la couverture, deux pages de
bandes dessinées du journal Vaillant, où on pouvait admirer deux
jeunes filles. Mon admiration ignorante me conduisant à rêver d'en
devenir une, tellement elles étaient belles ! Il s'agissait d'une
page de « Ragnar le Viking » et une autre d'« Yves
le Loup ». C'est la première fois de ma vie que je trahis mon
secret d'enfance.
J'avais soustrait les
deux documents « coupables » à l'attention de la famille
et les conservais pliés sous mon oreiller.
Je n'étais pas le seul à
être aussi loin de la réalité. Les petits singes que nous sommes,
maintenus dans l'ignorance par la dés-éducation sexuelle consistant
à leur cacher tout, se comptaient par millions. Au point qu'il
arrivait que de très jeunes filles se retrouvaient enceintes sans
avoir conscience de ce qu'elles avaient fait de précis pour y
arriver. Ignorantes ou non, les très jeunes filles enceintes étaient
soustraites à l'éducation normale, publique ou privée. Elles se
retrouvaient dans des institutions où on leur apprenait notamment à
repasser des chemises masculines, afin de les préparer à l'exaltant
statut d'esclave domestique, c'est-à-dire, « femme au foyer »
ou « mère de famille ». Quand ma mère, qui élevait
quatre enfants, devait remplir un formulaire administratif, à la
question : « Profession : » elle indiquait : « sans ».
Elle travaillait du matin au soir pour la famille, ce qui signifiait
donc qu'elle était « sans profession ».
J'ignore pourquoi, dans
la France des années 1960, on s'est mis subitement à parler de « l'éducation sexuelle ». Il faut expliquer aux
enfants comment on fait les enfants. Comme en Suède, pays à l'époque réputé salace où existait déjà l'éducation sexuelle à l'école. Qui formait de grandes et belles filles blondes aux yeux bleus
sujets d'abondants fantasmes. Cet exemple titillait peut-être la mauvaise
conscience des adultes cachant à leurs enfants ce qu'ils savaient
forcément.
Le débat français a
suscité un concert de hurlements indignés : « comment ? Ce
n'est pas à l'école d'expliquer aux enfants comment on fait des
enfants. Il appartient à la famille, aux parents de le faire ! »
Seul hic, les parents ne
le faisaient généralement pas.
Le débat s'est enlisé
dans ce genre de polémiques stériles : « il faut que
l'école... » à quoi les autres répliquaient : « il
appartient à la famille... »
Je ne l'ai pas suivi. On
m'a dit, bien plus tard, qu'à l'école avait été introduite la
fameuse « éducation sexuelle ».
Elle ne devait
probablement pas aller très loin, du moins, à ses débuts.
Le monokini
Le sexe, dans notre
société d'arriérés mentaux, c'est d'abord le corps féminin.
Forcément, c'est sale. C'est le pêché, même si c'est bon. Et le
pêché, c'est Ève, pas Adam. Il n'y est pour rien. C'est Ève qui
l'a provoqué en lui offrant la pomme. Et, chez la femme, quoi de
plus « sexe » que les nichons ?
Entre autres hypocrisies,
notre société a imaginé le terme « soutien-gorge ».
Ils cachent forcément toujours les seins. Quand j'étais petit, dans
les années 1950-1960, les petites filles n'en portaient pas. Et
quand il faisait chaud, jouaient dehors torse nu. Les enfants
vraiment petits étaient alors tout nus. A présent, ils ont tous
généralement des culottes et les fillettes portent des
« soutiens-riens ».
Le sein était le comble
de l'érotique. On n'imaginait guère montrer plus bas en public ou
en photo. Et voilà qu'au début des années 1960 un grand émoi
annonça l'arrivée du « monokini ».
Des créateurs de
vêtements de bains avaient imaginé une tenue assez laide : une
sorte de culotte remontant assez haut sur le ventre, soutenue par
deux bretelles croisées et laissant la poitrine à l'air !
Le débat s'ouvrit
aussitôt : pour ou contre l'autorisation du « monokini »
? Et aussi : est-ce légal ?
Je me souviens d'articles
de journaux. L'un montrait une jeune fille sur la plage de Cabourg,
seins nus magnifiques et portant juste un bas de bikini. Il y avait
aussi la photo du maire de Cabourg, Monsieur Thiers, descendant
d'Adolphe Thiers, l'exterminateur de la Commune. Le maire déclarait
que la vue des seins de la jolie fille sur la plage de sa ville ne le
dérangeait absolument pas.
On interrogeait le mari
de la dame : « Ça ne vous dérange pas que d'autres hommes
puissent voir les seins de votre femme ? »
Plusieurs fois, on vit
rappeler dans la presse, qu'en 1938, une trapéziste avait fait son
numéro de trapèze seins nus, avait été poursuivie en justice et
acquittée.
On s'est aperçu alors
qu'aucune loi n'interdisait l'exhibition publique des mamelles
féminines.
Qu'à cela ne tienne !
Sans craindre le ridicule, on en pondit une.
Et voilà, exit le
monokini.
Ce n'est guère qu'au
début des années 1980 que les dames ont commencé à pouvoir faire
un peu partout en France ce que les messieurs se sont autorisés à
faire depuis 1914 : se mettre la poitrine à l'air sur la plage.
