J'ai longtemps déclaré
que la fête c'était la rencontre. Et aussi un moment de créations
artistiques à cette occasion. Le 28 décembre dernier, j'ai perçu
un troisième élément essentiel qui définit la fête : c'est
l'oubli, certes momentané, mais l'oubli complet, absolu des soucis.
J'étais ce jour-là
invité à participer à une fête médiévale à Paris, avec un
groupe musical et costumé. Grâce à l'organisateur, Pascal dit
Raspoutine le Viking, nous faisions renaître une vieille tradition
interrompue à Paris depuis 1630 : la Fête des Fous. Nous avons
déambulé en musique, dansé en ronde à plusieurs reprises : sur un
pont, près de la Fontaine des Innocents... Et durant ce temps-là,
j'ai remarqué que j'abandonnais complètement les pensées relatives
à mes soucis du moment. J'étais bien. Parfaitement heureux et
insouciant. Rien que du bonheur. J'en ai parlé à un de ceux qui
faisaient partie de notre groupe : « c'est la fête »
m'a-t-il répondu comme commentaire. Ce ressenti m'a rappelé les
propos de quelques grincheux tristes et aigris qui reprochaient au
dix-neuvième siècle aux gens du peuple à Paris d'oublier leurs
soucis durant le temps du Carnaval.
La presse, les médias
qui prétendent nous « informer », de ce point de vue
c'est vraiment à présent l'anti-fête. Ils ne nous parlent que de
choses tristes et lamentables. Prétendent faire des problèmes des
autres nos problèmes. Comme si ces derniers ne nous suffisaient déjà
pas assez pour nous pourrir la vie trop souvent ! Mais heureusement
que justement nous arrivons à oublier nos problèmes ! Comme le
disait un journaliste parlant de la grande fête de la Mi-Carême
parisienne au début du vingtième siècle : « amusons-nous et
remettons à demain les affaires sérieuses ! »
Il y a des peuples qui
sont très souriants alors que leur vie est très dure. D'autres dont
la vie paraît nettement plus confortable et qui font sans arrêts la
gueule. Une jeune fille de la campagne parlant des Parisiens en
vacances les appelait devant moi : « les tout-tristes »,
faisant référence au mot « touristes » qu'elle
déformait intentionnellement ainsi.
Qu'est-ce qui dans la
fête nous aide à oublier ? Des costumes bizarres et inhabituels, de
la musique, des rencontres nouvelles ou inhabituelles, de la danse,
des échassières, des géants, des marionnettes géantes, et surtout
une bonne atmosphère. Ce qui tue la fête ce sont ceux qui ramènent
au cœur de celle-ci les soucis habituels, très souvent liés à la
recherche du pouvoir et de l'argent. Quand dans une fête n'existe ni
tarés obsédés du pouvoir, ni escrocs chercheurs de profits sur le
dos des autres, la fête devient un asile, un oasis, un refuge loin
des tracasseries habituelles de notre société. Qui est pourrie par
la recherche obsessionnelle de l'argent pour l'argent et du pouvoir
pour le pouvoir.
Quand la fête est
authentique, même très petite, on y respire un air différent de
l'air habituel. On se retrouve enfin entre humains. On est tous
frères ! Il règne une atmosphère débonnaire de gentillesse
partagée. Le Carnaval de Paris et le Carnaval des Femmes que
j'organise chaque année est libre, bénévole, gratuit et auto-géré.
Auto-géré signifie que chacun, chaque groupe s'organise pour venir.
Il n'y a pas de chef, registres, inscriptions, bureaux,
administration. On vient faire la fête et c'est tout. Ceux qui
découvrent cette façon de fonctionner sont parfois surpris. Mais
ils s'y font. Et tout le monde est content.
En qualité
d'organisateur j'ai du mal au Carnaval de Paris et au Carnaval des
Femmes a oublier mes soucis à ces occasions. Mais au moins je
parviens à les faire oublier à d'autres, les rend heureux. Et c'est
déjà ça de gagné pour moi, car j'aime les gens. A la fête,
arriver à ne pas penser à nos problèmes. Les ignorer. Les oublier.
De toutes façons ils sauront bien se rappeler à nous un jour ou
l'autre. Que nous le voulions ou non. La fête a donc trois aspects,
trois rôles essentiels : l'oubli complet des soucis, la rencontre,
et la création artistique dans les domaines les plus divers.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 31 décembre 2015
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