La contraception
libérée
En 1950, un savant
catholique américain du nom de Pincus inventa la pilule
contraceptive. Elle resta interdite en France jusqu'en 1967. La loi
Neuwirth, du nom de son auteur, ne connu ses décrets d'application
que sept années plus tard, en 1974. Durant les quelques années qui
précèdent 1974, il fallait passer par des filières occultes pour
s'en procurer. Les membres du corps médical y avait accès. Les
dames qui en cherchaient se rapprochaient, par exemple, d'une
infirmière.
Quand la pilule est devenue légale, une grande campagne s'est développée sur le thème : « elle donne le cancer ». Jusqu'à ce qu'en 1983 certaines études affirment l'inverse. Elle aide à prévenir certains cancers en diminuant la ponte ovulaire. Je cite de mémoire.
Quand la pilule est devenue légale, une grande campagne s'est développée sur le thème : « elle donne le cancer ». Jusqu'à ce qu'en 1983 certaines études affirment l'inverse. Elle aide à prévenir certains cancers en diminuant la ponte ovulaire. Je cite de mémoire.
J'ai été étonné par
le propos de certains hommes qui se plaignaient de l'arrivée de la
pilule autorisée en écrivant que les femmes les privaient en la
prenant d'un pouvoir essentiel : celui de décider du moment de
l'arrivée de l'enfant !
L'avortement légalisé
Le débat pour ou contre
la légalisation de l'avortement fut biaisé dès le début.
En effet, ses adversaires
faisaient comme si légaliser l'avortement le ferait apparaître en
France.
Alors qu'il existait déjà
à très grande échelle, mais dans l'illégalité et souvent avec
des conséquences graves, voire dramatiques.
Les opposants à la
légalisation de l'avortement refusaient de voir la réalité et
continuaient à marteler qu'il ne fallait rien changer sous peine de
causer une hécatombe d'enfants (lisez : de fœtus).
Le plus beau dans cette
affaire, est que certains qui avaient été opposés à la libération
de la contraception quelques années auparavant, arguaient à présent
que la contraception libre permettait justement d'éviter l'éventuel
avortement et donc qu'il ne fallait pas l'autoriser.
L'avortement fut
finalement autorisé, sous la pression des partisans de sa
légalisation. Le gouvernement faisant semblant d'avoir librement
choisi d'aller dans leur sens. En évitant ainsi de perdre une part
de son autorité visible.
Le pacs
Que de hurlements
indignés l'arrivée du pacs n'a-t-il suscité ! Aujourd'hui, il est
entré dans les mœurs en France. Quand il est apparu, c'était un
truc d'homosexuels, à en croire ses adversaires.
Quand on lit la
biographie officielle du lieutenant français, pilote d'hélicoptère,
qui vient de mourir au combat au Mali, on y apprend qu'il était
pacsé, père d'un enfant.
Au vu de tels éléments,
on imagine mal les ennemis d'hier du pacs ressortir aujourd'hui leurs
arguments dénigreurs.
Le mariage pour tous
Et nous voilà arrivé au
débat et aux remous autour du mariage homosexuel, rebaptisé
« mariage pour tous ». Pourquoi tant de bruit ? La vraie
raison, la voici :
Aujourd'hui, la France
est gouvernée, avec parfois des changements au niveau
des dirigeants, au moment des élections, par un bloc libéral qui
comprend : une large partie de la gauche, la droite presque en
totalité, l'extrême droite, les syndicats CGC, CFTC, CFDT et, à la
tête du tout : le MEDEF, qu'on appelle aussi parfois : « les
banques », « les marchés », « les créanciers
de la dette ». En face on trouve, plus ou moins d'accord ou pas
ensemble : le Front de Gauche, quelques petites organisations
d'extrême gauche, quelques souverainistes de droite, la CGT et FO.
C'est, en gros et en
résumé, la situation actuelle. Sur l'essentiel, les parties du bloc
libéral se retrouvent d'accord. Par exemple sur la disparition du
CDI, largement amorcée avec les Accords de Wagram, qui viennent
d'être signés entre le MEDEF et les syndicats CGC, CFTC et CFDT.
Nous sommes dans un pays
où il y a des élections et des électeurs. Si on veut les voir
continuer à voter en majorité pour le bloc libéral que commande le MEDEF, il
faut que les électeurs, sans le savoir, n'aient en fait qu'un choix :
« libéral ou libéral ». C'est-à-dire, PS ou UMP. Mais
quand PS et UMP votent ensemble la TSCG au Sénat, sont visiblement
d'accord sur tous les sujets essentiels, comment donner aux électeurs
l'illusion qu'ils choisissent autre chose que « libéral
ou libéral » ?
Réponse : en stimulant
artificiellement des conflits comme celui sur le mariage homosexuel.
Ainsi, pour pas cher, le
gouvernement dit « de gauche » fait semblant de s'opposer
radicalement à « la droite ». Alors qu'en fait, pour
toutes les décisions importantes, gauche PS et droite UMP se
ressemblent comme deux gouttes d'eau. On invente une lutte soi-disant
essentielle qui ne touche pas aux sacro-saints tabous et fétiches
économiques. Qui laisse les petits à la merci des gros. Les prix
qui dansent, les logements inaccessibles car trop chers, les emplois
détruits, délocalisés... la vie vivable qui s'en va. On va, on a
déjà commencé à nous transformer en crève-la-faim. Mais, non, il
y a plus important : le mariage pour tous ! Ainsi, chacun joue son
rôle : gauche ou droite. Et l'attention du public est détournée des
grandes questions économiques vitales qui le concernent.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 15 janvier 2013
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